Pourquoi les Bleus sont-ils surtout Noirs ?

par Paul Villach
vendredi 9 juin 2006

La question est délicate, mais elle ne laisse pas d’intriguer. L’Équipe de France de football professionnel qui participe à la Coupe du monde de football présente, en effet, un visage qui étonne à l’étranger. Ni la Grande-Bretagne, ni les Pays-Bas, ni le Portugal n’alignent, en effet, sur le terrain, autant de joueurs de couleur.

Déjà, en 1998, l’équipe de France avait été saluée, surtout après sa victoire, comme le symbole d’un pays harmonieusement métissé où l’alliance « black-blanc-beur » créait les conditions « d’une France qui gagne ». Joli rêve bleu ! Car depuis un certain match France-Algérie au stade de France, où l’hymne national a été copieusement sifflé, sans même qu’un premier ministre présent ne juge bon de broncher, et surtout après les émeutes des banlieues d’octobre/novembre 2005, il a bien fallu déchanter, et se rendre compte que cette communion lyrique sur les Champs-Élysées, le 12 juillet 1998, n’a pas résisté plus d’une nuit à la réalité des faits. Des mercenaires millionnaires - et même plus - donnés en exemple n’empêchent pas la gueule de bois quand on se réveille de son rêve et que la vie quotidienne reprend son cours sous la contrainte des mentalités réciproques.

UNE MAJORITÉ INVERSEMENT PROPORTIONNELLE

En 2006, l’Équipe de France est en majorité « black », avec quelques blancs et une pointe de beur : on peut en effet compter sur le terrain jusqu’à huit joueurs de couleur sur onze. Comment l’expliquer à un étranger qui s’interroge ? Car il voit bien que la proportion, en termes de couleurs, est rigoureusement inverse parmi les 62 millions de personnes que compte la population française. La question est d’autant plus délicate qu’il ne s’agit pas de tomber dans l’ethnisme, mais seulement de comprendre, en se gardant aussi, cependant, de toute frilosité bien pensante par peur justement d’être taxé d’ethniste - le mot « ethnisme » devant être préféré à « racisme » depuis que la génétique a montré que le concept de race n’est pas opérationnel parmi les hommes. Sauf erreur, en tout cas, l’attachement à l’égale dignité des personnes, quelle que soit leur couleur, n’interdit pas pour autant d’observer l’extraordinaire bigarrure d’un pays d’immigration comme la France et de surcroît ancienne métropole coloniale.

DES RÉPONSES CLASSIQUES

On entend déjà les réponses classiques qui peuvent être données.
- Cette « surreprésentation » des joueurs de couleur aurait ainsi la même origine que celle qu’on observe chez les champions éthiopiens, kenyans ou marocains dans les courses de fond en athlétisme : les complexions physiques d’origine africaine, que développe un mode de vie spécifique, seraient particulièrement performantes dans ce genre de sports. Cette explication convient-elle aux athlètes du sprint aux USA, où les coureurs noirs sont dominants ?
- On est alors tenté de trouver à cette « surreprésentation » des joueurs de couleur la même raison socio-économique qui explique, à l’inverse, la sous-représentation des « classes populaires » dans une promotion de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Baignant dans un milieu sous-développé culturellement, les gosses des cités ont une prédilection pour le football qui est leur passe-temps favori. La promotion médiatique incessante de ce sport tend d’ailleurs à leur faire croire qu’à défaut d’être un ascenseur social, il peut faire parfois office de nacelle : les meilleurs rêvent alors d’y monter. Même s’il y a peu d’élus, elle resterait pour eux la seule voie d’accès à la réussite sociale et financière. Et la preuve ? Ne compte-t-on pas parfois jusqu’à 8 joueurs de couleur sur le terrain pour un effectif de 11 joueurs ? Pourtant, parmi les jeunes qui pratiquent le football dans des clubs sur tout le territoire, les joueurs de couleur sont-ils à ce point majoritaires ? Il ne semble pas.

LES MÉCANISMES DE LA REPRODUCTION DES ÉLITES ?

D’où vient alors qu’au concours d’entrée dans l’équipe de France, cette sorte d’École normale supérieure du football, ce sont les joueurs de couleur qui soient reçus en majorité et les blancs, recalés ? L’entrée toute récente de F. Ribéry conduit à s’interroger : voilà un joueur qui est "un bleu" parmi les Bleus, mais qui à en juger par la qualité de son jeu, est loin d’être un débutant.

Pourquoi ne l’a-t-on pas recruté plus tôt ? Et on en vient alors à se demander si les mécanismes à l’œuvre dans la reproduction des élites - que Bourdieu a observés en particulier dans La noblesse d’État - , ne fonctionneraient pas de la même manière au niveau sportif mais de façon inversée.
- On admet volontiers, par exemple, que, pour un concours aux grandes écoles, qui propose 100 places à 1000 candidats et plus, il y en ait bien 150 ou 200 qu’il est difficile de départager, puisqu’on va jusqu’au centième de point pour le faire ! Et pour 11 places en équipe de France, est-il déraisonnable d’imaginer qu’au moins trente joueurs, sinon davantage, peuvent y prétendre, à compétences égales ? Qu’est-ce qui va décider d’un tri aussi serré, d’autant que « les copies » ne sont pas, dans ce cas de figure, anonymes ?
- On sait aussi que des agents recruteurs arpentent l’Afrique à la recherche de gamins virtuoses aux pieds nus dans la poussière de la latérite rouge. Par « immigration choisie », ils sont enlevés de leur plein gré à leur pays d’origine et intégrés à des clubs qui misent sur eux à terme, même s’il existe une marge d’échecs inévitable. Mais cela ne ressemble-t-il pas à ces « classes prépas » dites prestigieuses, comme celles du Lycée Henry IV à Paris, qui draînent sur le territoire français les meilleurs élèves et dont les pourcentages de réussite à l’entrée à « l’École » frisent forcément les 100% ? Ce qui expliquerait qu’on ait plus de chances d’intégrer Normale Sup’ quand on est un bon élève, enfant de cadre supérieur « coaché » par la « prépa d’Henri IV », et d’intégrer l’équipe de France de Football, quand on est un jeune virtuose d’origine africaine, « drivé » par un agent recruteur de l’ « immigration choisie ». Mais peut-être d’autres facteurs plus mystérieux entrent-ils... en jeu. Paul VILLACH


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