Ivan Lendl, Andre Agassi, Andy Murray : le syndrome de la poule mouillée

par Axel_Borg
lundi 8 octobre 2018

16 janvier 1981, New York City, Madison Square Garden. Dans le troisième match du groupe 2 de la Masters Cup de l’ATP, Jimmy Connors et Ivan Lendl s’affrontent pour la première place, celle qui fera affronter à son futur titulaire un certain épouvantail venu de Suède, Bjorn Borg. Vaincu en deux sets par Jimbo (7-6, 6-1), Lendl se fait traiter de poule mouillée par l’Américain, viscéralement attaché à l’idée que le Tchécoslovaque a balancé le match pour éviter l’ogre scandinave en demi-finale … Jusqu’au dimanche 10 juin 1984 et sa première victoire en Grand Chelem sur l’ocre parisien de Roland-Garros, ce maudit surnom lui collera à la peau tel le sparadrap du capitaine Haddock ...

En janvier 1981, le tournoi des maîtres de la saison 1980 (alias Volvo Masters à l’époque) commence par la double défaite inattendue des deux favoris Björn Borg et John McEnroe, laminés comme de vulgaires fétus de paille, respectivement par Gene Mayer (6-0, 6-3) et José Luis Clerc (6-3, 6-0). C'est à cette occasion que Jimmy Connors traite Ivan Lendl de poule mouillée, l'accusant d'avoir balancé leur rencontre lors du dernier match de poule, dans le but de finir deuxième et ne pas affronter Björn Borg en demi-finale. Aux yeux de l’Américain, Lendl avait franchi le Rubicon, et Connors lui jette publiquement l’opprobre, lui qui avait dans son ADN, comme Hewitt ou Nadal bien plus tard, le refus viscéral de la défaite pour seule tactique. La tactique s'avéra payante puisque Lendl alla en finale tandis que Connors échoua en demi contre Borg. Ce surnom resta affublé à Ivan Lendl jusqu'à sa première victoire en Grand Chelem en 1984, à Roland-Garros.

Car si l’on excepte une victoire en Masters Cup 1982 (en janvier 1983 respectivement), le Tchécoslovaque va enchaîner les finales perdues en Grand Chelem, pérennisant un statut de loser à effet boomerang, puisqu’on lui rabâchera les oreilles avec le cruel surnom de poule mouillée donné par Jimbo¸ avec qui la détestation est réciproque. Au concours Lépine de la petite phrase assassine, Connors avait le talent d’un homme politique, et l’effet fera mal au joueur d’Ostrava, qui enchaîne donc les quinzaines où il rentre bredouille, profil bas et mine renfrognée, avec le trophée du vaincu lors du dernier dimanche :

C’est le dimanche 10 juin 1984 qu’Ivan Lendl devient enfin un champion, à presque 24 ans en finale de Roland-Garros : le papillon sort enfin de sa chrysalide. En face, John McEnroe, virtuose du tennis offensif, marche sur l’eau en cette saison 1984, à la façon du bulldozer Djokovic en 2015 : un véritable OVNI que personne ne peut arrêter. Mais comme le Serbe, bien qu’intouchable sur la saison entière et plébiscité meilleur joueur du monde sans aucune contestation possible, Big Mac voit la belle mécanique s’enrayer à une marche du sacre Porte d’Auteuil. Il continue de tutoyer la perfection pendant deux sets, 6-3, 6-2. Mais McEnroe rate l’occasion d’inscrire son nom au palmarès du French Open : il se déconcentre durant le troisième set par la faute d’un caméraman de la chaîne américain NBC.

Big Mac laisse Lendl revenir dans le match (6-4 pour le natif d’Ostrava). On pense que McEnroe va remettre le bleu de chauffe au quatrième set mais Lendl l’emporte 7-5. A deux sets partout, tout est possible, il va falloir aux deux joueurs puiser dans leurs ressources mentales et physiques. L’Américain, sans s’effondrer, ne propose plus cette incroyable virtuosité qui reste encore aujourd’hui la madeleine de Proust des amoureux du jeu offensif sur la brique pilée. Le public a les yeux de Chimène pour cet alchimiste de la raquette capable de coups sublimes ... Après une quinzaine de fulgurances et d’exploits majuscules, chacun s’attendait à voir le capricieux Américain cannibaliser la finale face à Ivan le Terrible. Il n’en est rien, malgré ce début de match stratosphérique ... Au lieu du Capitole, Big Mac finit dans la Roche Tarpéienne, le Tchécoslovaque s’accroche, gagnant le cinquième set 7-5 et donc le match : sa quête du Graal est achevée, Lendl vit son soleil d’Austerlitz en ce 10 juin 1984. Désormais, il peut regarder ses rivaux McEnroe et Connors dans le blanc des yeux, désormais les deux Américains vont arrêter de le toiser avec ce mépris et cette condescendance pas du tout dissimulée, les sorties de vestiaire de Jimbo et Big Mac face à Lendl ressemblant à un western-spaghetti sans l’harmonica d’Ennio Morricone : silence pesant, regards en chiens de faïence ... Et l’aréopage des journalistes va arrêter de lui chercher des poux dans la tête avec ce surnom de chicken donné par Jimbo.

En ce dimanche de juin 1984, Lendl porte l’estocade au syndrome de la poule mouillée en même temps qu’il soulève la Coupe des Mousquetaires devant le public de la Porte d’Auteuil, sur un court qui deviendra avec celui de Flushing-Meadows et du Madison Square Garden (Masters Cup) l’un de ses bastions jusque fin 1987.

Grâce à cette finale du French Open 1984 qui brise le totem de la malédiction, Lendl comprend qu’il doit améliorer son endurance et sa résistance physique face à un McEnroe qui dégouline de talent pur. Le Tchécoslovaque va ensuite tirer la quintessence de son potentiel physique par le biais d’un entraînement stakhanoviste, et ainsi pérenniser les exploits au sommet du classement ATP, laminant la concurrence au milieu des années 80, malgré McEnroe, Becker, Edberg ou encore Wilander.

Entre Paris et New York, cet Ivan Lendl 2.0 métamorphosé devient par la suite un Terminator hégémonique et impitoyable, tandis que McEnroe est rattrapé par l’usure du pouvoir dans cet univers darwinien du tennis mondial. Mais le futur épouvantail Lendl avait connu deux rechutes avant de tout écraser sur son passage, façon bulldozer, à partir de l’US Open 1985 : finale de l’US Open 1984 (expédié en trois sets par un McEnroe stellaire) et finale de Roland-Garros 1985 (piégé tactiquement par un Wilander qui avait compris qu’il serait kamikaze de lutter en fond de court, le Suédois multipliant alors – avec bonheur- les montées au filet).

Le syndrome de la poule mouillée pose deux questions :

La première est celle des calculs d’apothicaires et autres épiciers dans le cadre d’une compétition sportive. Si le calcul est relativement acceptable en Formule 1 dans le cadre d’un championnat récompensant la régularité (stratégie adoptée par Jackie Stewart en 1973, Alain Prost en 1986, Ayrton Senna en 1991 ou encore Fernando Alonso en 2005, faute de disposer de la meilleure voiture du plateau), il ne l’est plus quand la conséquence directe est de fausser l’adrénaline de la compétition, en choisissant son prochain adversaire dans un tournoi de tennis ou de football. Dans les deux cas, le problème du respect du public, qui a payé sa place dans les gradins d’un stade, d’un court ou d’un autodrome, et du postulat sur lequel repose le sport tout entier (que le meilleur gagne) se pose également …

La logique économique et le diktat des télévisions et autres sponsors a conduit les sports les plus médiatiques à augmenter le nombre de matches dans les tournois. Pour cela, on limite les matches couperets à élimination directe pour commencer par des phases de groupes.

En 1974, la FIFA propose un nouveau système pour la neuvième Coupe du Monde en Allemagne, avec la suppression des quarts de finale et demi-finales (en vigueur depuis 1934). A la place, l’instance de Zurich propose un deuxième tour sans saveur qui restera la norme jusqu’en 1982, avec le fabuleux Italie – Brésil (3-2) de Sarria.

1982 est aussi l’année où Joao Havelange, soumis à la férule d’Horst Dassler (Adidas), fait passer le nombre de d’équipes qualifiées de 16 à 24 pour la phase finale, soit de 4 à 6 groupes de 4 équipes chacunes au premier tour (soit 36 matches au lieu de 24), et donc de 2 groupes de 4 équipes à 4 groupes de 3 équipes au deuxième tour (soit 12 matches à chaque fois), avec le retour des demi-finales.

Le retour à un tableau complet avec huitièmes et quarts se fera en 1986. A Gijon en 1982, la Coupe du Monde vivra le match de la honte, avec un affreux arrangement entre RFA et Autriche. Déjà qualifiés, les Autrichiens laissent les Allemands gagner, la RFA ayant perdu quelques jours plus tôt contre l’Algérie. Après ce scandale, la FIFA, contrainte de descendre de sa tour d’ivoire, fera jouer en même temps les derniers matches de chaque groupe.

Le tennis a lui aussi cédé à la tentation et aux sirènes de la logique économique, instaurant des groupes pour sa Masters Cup, qui réunit chaque année les 8 meilleurs joueurs de la saison écoulée. C’est ainsi que Jimmy Connors accusa Ivan Lendl de jouer gagne-petit pour éviter Borg en demi-finale du Masters 1980.

En ce mois de janvier 1981 à New York, le destin se chargea de punir Connors pour ses accusations non avérées, et Lendl pour son potentiel calcul de gagne-petit, puisque Borg les battit tous les deux au Masters 1981, Jimbo en demi-finale puis Ivan le Terrible en finale !

Alors, pourquoi ne pas envisager une Masters Cup sans phase de poules ? Le suspense d’une compétition sportive est la clé de voûte qui permet au public d’avoir envie de payer sa place ou son abonnement télévisuel. On pourrait imaginer les 8 figures de proue du classement ATP s’affrontant dès les quarts de finale (voire même un top 16 dès les huitièmes pour compenser la baisse du nombre de matches, mais la compétition serait moins élitiste), avec un statut de tête de série pour les 4 premiers mondiaux et un tableau comme suit

Quarts de Finale :


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