Peut-on être footballeur et homosexuel ?

par Fergus
jeudi 9 septembre 2010

Dans un livre publié en décembre 2009 aux Editions Textes Gais et préfacé par l’ex-international Vikash Dhorasoo – « Je suis le seul joueur de football homo. Enfin, j’étais… » – Yoann Lemaire brisait un tabou : dénoncer l’homophobie des milieux sportifs. Un événement qui vient de connaître un nouveau rebondissement avec l’éviction du joueur de son club ardennais.

On ne badine pas avec l’homosexualité sur les bords de la Meuse. Du moins dans certains clubs de football. Yoann Lemaire l’a appris à ses dépens en se faisant évincer du club où il jouait depuis qu’il était gamin, le FC Chooz dont l’équipe première évolue en DHR (division d’honneur régionale) de la Ligue Champagne-Ardenne. 


Le tournant de sa carrière de footballeur amateur s’est produit en 2005. Tout le monde dans le club savait que Yoann Lemaire était homosexuel, il ne s’en cachait pas, ou si peu. Une situation acceptée par ses vieux copains de jeu, mais mal vécue par de nouveaux arrivants et des adversaires prompts à manier l’injure homophobe. « C’est dans ce stade (Charleville) que j’ai joué mon dernier match avec l’équipe première de mon club, le FC Chooz. J’ai pris un carton rouge, j’ai pété un plomb. Je me suis fait traiter de pédé tout le match, et à un moment donné, des mecs ont commencé à embrouiller ma mère dans les tribunes, en lui disant que son fils était une tarlouze. J’ai voulu aller les attraper par le col, et l’arbitre a fini par m’expulser. J’ai fait mon coming-out juste après ce match. » confie Lemaire aux Inrockuptibles en mars 2010.


Depuis cet épisode marquant, les choses se sont accélérées jusqu’à la publication du livre. Et les langues se sont déliées. Pour le pire et le meilleur. Le pire si l’on se réfère, d’une part aux propos clairement homophobes tenus par un coéquipier de Yoann Lemaire lors d’un reportage réalisé par France 3 et relayé par Canal +, d’autre part aux injures proférées sur Facebook par un dirigeant du FC Chooz exclus depuis du club. Le meilleur si l’on se réfère au soutien de la majorité des coéquipiers de Lemaire et à celui du Paris Foot Gay avec lequel le FC Chooz a, depuis le coming-out de Lemaire, organisé des rencontres dans le cadre de la lutte contre l’homophobie à laquelle travaille le club parisien en relation avec la FFF (Fédération française de football).


Viré de son club


Après des péripéties qu’il est inutile d’évoquer dans le détail, Yoann Lemaire reçoit le 27 août 2010 une lettre signée de Frédéric Coquet, président du FC Chooz, dans laquelle le dirigeant lui signifie que sa demande de licence est refusée « dans un souci de protéger les deux parties ». Comprendre d’un côté le joueur, de l’autre ses coéquipiers ; et parmi ces derniers, le joueur qui avait tenu des propos homophobes devant la caméra de France 3, propos non sanctionnables sur le plan juridique, avait alors plaidé Jean-Claude Hazeaux, président de la Ligue Champagne-Ardenne, en s’appuyant sur des textes réglementaires qui, en effet, ne visaient que les propos racistes ou xénophobes.


Des textes toujours en vigueur qui, malgré l’intervention outrée des dirigeants du Paris Foot Gay et celle de Rama Yade, la secrétaire d’État aux Sports, scandalisés par cette éviction, ne permettent pas à Yoann Lemaire de revêtir à nouveau, après des mois d’absence, le maillot du FC Chooz. Par chance pour lui, l’Ardennais n’est pas persona non grata dans toute la région, et c’est finalement à l’US Vireux, un club de promotion de ligue, que Yoann Lemaire pourra rechausser les crampons en restant fidèle à cette « pointe des Ardennes » à laquelle il est très attaché. « Je lui ai dit qu’il n’y avait pas de souci », a précisé à l’AFP M. Pino Mingolla, le président de son nouveau club, avant d’ajouter que la demande de Yoann Lemaire avait été acceptée à l’unanimité par les l6 membres du Comité de direction présents lors de la réunion au cours de laquelle on avait statué sur sa candidature.


Yoann Lemaire rechaussera donc les crampons et retrouvera peut-être, au sein de son nouveau club, ce poste de libéro qu’il a longtemps occupé au FC Chooz et qui semblait en parfaite adéquation avec sa stature athlétique. Puisse ce retour au jeu se faire dans le calme et ne pas être pollué par les contentieux non réglés entre le joueur et son ancien club. La lutte, juste et nécessaire, contre l’homophobie dans le football n’a rien à gagner à l’entretien de polémiques incessantes, de déclarations péremptoires et de conflits exacerbés.


Des homosexuels dans le football, il y en a toujours eu


Á cet égard, et si l’on soutient totalement Yoann Lemaire dans son désir de jouer sans être en butte à d’insupportables moqueries ou à de scandaleuses insultes homophobes, force est de constater qu’il n’a peut-être pas toujours agi avec discernement. Je sais par expérience que les joueurs de football n’ont en général strictement rien à faire de la sexualité de leurs coéquipiers, et je n’ai pas le souvenir, en 32 ans passés sur les terrains, de discussions sur ce thème, hormis les inévitables vantardises, ici et là, de quelques excités du slip. Quant à laisser entendre, comme l’a fait Yoann Lemaire dans son livre, que les joueurs homosexuels faisaient jusque là systématiquement l’objet de propos, voire d’actes homophobes, c’est tout simplement faux, quelques très rares exceptions mises à part et visant le plus souvent des joueurs au comportement délibérément ostentatoire et provocateur.


Des homosexuels dans le football, il y en a toujours eu, et tant durant mon parcours de joueur que durant les 10 années que j’ai passées dans l’encadrement de jeunes footballeurs, j’en ai connus dont l’orientation sexuelle était notoire dans les clubs. Non seulement des joueurs, mais également des dirigeants et des cadres techniques. Jusqu’à des entraîneurs de jeunes dont l’homosexualité était connue de tous sans que cela pose de problème à quiconque tant ces hommes étaient compétents, dévoués et à l’évidence étrangers à toute tentation pédophile. Une homosexualité présente jusque dans le corps arbitral si l’on en croit cet homme qui, sous le pseudo Doudou, écrivait le 15 décembre 2009 sur le site du militant et ex-député Jean-Luc Romero : « Moi, je suis arbitre gay, j’ai choisi d’en parler publiquement sur mon blog, mon Facebook. Et dans mon District tout le monde le sait. Bizarrement, cela s’est très bien passé. J’essaie de montrer que l’on peut vivre sa sexualité, même dans le milieu du football. »


Doudou a raison. C’est pourquoi j’invite Yoann Lemaire à jouer tout simplement sans porter son homosexualité en étendard sur son maillot de football. Ses coéquipiers de l’US Vireux savent qui il est, et quelle est son orientation sexuelle, mais cela ne les concerne définitivement pas, de même qu’ils n’ont pas à connaître sa situation économique ou les rapports qu’il entretient avec ses grands-parents. Des militants gays ont, à juste titre, revendiqué ces dernières années le droit non plus à la différence, mais à l’indifférence, autrement dit le droit de pouvoir exister sans avoir à justifier leurs choix sexuels, le droit de pouvoir se fondre dans la communauté comme tout un chacun. C’est dans cette ligne que doit désormais s’inscrire le joueur Yoann Lemaire. Place au football, et à lui seul !


Lien Canal + (janvier 2010)

Lien France-Info (6 septembre 2010)

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