Indurain, un Navarrais sujet de thèse

par Axel_Borg
mardi 25 septembre 2018

Suffit-il d’avoir le choix pour être libre ? Travailler, est-ce seulement être utile ? L'art est-il moins nécessaire que la science ? … Vous avez quatre heures ! Tous les étudiants et autres bacheliers de France et de Navarre ont été confrontés à ce type de réflexions philosophiques. En 1993, après la troisième victoire consécutive de Miguel Indurain dans le Tour de France, Pierre Chany s’interrogeait lui-même sur le coureur espagnol de Banesto, le Navarrais étant coupable à ses yeux de ne pas avoir gagné d’étape en ligne en neuf semaines de course, et surtout de laisser le panache aux oubliettes : Peut-on devenir un champion mythique sans porter en soi un brin de folie ?

Mardi 18 juin 1996. Le journaliste émérite Pierre Chany meurt à 73 ans à Paris, à onze jours de suivre son cinquantième Tour de France. L’ancienne plume du quotidien L’Equipe en restera à 49 Tours de France, lui qui aurait tant aimé atteindre le seuil de 51, chiffre du dossard mythique d’Eddy Merckx (1969), Luis Ocaña (1973), Bernard Thévenet (1975) et Bernard Hinault (1978), chiffre symbole du fameux pastis 51 qu’appréciait celui qui fut longtemps, en compagnie d’Antoine Blondin, le passager de la célèbre voiture 101.

Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, un Prix Pierre-Chany récompense le meilleur article cycliste de l’année, tant le journaliste à l’écriture virtuose savait ciseler les mots pour coller au plus près de la réalité vécue sur l’asphalte par les forçats de la route. Ainsi, Jacques Anquetil avait-il un jour déclaré ceci à propos de Pierre Chany, hommage superbe du quintuple maillot jaune à celui qui était son fidèle confident : Ne me demandez pas de vous raconter ma course, il y a plus compétent que moi pour le faire. Le public ne retiendra pas ce qui s’est réellement passé, mais ce que l’on va en écrire ou en dire. Et moi-même j’attends de lire demain l’article de Pierre Chany dans L'Équipe pour savoir ce que j’ai fait, pourquoi et comment je l’ai fait. Comme il fait autorité, qu’il est compétent, qu’il me connaît et me comprend, sa version sera meilleure que la mienne et deviendra la mienne.

Le samedi 29 juin 1996, orphelin de Pierre Chany, le 83e Tour de France part de s’Hertogenbosch (Bois-le-Duc) aux Pays-Bas. Le favori suprême a pour nom Miguel Indurain, quintuple tenant du titre et co-recordman des succès finaux dans le Tour avec Jacques Anquetil, Eddy Merckx et Bernard Hinault, à la différence près que le Navarrais fut le seul à aligner ses succès de façon consécutive sur un quinquennat parfait, là où le Normand, le Bruxellois et le Breton avaient respectivement vu leurs bastions pris par des rivaux (en 1958 par Charly Gaul, en 1959 par Federico Bahamontes et en 1960 par Gastone Nencini sur la période 1957-1964 dominée par Anquetil, en 1973 par Luis Ocaña sur l’ère Merckx allant de 1969 à 1974, en 1980 par Joop Zoetemelk puis en 1983 et 1984 par Laurent Fignon pendant le règne despotique d’Hinault, entre 1978 et 1985).

Favori de ce Tour 1996 devant ses rivaux de l’équipe ONCE (Laurent Jalabert et Alex Zülle), Miguel Indurain avait la faveur des pronostics à défaut d’avoir celle de Pierre Chany, qui n’appréciait pas le style calculateur du champion de Banesto.

Sans lui jeter l’opprobre ni appliquer un apartheid envers lui dans la hiérarchie des maillots jaunes, Pierre Chany ne déroulait pas à l’entrée du cénacle cycliste un beau tapis rouge à Miguel Indurain, qui avait franchi le Rubicon en ne gagnant aucune étape en ligne entre 1991 et 1995, laissant Chiappucci triompher au Val Louron puis Bugno s’imposer à l’Alpe d’Huez en 1991, Rominger lever les bras à Serre Chevalier puis à Isola 2000 en 1993, Zenon Jaskula l’emporter au Pla d’Adet en 1993, Luc Leblanc cueillir la victoire sous la brume de Lourdes Hautacam en 1994, ou même le suceur de roue belge Johan Bruyneel gagner à Liège en 1995.

La réponse de Miguel Indurain à son manque de panache et à son absence de victoires d’étape en ligne entre 1991 et 1993, donnée au quotidien suisse L'Impartial le dimanche 25 juillet 1993 après sa troisième victoire dans la Grande Boucle, est intéressante.

On vous reproche de ne gagner que les contre-la-montre, demande au coureur espagnol le représentant du journal basé à la Chaux-de-Fonds.

Je ne les gagne même plus !, répond le triple maillot jaune de Banesto, faisant ainsi allusion à sa défaite face à Tony Rominger entre Brétigny-sur-Orge et Montlhéry lors du dernier chrono individuel du Tour 1993. On s'imagine que je suis magnanime et que je distribue mes victoires comme du pain béni. Or, je suis un lutteur. Dans les Alpes, Rominger m'a battu à la régulière. Dans les Pyrénées, où j'aurais tant aimé offrir un succès à mes fans, Jaskula en a fait de même. Mais, si j'en suis à 23 victoires dans des contre-la-montre, c'est qu'il s'agit bel et bien de ma spécialité. Dans les domaines chers à mes adversaires, je ne fais que les contenir du mieux que je peux. Eux, ils y défendent leur casse-croûte.

Proche de Jacques Anquetil dans sa gestion de la course, Miguel Indurain avait radicalisé l’approche du Normand sous l’égide de son ancien directeur sportif José Miguel Echavarri, lui-même ancien coéquipier de Maître Jacques

Dès 1993, où Miguel Indurain égalait Philippe Thys (1913, 1914, 1920), Louison Bobet (1953, 1954, 1955) et Greg LeMond (1996, 1989, 1990) au panthéon des triples vainqueurs, Pierre Chany se posait la question suivante : Peut-on devenir un champion mythique sans porter en soi un brin de folie ?

La question posée par Pierre Chany n’était pas seulement de savoir si Miguel Indurain était un champion, mais un champion mythique, dans la lignée des Gino Bartali, Fausto Coppi, Louison Bobet, Jacques Anquetil, Rik Van Looy, Eddy Merckx, Bernard Hinault et autres Greg LeMond, autres Pantagruels du cyclisme n’ayant laissé que les miettes de leur festin à la concurrence, tels des ogres ayant chaussé leurs bottes de sept lieues.

Sorte d’OVNI ayant atterri sur le Tour de France en 1991, Miguel Indurain a cannibalisé la course pendant cinq ans, maintenant un niveau stratosphérique, voire stellaire … Mais rien de commun avec Gino Bartali et son splendide isolement sur les cimes de l’Izoard, avec Fausto Coppi si propice à la fugue solitaire, avec Jacques Anquetil qui aimait se lancer des défis irrationnels (le doublé Dauphine Libéré / Bordeaux-Paris de 1965), avec Eddy Merckx qui maintenait en permanence la tête sous l’eau à ses rivaux qu’il asphyxiait parfois dès le premier kilomètre de course, avec Bernard Hinault qui appliquait, tel un despote magnétique, la loi du talion à tous ceux qui lui tenaient la dragée haute sportivement … Les yeux du natif d’Yffiniac trahissaient son désir d’absolu, son envie presque animale de faire respecter la loi du plus fort dans cette jungle du Tour de France régie par un processus de sélection naturelle proche des théories de Charles Darwin : le plus fort émerge. Et le plus fort de sa génération, c’était Hinault, qui pédalait la plupart du temps la rage chevillée au corps !

Le dénominateur commun de tous les champions d’exception est de savoir pérenniser la victoire, de repousser l’inexorable érosion du temps, cette fameuse usure du pouvoir qui vous guette et frappe parfois à la porte.

A ce jeu là, Miguel Indurain a passé l’examen avec mention très bien et félicitations du jury, ayant su prolonger l’état de grâce durant cinq étés consécutifs sur la Grande Boucle (1991, 1992, 1993, 1994, 1995), même s’il a commis le péché d’orgueil en 1996, tentant vainement une sixième victoire restée utopique.

Le deuxième point commun des champions hégémoniques est leur résilience, leur capacité à surmonter les épreuves. Et là également, Indurain s’est montré digne du Campionnissimo renaissant de ses cendres tel le phénix en 1952 après le décès de son frère cadet Serse en 1951 et une terrible défaite contre Hugo Koblet, de Maître Jacques moribond dans le Port d’Envalira en 1964, du Cannibale terrassé par Luis Ocaña en 1971 vers Orcières Merlette, ou encore du Blaireau atteint par la conjonctivite en 1979 et semé par Zoetemelk sur les pavés du Nord.

En 1992, l’Espagnol surmonte avec sang-froid l’étape du Bettex, dont l’arrivée est jugée à Saint-Gervais Mont-Blanc. Stephen Roche tente de lui porter l’estocade via une escarmouche collective de la formation Carrera, mais la Banesto et Indurain gardent leur self-control face aux banderilles adverses. Le navire tangue mais ne chavire pas, le capitaine a gardé son cap dans la tempête, la main ferme sur le gouvernail comme sur le guidon, le dos en équerre et les jambes souples pour un coup de pédale aérien … Le lendemain soir, le tenant du titre endosse le maillot jaune dans la station piémontaise de Sestrières, victoire sublime de Chiappucci, son bâton de maréchal.

En 1993, après avoir terrassé l’opposition au chrono du Lac de Madine et imposé violemment sa férule dans le col du Galibier sur la route de Serre-Chevalier, Miguel Indurain gère son capital en épicier, tel un maillot jaune tapi dans l’ombre de ses dauphins. Mais le public ignore que le Navarrais est alors frappé d’une forte fièvre qui diminue ses extraordinaires capacités intrinsèques.

Pour ne pas hypothéquer son triplé dans le Tour et sa quête du Graal de triplé Giro – Tour – Mondial, Miguel Indurain bluffe et laisse un peu d’oxygène à ses dauphins. Loin de faire la montagne sa citadelle ou son pré carré, Indurain laisse Rominger mener dans la Bonette - Restefond, et le Zougois s’échapper avec le Polonais Jaskula dans le Tourmalet sur la route de Pau, dans cette Navarre française d’où venait le bon Henri IV. L’Espagnol s’incline même dans sa chasse gardée du contre-la-montre, entre Monthléry et Brétigny-sur-Orge, ce qui laisse à ce Tour de France 1993 un parfum de symphonie inachevée. Mais diminué, pourquoi risquer à tout prix de conquérir une étape qui deviendrait une victoire à la Pyrrhus, avec un effet boomerang ?

En 1995, après quelques minutes de panique sur la route de Mende, Indurain et Banesto ont su manœuvrer pour contrecarrer les ambitieux desseins du cheval de Troie de Manolo Saiz, avec Laurent Jalabert parti en éclaireur avant qu’Alex Zülle ne tire les marrons du feu dans la montée finale face à une armada Banesto affaiblie ? Ironie du destin, c’est Zülle qui cédera du temps à Indurain dans le chef-lieu de la Lozère, ainsi qu’à Riis et Pantani, tandis que le Goliath espagnol conserve son maillot jaune.

Mais entre 1991 et 1995, Indurain n’a souvent pas eu besoin d’attaquer, c’est pourquoi il reprenait la tactique éprouvée au temps de Jacques Anquetil, autre épouvantail de l’effort solitaire, en tirant les dividendes de son insolente supériorité, tout en limitant les risques dans la montagne face aux grimpeurs, demandant à son équipe Banesto de l’emmener jusqu’au pied de l’ultime col (voire plus loin) avec un tempo suffisamment élevé pour décourager la prise d’initiative des baroudeurs. Aidant Indurain à conquérir son Everest, les sherpas de Banesto lui vouaient leur entière dévotion sous l’autorité du tandem Unzue / Echavarri. Aux yeux de ce dernier, Jacques Anquetil avait fait jurisprudence dans la façon d’aller cueillir les lauriers à Paris : écraser le premier grand contre-la-montre pour décourager toutes les velléités offensives des grimpeurs. Alençon en 1991, Luxembourg en 1992, Lac de Madine en 1993, Bergerac en 1994, Seraing en 1995, le roi Miguel a reçu le message 5 sur 5, aucune interférence, allant même enfoncer le clou en 1991 à Mâcon, en 1992 à Blois et en 1995 au Lac de Vassivière. Comme Anquetil jadis, il a donc parfois fait renoncer les grimpeurs de par l’ampleur des dégâts causés en CLM, ce qui en 1961 avait provoqué le courroux de Jacques Goddet dans un éditorial au vitriol resté fameux, après l’étape reine des quatre géants pyrénéens (Peyresourde, Aspin, Tourmalet, Aubisque) escamotée par Gaul et consorts : Les nains de la route.

En 1991, après sa victoire dans le chrono d’Alençon, Miguel Indurain va voir ses deux principaux rivaux tomber du Capitole à la Roche Tarpéienne : Erik Breukink abandonne entre Rennes et Quimper, terrassé par un mauvais dopage d’EPO comme le reste de l’affaire PDM, tandis que Greg LeMond est doublement handicapé par les prémices de sa myopathie mitochondriale (conséquence des plombs restés dans son organisme après l’accident de chasse du lundi de Pâques 1987) et de son refus viscéral de céder à la tentation de l’EPO, cet élixir de puissance accessible dans les deux Eldorados du dopage que sont l’Italie de Conconi et Ferrari, ou encore l’Espagne de Sabino Padilla, cheville ouvrière des succès de Miguel Indurain. Francesco Conconi, l’homme qui avait métamorphosé Moser en recordman de l’heure en 1984, fera progresser de façon linéaire le colosse de Pampelune, et fera aussi la démonstration en 1993 dans le col mythique du Stelvio, juge de paix des Dolomites, du regain de puissance phénoménal apporté par l’EPO (évaluée à 15 % par rapport à un coureur restée à l’eau claire, alias pan y agua dans le jardon du peloton). Avec une telle potion magique, le druide de Ferrare, bien que quinquagénaire, termine 5e d’une course de côte réunissant au Stelvio la plupart des meilleurs cyclistes italiens. Dans les Pyrénées et les Alpes, Indurain n’aura aucun mal à contrôler les Italiens Bugno et Chiappucci, deux fétus de paille comparés à son incroyable puissance, lui l’homme – watts …

En 1992, Indurain dresse la guillotine sur les routes du Grand-Duché de Luxembourg, reprenant notamment 6 minutes à Laurent Fignon qu’il dépassé à 53 km/h sur un faux-plat montant, et plus de 10 minutes à la grande majorité du peloton écoeuré par cette hécatombe, conséquence d’une puissance divine mais pourtant bien scientifique, venant du venin EPO. Certes vieillissant, Fignon reste le joker de luxe de la Gatorade derrière Gianni Bugno, dauphin du roi Miguel en 1991. Et pourtant, il est le troisième coureur à se faire rattraper par l’homme au dossard n°1. Humiliant le peloton en ce jour où il atteint son climax, l’Espagnol ruine tout suspense, étant maillot jaune virtuel derrière Pascal Lino échappé en Gironde quelques jours plus tôt. La seule question est de savoir non pas si mais quand Indurain va récupérer le Toison d’Or avant de soulever un deuxième vase de Sèvres à Paris. Dans ces conditions, le leader de Banesto n’a pas besoin d’écraser les pédales dans les Alpes, inutile d’attaquer puisque ses rivaux vont accuser la fatigue de la troisième semaine, ce qui sera le cas pour Bugno qui explosera complètement dans l’Alpe d’Huez.

En 1993, rebelote, Indurain se constitue un confortable matelas sur la concurrence au Lac de Madine (malgré une crevaison durant le chrono), et enfonce le clou dans le col du Galibier sur la route de Serre Chevalier, ce qui condamne Bugno et Breukink aux oubliettes. Et comme Tony Rominger court pour la deuxième place, le roi Miguel s’achemine tranquillement vers une apothéose sur les Champs-Elysées, avant d’annuler tous ses critériums, la faute à cette vilaine fièvre de thermidor.

En 1994, Indurain va encore tutoyer la perfection dans l’effort solitaire, lui qu’on disait sur le déclin après une troisième place au Giro derrière la nouvelle vague des Evgueni Berzin et Marco Pantani. Entre Périgueux et Bergerac, le Navarrais appose son sceau avec une rare violence, marquant au fer rouge tout un peloton laminé, éparpillé par une telle puissance. Même Tony Rominger, bien que préparé par le docteur Ferrari (mage de la Gewiss) ne peut lutter face à l’homme qui s’attire une fois de plus tous les superlatifs, Tyrano de Bergerac succédant à Robocop (1991) et à l’Extraterrestre (1992). Dans les Pyrénées, le maillot jaune écrase ses rivaux dans Lourdes Hautacam, seul Luc Leblanc pouvant l’accompagner jusqu’au sommet. Loin de son chant du cygne, Indurain est à son climax, prouvant sur les pentes rocailleuses du Mont Ventoux qu’il ne craint personne, exception faite d’un pur grimpeur tel que Marco Pantani, capable de démarrages foudroyants. Quant à Richard Virenque, il sera un feu de paille, s’effondrant devant Pantani et surtout Ugrumov dans les Alpes. Indurain, lui, finit en roue libre sous une canicule qui lui convient à merveille. Tel un poisson dans l’eau, l’Espagnol a évité tous les pièges de ce qui devait être un Tour anti-Indurain.

En 1995, loin de se murer dans une tour d’ivoire, Indurain tente d’égaler le record des quintuples maillots jaunes, quête du Graal que Tony Rominger ne pourra contrecarrer, le Suisse ayant pourtant piqué au vif l’orgueil du quadruple lauréat à l’automne 1994 en lui prenant assez facilement son record de l’heure, mal préparé il est vrai par Indurain (55.291 km/h pour le coureur de Mapei, 53.040 km/h pour celui de Banesto). Figure de proue du cyclisme espagnol, Indurain sort des sentiers battus et provoque une offensive sur la route de Liège, avant de s’appuyer le lendemain entre Huy et Seraing sur sa clé de voûte habituelle, la domination dans les contre-la-montre … Quelques jours plus tard, sur la route de la Plagne, l’ensemble du peloton passe sous les fourches caudines du maillot jaune, sauf Alex Zülle parti dans le Cormet de Roselend conquérir le strapontin du dauphin, à gauche du trône indéboulonnable de l’idole du royaume d’Espagne, qui faisait tourner les pédales avec ses mikados bronzés sur un Pinarello presque aussi tranchant que la fameuse Espada, cet Excalibur cycliste.

Les Arcs seront en juillet 1996 le Golgotha du Navarrais, orphelin de Sabino Padilla, d’où le voyage à Milan de José Miguel Echavarri dès le 3 janvier de cet an VI de l’ère Indurain, débutée en 1991. Tombant de Charybde en Scylla dans cette édition où il subit la loi d’airain de Bjarne Riis, l’Espagnol se retrouve échec et mat, en perdition sur le goudron des Arcs comme Merckx à Pra-Loup, l’épée de Damoclès ayant fini par tomber. Mais au lendemain du deuxième camouflet reçu à Val d’Isère dans un chrono en altitude dominé par Evgueni Berzin, Indurain promet l’enfer à ses rivaux dans le Galibier, qui sera finalement boycotté par les organisateurs, la neige ayant rendu l’ascension du toit du Tour impossible. Celle de l’Iseran restera tout aussi utopique, sonnant le glas des espoirs d’Indurain de créer des écarts face aux VIP et autres ténors du peloton, les Riis, Virenque, Olano, Berzin, Jalabert, Zülle et autres Rominger. Mais par cette déclaration, le quintuple vainqueur montrait à tout l’aréopage journalistique qu’il n’avait pas abdiqué, que sa fierté et son orgueil de champion étaient atteints en plein cœur … Crucifié ensuite à Lourdes Hautacam par le Danois Bjarne Riis, il reçoit l’accolade de son successeur à l’arrivée dans son fief de Pampelune, alors qu’un héritier bien plus jeune émerge du chaos de ce Tour de France 1996, l’Allemand Jan Ullrich et son physique de cyborg. Ironie du destin, l’année 1996 marque le changement d’équipementier du maillot jaune du Tour de France, qui signe un contrat avec Nike, dont le nom vient de la déesse grecque de la Victoire, Athéna Niké. La victoire encore et toujours, cette valeur refuge, cette assurance fournie par un coureur de l’envergure de Miguel Indurain.

Père tranquille Indurain ? Peut-être un peu, lui qui a investi dans l’immobilier à Benidorm, sans rancune pour la modeste sixième place acquise derrière Bugno, Jalabert et consorts au Mondial sur route 1992.

Toujours au quotidien suisse L’Impartial dans cette interview du dimanche 25 juillet 1993, Miguel Indurain montre qu’il n’a pas succombé à la folie des grandeurs ou à quelconque sirène ou autre tentation de Venise. Le Navarrais a la tête sur les épaules en tant qu’homme, pas seulement en tant que coureur cycliste : Je suis copropriétaire avec Marino Lejarreta et Julian Gorospe, mon coéquipier, du Forum des sports, une grande surface d'articles sportifs. A Pampelune, je suis aussi concessionnaire Mazda, avec Eusebio Unzue, mon premier entraîneur, qui est directeur sportif adjoint à Banesto. J’ai aussi investi dans un hôtel à Fuentarabie.

Cette phobie presque viscérale pour l’improvisation, cette aversion des risques d’Indurain venait aussi de l’évolution des mœurs et des dogmes du sport cycliste, révolutionné par Greg LeMond sur l’approche du calendrier et l’inflation des salaires, le pionnier californien ayant brisé deux totems, le premier avec l’aide de Bernard Tapie et le second avec la bénédiction de ses proches. Ainsi, à l’inverse de Merckx ou d’Hinault, qui tiraient la quintessence de leurs qualités intrinsèques sur la moindre parcelle d’asphalte à la façon de guérilleros de la petite reine, Miguel Indurain gérait en épicier, en bon père de famille, le livret A que constituait son pécule de secondes. Le plus grand écart créé sur un dauphin fut 5’39’’ sur Piotr Ugrumov, loin des 7’17’’ de Lance Armstrong sur Joseba Beloki en 2002 (à la pédale, les 7’37’’ de 1999 sur Alex Zülle devant 6’03’’ à la chute du Suisse au passage du Gois), sans même évoquer les 17’54’’ pour le zénith du Cannibale Merckx que seule la mission Apollo 11 d’un autre Armstrong (Neil) éclipsait en ce mois de juillet 1969 qui sépara le bon grain de l’ivraie, soit l’intouchable Bruxellois des simples mortels qui le suivaient au classement général : Pingeon, Poulidor, Gimondi et consorts, qui se doutaient qu’une razzia d’une intensité jamais atteinte ne faisait que commencer : Veni, Vidi, Vici, en trois semaines tel Jules César dans l’Antiquité, Eddy Merckx venait de brandir le sceptre du vainqueur. Le Belge avait atteint le nirvana, l’accomplissement suprême, l’épanouissement ultime, et l’osmose parfaite avec son vélo. Jamais sans doute, exception peut-être du Coppi de juillet 1952, un coureur n’a autant écrasé que le Tour de France, avec une épopée dantesque vers Mourenx comme l’Italien avait été parachever son maillot jaune en battant ses rivaux au sommet du Puy-de-Dôme.

Mais quand le seul objectif de la saison est le Tour de France, avant le Championnat du monde sur route comme plan B, l’échec est interdit, à la façon d’un paradigme booléen : victoire ou défaite, comme l’avait indiqué par la suite un autre esclave stakhanoviste du Tour de France, le Lance Armstrong 2.0, ce rescapé du cancer du septennat d’imposture 1999-2005, cet usurpateur venu du lointain Texas qui tirait la substantifique moelle d’un organisme boosté par le docteur Ferrari et ciselé tel un diamant à l’entraînement, une fois avoir refermé les démons du dopage dans la boîte de Pandore surveillée par le Ponce Pilate de Lausanne, alias Hein Verbruggen, président d’une UCI qui avait décidé de ne pas nettoyer les écuries d’Augias dans lesquelles baignait le cyclisme des années 90, dans cette fange nauséabonde d’un sport gangréné par ce fléau EPO, au nom de l’intérêt suprême de la poule aux œufs d’or.

Reste la question du panache et de la fougue, du goût de l’impossible. Si l’on prend au mot Pierre Chany et son goût de l’étymologie, le Petit Larousse définit le panache comme l’éclat, le brio, le fait d’avoir fière allure. La maestria de Miguel Indurain fut souvent incontestable, bien que dépourvue de cette rage de vaincre, de ce côté artiste et imprévisible qui fait lever les foules … Quant au fait d’être un champion, le dictionnaire se range aussi comme avocat de la cause Indurain : Athlète ou équipe qui remporte la première place dans une compétition sportive. Personne qui excelle dans un sport. Le palmarès d’Indurain fut un almanach de la première place, de la médaille d’or, le qualificatif de champion ne saurait lui être contesté. Là où le bât blesse pour le roi Miguel, c’est bien sur l’absence de ce grain de folie, de cette capacité à rester maître de soi en toutes circonstances, à ne pas céder à l’euphorie du moment, à vouloir tout faire exploser sans se soucier des conséquences, tel un Gaul, un Pantani ou un Merckx …

Miguel Indurain n’avait pas l’esprit d’un conquistador, d’un cow-boy, d’un pyrotechnicien ou d’un condottiere. Il n’était pas un romantique pas plus qu’un électron libre à la Claudio Chiappucci, ce grimpeur venu de Toscane qui avait sans cesse des fourmis dans les jambes. Il n’avait pas la propension à démarrer dans un col tels Marco Pantani, Federico Bahamontes ou Charly Gaul, escaladeurs déployant leurs ailes et faisant se soulever les foules par leurs fulgurances, à la recherche d’exploits majuscules parfois atteints, à Aix-les-Bains (Gaul en 1958) ou aux Deux-Alpes (Pantani en 1998). Il n’était pas un loup-garou atteint de lycanthropie au mois de juillet, non pas sous la pleine lune mais sous le plein soleil au zénith. Personne n’aurait cependant misé un kopeck sur son coup de Jarnac sur les routes ardennaises sur la route de Liège, en 1995, pendant qu’à l’avant-garde du peloton, chacun se regardait en chiens de faïence, surpris par cet abordage d’un homme qui se refusait au coup de pédale superflu, à dynamiter la course, à descendre dans l’arène tel un gladiateur, à dégainer son sabre tel un samouraï, à partir à l’abordage tel un pirate se consumant d’impatience d’en découdre. Mais ne pas gagner d’étape en ligne entre 1991 et 1995 était un crime de lèse-majesté aux yeux de Pierre Chany, alors que l’Indurain coéquipier de Perico Delgado avait levé les bras deux fois dans ces Pyrénées limitrophes de sa Navarre natale, en 1989 à Cauterets puis en 1990 Luz Ardiden. Mais c’était avant que la chrysalide ne se mue définitivement en papillon, en sphinx aux ailes jaunes, sphinx de par son caractère impassible, de ce visage silencieux au sourire placide telle la Joconde.

Pas une fois, même sur la route de Liège, Miguel Indurain n’a cédé à ce zeste de folie et de fantaisie qu’on espérait voir en lui. Mais la fourmi espagnole a su dompter de façon implacable les cigales italiennes (Bugno, Chiappucci, Pantani), suisses (Rominger, Zülle), ex-soviétiques (Berzin, Ugrumov), américaines (LeMond, Hampsten), néerlandaises (Breukink) et françaises (Virenque, Leblanc, Jalabert) qu’on lui opposa durant son quinquennat à l’intérêt inversement proportionnel à sa domination sportive. Regarder la peinture sécher ou l’herbe pousser aurait été à peine plus ennuyeux, tant Indurain écrasait ses contemporains, tel Jupiter sortant la foudre. Il ne recherchait pas plus Byzance que le Pérou, ne se trompait de cible, qu’il atteignait avec la précision d’un sniper sans émotion. Il ne prenait pas le risque d’un feu d’artifice inutile, courant à l’économie, l’idée de rentrer bredouille à Paris, sans cette seconde peau faite de jaune. Comme Niki Lauda sur quatre roues, Miguel Indurain ne s’offrait jamais de récréation, obsédé par sa mission et conscient du sacrifice fait par ses coéquipiers de Banesto, lui qui avait reçu une éducation érigeant le travail en valeur suprême. Mais Banesto le lui rendait bien, par un salaire qui n’était que le dividende logique des gains que la banque avait obtenu à la fois par des économies sur ses dépenses de publicité, mais aussi sur les dépôts bancaires additionnels reçus du fait de la formidable notoriété du champion de Pampelune.

Le mercredi 26 juillet 1995, dans un article intitulé « Banesto, la bonne affaire », le quotidien L’Equipe expliquait, à propos de l’équipe Banesto, à quel point un champion de grande envergure, un sportif d’un tel calibre, valait toutes les dépenses publicitaires du monde : La banque Banesto qui parraine l’équipe de Miguel Indurain a gagné en juillet environ 90 milliards de pesetas (3.7 milliards de francs) en dépôts supplémentaires grâce à une campagne publicitaire basée sur le quintuple vainqueur du Tour. Durant les vingt-trois jours que compte le Tour de France, 36 milliards de pesetas ont été apportés par de nouveaux clients qui ont ouvert un compte. La banque a par ailleurs évalué à 15 milliards de pesetas ce qu’elle aurait dû payer annuellement comme publicité pour le temps pendant lequel Indurain est apparu à la télévision, a été entendu à la radio ou lu dans la presse écrite. Pour mémoire, Banesto a investi 1.8 milliard de pesetas dans son équipe cycliste, 350 millions de pesetas correspondant au salaire de Miguel Indurain. Rappelons que la banque privée Banesto avait été mise sous tutelle de la banque d’Espagne en décembre 1993, puis rachetée par Banci Santander en avril 1994. En dépit d’une politique d’assainissement, les dirigeants de Banesto n’ont pas hésité à poursuivre leur action dans le cyclisme.

Pas une fois, Miguel Indurain n’a soulevé l’enthousiasme des foules ou sublimé la verve romantique des héritiers à L’Equipe d’Antoine Blondin et Pierre Chany, le premier écrivant à propos d’un héroïque Louison Bobet, après son odyssée du 14 juillet 1955, le Breton au maillot irisé étant touché dans sa chair et courageux digne de Sisyphe sur les pentes rocailleuses du Mont Ventoux, vers son objectif suprême, la cité papale d’Avignon. Qu’on lui donne les clés de la ville !

Parce qu’il a élevé le pragmatisme au rang de bushido et de code d’honneur auquel il n’a jamais dérogé, parce qu’il a privilégié le résultat à la manière sans jamais se renier et faire exception, Miguel Indurain a été au centre de critiques pour des puristes tels que Pierre Chany, attachés à la dramaturgie du Tour. Mais le cyclisme avait changé, avant même d’être totalement dénaturé par les oreillettes qui ont fait des coureurs du troisième millénaire des pantins manipulés par radio depuis la voiture du directeur sportif. Loin d’Eddy Merckx qui multipliait les initiatives sans que l’on sache ne jamais quelle serait sa dernière attaque, à la façon de poupées russes gigognes, Miguel Indurain fut un homme de raison plus que de passion. Le cœur a ses raisons que la raison ignore, mais l’inverse est peut-être vrai : la raison a ses raisons que le cœur ignore, et le cas de Miguel Indurain, colosse énigmatique, aurait certainement interpellé la curiosité de Sigmund Freud ou d’Emmanuel Kant, ces grands penseurs du psychisme et de la raison.

Placide et serein, taciturne et charismatique, Miguel Indurain n’avait pas ce killer instinct, il était tel à un boxeur qui épuisait l’adversaire après un premier uppercut, mais ne cherchait jamais le KO. La victoire aux points, suffisamment nette et sans bavure pour être indiscutable aux yeux du public et ne laisser place à aucune subjectivité, suffisamment claire et incontestable pour provoquer l’unanimité des juges.

Si bien que Miguel Indurain, comme d’autres, a remis au goût du jour l’effet underdog, ce désir qu’a le public de voir triompher un outsider, même si la foule n’a jamais été frapper l’Espagnol d’un coup de poing, tel Eddy Merckx atteint en 1975 au Puy-de-Dôme.

Est-ce un complexe d’Œdipe, lui qui a été élevé dans une famille pieuse de Navarre, dans le culte de l’effort et de la religion ? Loin du mythe de la caverne d’Ali Baba et du miracle, Miguel Indurain a d’abord cru en sa propre étoile par le travail, ne forçant pas la porte du saloon tel un shérif, comportement qu’un Lance Armstrong avait adopté dès 1993, gagnant le titre de champion du monde sous la pluie norvégienne d’Oslo … Ainsi, pas plus qu’il n’a brûlé la politesse à Pedro Delgado, le champion de Ségovie restant leader de Banesto jusqu’en 1990, Miguel Indurain n’a voulu prendre le risque de victoires grisantes mais risquant de compromettre, tel un château de cartes, le seul objectif digne de son sacrifice : porter le maillot jaune sur la plus haute marche du podium parisien sur les Champs-Elysées, Mecque du cyclisme français, à travers cette quête de Graal renouvelée cinq fois tel un pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle.

Cartésien, rationnel, programmé pour gagner tel un ordinateur, Miguel Indurain fut le premier coureur bionique du cyclisme. Il faut se souvenir de ce géant de 1.88 m sur la rampe de lancement le lundi 13 juillet 1992 au Luxembourg, profilé dans un casque bleu non pas synonyme de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU, mais d’œuvre de destruction massive via une aérodynamique parfaite sur les routes grand-ducales, sorte de quadrature du cercle du contre-la-montre individuel … Le postulat de Pierre Chany part d’un constat simple : pas de victoire dans une étape en ligne. Mais comme le dit la Fontaine dans la fable du lièvre et de la tortue, rien ne sert de courir, il faut partir à point. Gagner une étape n’est pas une fin en soi, un accomplissement mais un moyen comme d’autres de briguer le maillot jaune, la victoire finale dans ce marathon cycliste qui alterne plaines et montagnes, canicule et pluie, pavés et goudron. S’éparpiller, vouloir voltiger est l’ennemi à combattre sur le Tour, cette tentation de l’attaque non justifiée dans cette épreuve de grand fond où il faut user de parcimonie, même si l’on peut dire que Miguel Indurain a lui abusé de parcimonie et de prudence. Son sang-froid était tel qu’il pétrifiait ses rivaux, qui craignaient un retour de manivelle en cas d’attaque. Tout autant que dans les contre-la-montre, Indurain avait brisé certains de ses adversaires sur le plan mental et tactique. Afin de réduire le risque d’échec à l’heure où un sponsor a besoin de la Grande Boucle comme d’un vecteur de communication décisif pour sa notoriété et son développement économique, Miguel Indurain avait choisi de s’appuyer sur son atout maître, le contre-la-montre, tel Jacques Anquetil trois décennies plus tôt. Qui peut lui en tenir rigueur à une époque où les enjeux financiers de la Grande Boucle étaient incomparablement plus grands qu’à celle de Coppi, Koblet, Robic, Magni, Bobet, Vietto ou encore Bartali, idoles des foules et héros récurrents des premiers papiers de Chany à L’Equipe ? Œuvre gigantesque d’Henri Desgrange pérennisée par Félix Lévitan et Jacques Goddet puis Jean-Marie Leblanc, le Tour de France est devenu un mastodonte médiatique seulement dépassé par les Jeux Olympiques et par la Coupe du Monde de football, un feuilleton qui passionne les foules d’Europe (et du monde entier) comme les Grands Prix de Formule 1 si bien mis en scène par Bernie Ecclestone via les tubes cathodiques.

Plus de vingt ans après son cinquième triomphe sur les pavés des Champs-Elysées, l’empreinte de Miguel Indurain reste indélébile, et il fait partie des champions mythiques du cyclisme, plus champion que mythique certes, car rentrer dans la légende signifie accomplir des actes extraordinaires dont l’Histoire se transmet de père en fils, or Big Mig fut surtout extraordinaire contre le dieu Cronos et le temps qui s’égrène, contre la clepsydre de l’effort solitaire, plus que contre ses semblables. Mais si une ombre vient se glisser sur la silhouette de l’homme qui a surclassé le Tour de France entre 1991 et 1995, c’est à cause de la très forte suspicion qui règne sur la propreté de ses maillots jaunes et des vases de Sèvres soulevés. A-t-il complètement mérité cette porcelaine noire et ce nylon doré ? Par sa sagesse tactique et son sang-froid remarquable, sans nul doute en effet. Mais protégé par l’omerta en vigueur à l’époque, sorte de violon d’Ingres d’un microcosme cycliste élevé dans le culte de la diversion (tel Gianni Bugno et sa miraculeuse musicothérapie entre 1989 et 1990), métamorphosé en étalon infatigable par l’EPO, le poulain de Sabino Padilla défraye la chronique même s’il reste, sur le plan du palmarès protégé par la digue ubuesque le séparant des pestiférés du cyclisme : ses suivants directs sont passés aux aveux, Bjarne Riis en 2007 et Jan Ullrich en 2013, tandis que Marco Pantani a vécu l’enfer après son exclusion du Giro 1999, année où débuta le septennat hégémonique de Lance Armstrong qui sentait le soufre à plein nez, qui laisse désormais un trou de sept ans aussi grand qu’une caldeira volcanique, une trace aussi indélébile qu’une météorite … Telle Rome incendiée par Néron ou Pompéi ravagée l’éruption du Vésuve, le cyclisme a connu son Armageddon entre 1998 et 2012, entre les horlogers zélés de Festina et les facteurs bleus de l’US Postal, ces schtroumpfs aux pouvoirs démesurés, pour ne pas dire miraculeux, auxquels ont succédé des maillots aussi noirs que le casque de Dark Vador, le Team Sky d’un autre géant, le Kenyan Blanc, alias Chris Froome, qui s’entraîne dans l’anonymat, sur les pentes d’un autre volcan, le Teide, sur les îles Canaries.

A la question posée par Pierre Chany en 1993, la réponse est subjective mais plutôt positive : oui Miguel Indurain remplit les critères d’un champion mythique même si un CV de coureur n’est pas un passeport pour la postérité, seule la mémoire collective se chargeant de cette mission impitoyable, entre gotha sportif et aura immortelle d’un côté avec métempsycose offerte par les comparaisons du landerneau journalistique, et oubliettes sans retour de l’autre, tel un aller-simple pour le purgatoire. Depuis 1993, le contexte autour du Tour de France a changé autant que le papier de l’époque a jauni sous l’effet du temps qui passe. L’écho du silence et de l’omerta de ceux qui ont usurpé le maillot jaune dans l’Hexagone sont devenus bien plus insupportable aux anciens moutons de Panurge (alias le grand public), que l’absence de panache de Miguel Indurain, qui à défaut d’avoir offert au public européen des joutes d’anthologie et des montagnes russes d’adrénaline. L’œil du cyclone reste bien niché au cœur de ce triangle des Bermudes à trois sommets que constituent l’Ile-de-France, les Alpes et les Pyrénées … Le problème a changé, et si Miguel Indurain n’a jamais eu ce petit supplément d’âme qui nous rend nostalgique de son règne comme une madeleine de Proust, il est sans doute préférable de voir un cyclisme lisse sans oreillettes qu’un cyclisme se jouant par procuration, même si certains ont toujours le goût de l’attaque, tel Alberto Contador. Mais sans Miguel Indurain, Alberto Contador serait-il devenu un champion cycliste ? Rien n’est moins sûr ! Vous avez quatre heures ...


Lire l'article complet, et les commentaires