Le ballon rompt et après...

par C’est Nabum
mercredi 6 février 2013

Un témoignage sans concession sur le monde du football professionnel

L'envers du décor.

Nous retrouvons notre témoin footballeur. Il n'a pas eu peur de confier ses doutes et ses regrets sur son sport à un pourfendeur aussi virulent que moi. Il a bien du mérite et je le remercie sincèrement de ce risque insensé. En cela, il mérite toute mon estime. Je lui laisse la parole.

Le strass et les paillettes occultent tout le travail qu'il a fallu fournir pour devenir pro.

C'est un boulot monstre et en ce qui me concerne je l'ai vécu comme une ascèse. Il faut totalement s'y adonner en acceptant beaucoup de sacrifices. Au niveau affectif : amis, famille, amour, de 12 à 22 ans je n'ai pas eu une semaine de "vacances" !

Au début, pendant les vacances, il y avait les sélections et les stages. Puis, une fois pro on n'a pas vraiment de vacances. Généralement la fin du championnat arrive fin mai et la reprise le 15 juin. Alors que la famille, la copine, les amis sont en vacances, toi, tu es en pleine préparation avec ton club...

C'est d'ailleurs une des raisons qui me pousse à lui demander de venir témoigner dans ma classe. Le sport de haut niveau, c'est une débauche d'énergie, un investissement sans faille. Il faut énormément de sueur, d'efforts, de souffrance et du talent. Mais tout ça ne serait rien sans beaucoup de chance en plus !

Que mon témoin vienne leur un peu dire ses années de jeunesse passées à courir, dribbler, jongler, peaufiner sa technique, obéir aux ordres des entraîneurs, respecter l'arbitre et ses partenaires. Cela, mes élèves ne peuvent l'imaginer, eux qui ignorent souvent ce qu'est faire un effort et qui sont incapables de mettre leur orgueil dans leur poche.

J'ai pris aussi du plaisir à atteindre ce "Graal" en bossant physiquement et techniquement comme un forcené. Il faut être au top, toujours prêt. Pour y arriver, j'ai tout donné et presque tout sacrifié !

Mes élèves ne rêvent que des paillettes. Ils pensent que leur tour viendra, sans contre-partie. Un mirage qui les pousse à ne rien attendre d'autre de la vie. J'aime ce discours de vérité quand les journalistes sportifs ne veulent surtout pas briser l'illusion qu'ils sont chargés d'entretenir.

Quand j'ai été capable de voir l'envers du décor vers 18/19 ans, j'ai tout fait pour profiter de mes proches. J'ai aussi voulu me construire comme homme. J'avais trop vu d'anciens joueurs bardés d'argent qui, une fois leur carrière terminée, devenaient dépressifs, se ruinaient, n'avaient ni femme ni enfants, sombraient dans l’alcool ou autres addictions.

Ceux-là représentent la "norme" des sportifs retraités de haut niveau. D'eux, on se garde bien de parler. 
Mais le pire réside dans le pourcentage d'échecs au niveau des jeunes. Jusqu'à 85%. restent sur le carreau !

Voilà l'envers du décor, l'enfer de la sortie de route. De ça, naturellement il n'est pas question. Pourtant, ces jeunes gens, à qui, pendant leur carrière on fait tout (louer un appartement, acheter une voiture, les nourrir, ...) un jour, ils se retrouvent seuls dans la vie, sans caméra ni supporter et la dépression est terrible. Les agents ont disparus, les clubs les ont oubliés et la vraie vie les rattrape.

Quant un parent met son fils dans un centre sportif d'élite, quel que soit le sport, il n'est même pas conscient qu'il le mène à "l'abattoir". L'échec à l'issue de l'aventure est quasiment certain.

Le pire, ce sont les proches et leurs projections, leurs rêves fous.

Moi, dans ma famille personne n'était sportif. C'était un peu ma chance ! De cette expérience, j'ai beaucoup appris en essayant de ne pas me faire broyer par le système.

Et nous touchons ici du doigt l'immense responsabilité des parents. S'il est fréquent maintenant de ne plus les voir à l'école, ils sont très présents sur le bord des terrains, à vociférer, à pousser leur gamin pour obtenir cette réussite par procuration. Ils sont une plaie pour les éducateurs sportifs qui songent d'abord à ce que les enfants prennent du plaisir, quand leurs géniteurs veulent des victoires et rêvent d'une carrière.

Pour moi, il est difficile d'échanger avec les gens de ce milieu du foot sur de tels sujets. Ils sont bien trop aveuglés par l'illusion que la télé leur présente continuellement. Il est vrai que ce système est un fléau qui a fait du foot un instrument pervers dont la mission est désormais de distraire le peuple, les jeunes, en les éloignant des valeurs essentielles de la vie collective !


L'individualisme est prôné et récompensé sur le terrain comme dans la société.
L'argent permet tout et en son nom, le footballeur pro s'autorise tout et n'importe quoi. Comme tous ceux qui ont beaucoup d'argent.

Et je me remémore des critiques d'amateurs de football après mon premier billet. « Comment osez-vous critiquer la dimension collective de ce sport ? ». « Le football n'est pas et ne sera jamais une activité qui met en avant l'individualisme ! ». Messieurs, prenez la peine d'écouter mon témoin. Lui, plus que moi naturellement, sait de quoi il parle et un jour, pas si loin, il fut de vos idoles !

On fait croire aux jeunes que tout le monde a une chance et peut atteindre la gloire et la richesse. Or, dès le départ, tout le monde n'a évidemment pas les mêmes chances. Dans le foot de haut niveau toutes les perversions de notre société sont portées en étendard, et ces perversions deviennent la 'norme' à laquelle aspirent les jeunes. Et ça c'est évidement une régression.

Je bois du petit lait ! Quel bonheur de lire ces mots. J'aurais pu écrire ces mots. Il y a une étrange convergence d'opinion. Je comprends mieux sa volonté de m'écrire et de me confier ce témoignage que je ne pouvais garder pour moi.

Personnellement je pense qu'il n'y a pas de fatalité. Tout passe d'abord par l'éducation, en ayant plus d'encadrants qui connaissent la réalité du "terrain" par leur vécu. Ces éducateurs doivent informer et sensibiliser les parents comme les enfants.


En ce qui concerne le sport professionnel, je crois qu'il faut prendre ce problème à la base, bien avant l'envie de devenir professionnel ! Chez les tout petits (5 à 10 ans) pas de problème, ils viennent par passion et ne sont pas encore touchés par cette folie.

À partir de 11 ans pour les "meilleurs", le milieu commence déjà à faire son travail de sape, surtout auprès des parent en leur faisant miroiter monts et merveilles. L'important c'est donc de ne pas louper la phase initiale. J'insiste pour encadrer aussi des jeunes afin de partager mon vécu avec les enfants qui débutent.

J'imagine mon vieil ami Henry, grand entraîneur de Rugby, référence au niveau national, lisant ce témoignage. Combien de fois avons nous tenu de tels propos pour un ballon d'une autre forme. Décidément, ce garçon mérite d'être connu. J'ai hâte désormais de le recevoir dans ma classe.

Éducativement leur.

Vidéo d'un autre envers : 


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