La Fédération française de football dans la tourmente
par Paul Moffen
mardi 3 mai 2011
Les révélations de MédiaPart et la décision de la ministre des Sports de suspendre François Blanquart, le directeur technique national de la Fédération française de football, éclaboussent le milieu sportif. Elles interrogent des « pratiques » qui pour quelques initiés ne sont pas surprenantes, à l’aune des polémiques que traverse l’Equipe de France. « La comédie » a régné en maître incontesté, quelques heures après l’emballement médiatique.
L’attitude des cadres a de quoi laisser pantois. L’union sacrée était de mise… Les uns et les autres, juraient, la main sur le cœur, ne jamais « avoir eu connaissance d’un tel projet » : la mise en place de quotas pour « limiter à 30% » l’entrée de joueurs « africains » et « arabes » dans les centres de formation.
L’heure était au démenti, au déni. Voire au renversement de la charge. MédiaPart était accusé d’être à l’origine d’une rumeur « infâme ». Pire : de salir l’honneur d’hommes dont la philanthropie, la réputation, au fil des épreuves, n’étaient plus à démontrer. Des journalistes comme Pierre Salviac-pour ne citer que lui- s’indignèrent plus « des méthodes employées » que des paroles à caractère raciste, proférées lors de cette réunion à huis clos. Connaître le nom de « la taupe » (sic) était plus important pour ces « techniciens » que les dérives xénophobes des participants. Des grands écarts, mettant à sac les valeurs de la République. « La valse des hypocrites », pour parer aux critiques, a fait feu de tout bois.
Des entraîneurs, au nom d’un corporatisme à peine voilé, ont multiplié les déclarations, réaffirmé leur confiance aux « réformateurs », criant au scandale… à la désinformation. Devant l’omerta des dirigeants, le « culte du secret », le site d’information, acculé, a publié le verbatim pour que des langues rendent gorge.
Les résultats ne se sont pas fait attendre. François Blanquart a du reconnaître l’existence d’une discussion autour d’une politique discriminatoire et des divagations peu amènes : « Oui, il faut des espèces de quotas, mais il ne faut pas que cela soit dit. » Des discours dignes des plus belles épopées de l’Empire colonial où l’anthropologie physique se refaisait une beauté… trouvant grâce auprès des sélectionneurs.
Tous seraient unanimes : « Il y a trop de grands Noirs athlétiques et pas assez de petits Blancs qui ont l’intelligence du jeu dans le foot français. » Et feu Laurent Blanc d’ajouter, en observateur averti : « Et qu’est-ce qu’il y a comme grands, costauds, puissants ? Des Blacks. C’est comme ça. C’est un fait actuel. Dieu sait que dans les centres de formations et les écoles de football, il y en a beaucoup ». Des sésames que l’actuel sélectionneur des Bleus qui, après avoir contesté l’authenticité des bavardages, bat sa coulpe, aujourd’hui. Qui l’aurait cru ?
Une enquête est en cours et si « conspirateurs », il y a, ces derniers sont sur la sellette.
Ce qui se passe est, disons-le, l’aboutissement d’une déconstruction. D’un discours essentialiste qui à force de répétitions, de saillies et sur fond de crise, a conquis des cœurs à la Fédération malgré des campagnes de lutte contre le racisme, fortement médiatisées. Il suffit d’établir la liste des « francs-tireurs » pour remonter le fil d’Ariane, comprendre le changement de ton. Comment on est passé, en moins de 15 ans, pour aussi invraisemblable que cela puisse paraître, d’une culture universaliste… à une culture identitariste dans les stades. Le premier homme politique en France, à introduire la notion de race, à douter du patriotisme « des joueurs de couleur », c’est Jean-Marie Le Pen, président d’honneur du Front national, lequel s’en prend violemment à Christian Karembeu en 1992. Accusant des Français de déloyauté au prétexte qu’ils ne chantent pas la Marseillaise, le tribun d’extrême droite répand l’idée qu’ils ne représentent pas « la vraie France. » Qu’ils trahissent le drapeau tricolore. Un étendard qui fit la gloire des patriotes… des Roger Holeindre. La boîte à pandore s’ouvre. L’intelligentsia s’y engouffre.
Cette « analyse », bien qu’elle soulève un tollé, séduit des notables en marge, des essayistes notoires, passionnés de ballon, convertis au nationalisme de résistance, par peur d’un métissage généralisé. A commencer par l’écrivain, Alain Finkielkraut qui confie à l’hebdomadaire Haaretz en 2005 : « Les gens disent que l’équipe de France est admirée par tous parce qu’elle est black-blanc-beur. En réalité, l’équipe nationale est aujourd’hui : « black-black-black », ce qui en fait la risée de toute l’Europe. » Une prise de risque qui vaut jurisprudence, ralliement.
Le président défunt du Conseil régional du Languedoc Roussillon, George Frêche, apporte, lui aussi, son expertise. Trop heureux de participer à la polémique, dans l’espoir de débaucher des électeurs frontistes : « Quand je vois certaines équipe de foot, ça me fait de la peine (…) Mais là, s’il y en a autant (des Noirs), c’est que les Blancs sont nuls (…) j’ai honte pour ce pays. Bientôt, il y aura 11 Blacks. »
Les propos de ce « socialiste hors normes », condamné par la classe politique mais porté aux nues par ses administrés, trouvent un écho « remarquable » dans le pays. Une nation qui doute d’elle-même. Qui, en ce début de siècle, s’interroge sur ses racines chrétiennes. Un héritage, que ses sentinelles estiment menacé par les immigrés et une présence trop visible de l’islam…
La création d’un ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration en 2007, met de l’huile sur le feu, insinuant que « certains » ont moins « le culte des morts » et du devoir… que d’autres. Plus attirés par les sirènes du communautarisme, la tradition de leurs pères, l’argent facile. Quand ce n’est pas une inclinaison pour la délinquance, « la triche. »
« Le débat sur l’identité nationale », la burqa, les cursives « nauséabondes » divisent les Français, chambardant les concepts classiques de la pensée, politisant à l’extrême les termes d’une discussion qui se veut, « rassembleuse… fraternelle. » Les binationaux deviennent, peu à peu, des suspects potentiels, des ennemis de l’intérieur qui coûtent cher à la nation et qui en retour… lui donnent si peu, la critiquent trop. A défaut de l’aimer.
Les discours décomplexés de l’UMP, les tirs groupés de ces chroniqueurs vedettes (Éric Zemmour, Yvan Rioufol, Alexis Brézet…), le fiasco en Afrique du sud – la grève de l’entraînement- essaiment la conviction populaire que les Noirs, les banlieues déshonorent la nation, salissent le Panthéon et ses idoles. Que c’est l’esprit de « caillera », la perte de l’autorité qui ont fomenté la mutinerie, l’anarchie. Un sentiment que partage la fédération, en osmose avec la plèbe, les « érudits. »
« La France, aimez-là ou quittez-là. » Une maxime qui, au départ, n’était pas adressée aux footballeurs mais qui a connu la joie du transfert au gré des rendez-vous manqués. Alain Finkielkraut, en « bon récidiviste »- il n’est pas le seul- se distingue par des réflexions « éclairées », hautement représentatives de la détérioration du climat en France, relayées par des médias, à la recherche de coupables, de boucs émissaires.
L’animateur de France Culture écrit dans une célèbre tribune du JDD, le 20 juin 2010 : « A la différence des autres équipes nationales, ils refusent en sales gosses boudeurs et trop riches, d’incarner leur nation (…) Si cette équipe ne représente pas la France, hélas, elle la reflète : avec ses clans, ses divisions ethniques, sa persécution du premier de la classe, Yoann Gourcuff. Ce qui est arrivé à Domenech est le lot quotidien de nombreux éducateurs et de professeurs dans les cités dites sensibles. Cette époque renvoie à la France le spectacle de sa désunion et de son implacable déliquescence (…) On a voulu confier l’équipe de France à des voyous, opulents et pour certains inintelligents, il faudra bientôt sélectionner des gentlemen. »
Le même jour, « le philosophe » ubiquiste, déclare sur Europe1, euphorique, au plus grand bonheur des journalistes, avides de petites phrases pour alimenter le feuilleton : « (…) Il faut prendre acte de ces divisions religieuses (…) C’est une bande de voyous qui ne connaît qu’une seule morale, celle de la mafia. »
Une litanie, loin de déplaire à Marine Le Pen, qui, surfant magistralement sur les peurs, dénonce « l’islamisation du football », la soumission des instances à l’anti-France. Celle des quartiers, de la « haine. » Ribéry, Abidal, Anelka, Evra sont désignés comme les chevaux de Troie de l’islamisme branché ou du vandalisme en col blanc. Des anti-héros, tournant le dos à « la France qu’on aime bien. »
Faut-il s’étonner alors, sarkozysme aidant, que des dirigeants poursuivent le débat, luttent contre la double nationalité, véritable « plaie » pour le football, dixit. Et ont pour projet de limiter le nombre de « Noirs et d’Arabes » dans les centres de formation ? Histoire de permettre aux « Blancs » de retrouver une place. Un « honneur » que la concurrence, la méritocratie à la républicaine leur ont volé par manque de talent, de motivation… et de compétence !
Étrange inversion des valeurs…
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(Source rue 89)
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(Source MédiaPart)