Le football est-il l’aliment des pauvres ?
par Aimé Mathurin Moussy
mercredi 6 février 2008
Au cours des années 1930 et sous l’impulsion des régimes totalitaires, la fonction du sport et des compétitions internationales est fondamentalement changée. Les activités physiques sont alors mises au service de la cause nationale. Au Cameroun, malgré la misère ambiante, le football réveille les accents patriotiques. Une réunion ad hoc du Premier ministre pour interdire la coupure d’électricité durant la Coupe africaine des nations, qui se déroule au Ghana depuis le 20 janvier 2008, la première dame qui envoie un charter de nourriture à l’équipe nationale, etc. Désormais, les athlètes courent, rament et luttent pour affirmer la vigueur et la puissance de leur peuple.
LE REICH FACON CAMEROUN
Le sport constitue le point d’orgue de ce processus. Il en est de même de la tournure que prend la Coupe africaine des nations de football. Tous les pouvoirs publics sont mobilisés, la nation entière doit être rangée comme un seul homme derrière le chef de l’Etat et son épouse. A l’époque du IIIe Reich, les Suisses n’étaient pas en marge, les champions helvétiques étant progressivement chargés par les autorités fédérales de défendre l’image de marque de la nation lors des jeux Olympiques de Berlin. L’équipe nationale de football du Cameroun doit faire pareil durant cette compétition. Parallèlement, l’indignation est grande auprès des opposants, déterminés à se saisir de l’occasion pour marquer avec force leur rejet de la politique nauséabonde de Biya.
Dès lors, l’enjeu est clair : la patrie doit-elle soutenir financièrement l’équipe camerounaise envoyée à la Coupe africaine à Accra ? Débats populaires houleux, pressions présidentielles, incidents politiques émaillent la controverse passionnante que retracent les choix de l’entraîneur Otto Psifer. L’enjeu se concentre ainsi sur la lutte qui oppose la fédération camerounaise de football, fervent partisan d’une indépendance dans la gestion du football, au ministère des Sports, fer de lance du mouvement de la mainmise de l’Etat sur la récupération politique et financière des victoires procurées par le football.
A partir de cette confrontation, le football met également au jour les nombreuses réactions que ces "manigances hitlériennes" ont suscitées au Cameroun. Il porte un regard inédit sur l’attitude du pays face à la montée en puissance inquiétante de l’autocratie de Biya et permet ainsi d’approfondir la réflexion sur l’attitude controversée du football durant la fin de mandature légale du pouvoir en place.
SPORT ET FASCISME
Cette instrumentalisation du sport vise à atteindre le paroxysme des Etats totalitaires. Le fascisme italien a inauguré cette pratique en exploitant politiquement à outrance le football. Comme le rappelle Ignacio Ramonet, les fascistes pensaient que le football permettait de rassembler dans "un espace propice à la mise en scène, des foules considérables ; d’exercer sur celles-ci une forte pression et d’entretenir les pulsions nationalistes des masses". Dans les années 20 et 30, les stades fleurissent dans toute l’Italie, comme celui de Turin nommé Benito Mussolini. En ce moment, le palais des sports en construction à Yaoundé pourrait s’appeler « palais des sports Paul Biya ». comme Mussolini, il ne dérogera pas à la règle du culte de la personnalité. Si le Cameroun remporte cette coupe. Au lendemain de cette victoire, on pourra lire dans le journal Cameroun Tribune : "Au lever du drapeau tricolore sur la plus haute hampe du stade, la multitude ressent l’émotion esthétique d’avoir gagné la primauté africaine dans le plus fascinant des sports. Et dans cet instant où est consacrée la grande victoire - fruit de tant d’efforts - la foule offre au premier sportif camerounais sa gratitude. C’est au nom de Biya que notre équipe s’est battue à Accra pour la conquête du titre africain".
Hitler avait compris l’intérêt que pouvait représenter le sport, il écrivait dans Mein Kampf : "des millions de corps entraînés au sport, imprégnés d’amour pour la patrie et remplis d’esprit offensif pourraient se transformer, en l’espace de deux ans, en une armée". Une armée de partisan qui pourra changer la Constitution et noyer dans ce brouhaha les problèmes sociaux, économiques, culturels et politiques des Camerounais.
Les conservateurs attendent cette victoire inespérée (dans un contexte où le régime se trouve en disgrâce sur le plan national et international) pour montrer la puissance de leur idéologie. Funk, un assistant de Goebbels déclarait : "Les Jeux sont une occasion de propagande qui n’a jamais connu d’équivalent dans l’histoire du monde". La Coupe des nations de football est, pour le régime de Yaoundé, un succès médiatique qui permet à ce régime aux abois de montrer sa puissance par l’intermédiaire des cérémonies gigantesques, préambule à ce que seront, quelques mois plus tard, ses conquêtes politiques.
LE SPORT COMME INSTRUMENT
Après la Seconde Guerre mondiale, la défaite du fascisme et du nazisme n’entérine pas la fin de l’instrumentalisation du sport. Une défaite à la Coupe des nations de football au Ghana n’empêchera pas ce régime aux relents despotiques de continuer dans sa lancée. Car, comme nous pouvons le constater il y a quelques années, Eric Honecker - alors secrétaire général du Parti communiste de la RDA - déclarait : "Le sport n’est pas un but en soi ; il est un moyen d’atteindre d’autres buts". Le sport sert de caisse de résonance au pouvoir en place et il nous a permis d’accéder à une reconnaissance internationale. La croissante médiatisation du sport a favorisé sa politisation. Le football sert le régime de Yaoundé, mais appauvrit les consciences citoyennes.
Les pays du bloc soviétique avaient saisi l’enjeu des victoires sportives. Ils se donnèrent les moyens de réussir et toute une partie de la jeunesse fut embrigadée ; elle forma les bataillons d’athlètes qui servirent la propagande. Les régimes staliniens, comme le souligne Ignacio Ramonet, n’hésiteront pas "à se livrer aux pires pratiques de sélection, de dressage, de conditionnement et de dopage pour fabriquer des champions et en faire les porte-drapeaux de leur politique". Sommes-nous si loin ? Au lendemain des jeux Olympiques de Munich de 1972, la Pravda déclarait : "Les grandes victoires de l’Union soviétique et des pays frères sont la preuve éclatante que le socialisme est le système le mieux adapté à l’accomplissement physique et spirituel de l’homme". Paul Biya peut-il se targuer, au travers du football, d’être parvenu à l’accomplissement physique et spirituel des Camerounais ?
Dans ce contexte de guerre institutionnelle pour l’alternance, la majorité silencieuse et les conservateurs se livrent une "guerre" par sportifs interposés. Face à la grogne des Camerounais, les succès des athlètes dans différentes manifestations sportives servent de vitrine au régime de Paul Biya.
Aimé Mathurin Moussy, Paris