Rugby : le Tournoi fête ses 100 ans !
par Fergus
lundi 28 décembre 2009
1er janvier 1910. Partis la veille de Paris, les joueurs de l’équipe de France de rugby sont tendus en cette froide matinée hivernale : dans quelques heures, ils affronteront à Swansea la redoutable sélection du Pays de Galles pour le 1er match de l’histoire du « Tournoi des 5 Nations ». Le Coq gaulois contre le Poireau gallois. 100 ans déjà !
L’équipe de France a découvert le rugby britannique quatre ans plus tôt, en 1906. Curieusement, son premier match international ne l’a pourtant pas opposée à une équipe d’outre Manche, mais aux… All Blacks, alors en fin de tournée européenne. Des All Blacks qui, en 32 matches, ont aligné… 31 victoires et passé 839 points contre 39 à leurs adversaires. 1er janvier 1906 : devant 3000 spectateurs, les Néo-Zélandais l’emportent 38 à 8 au Parc des Princes. Mais, avec 2 essais marqués (contre 10 encaissés il est vrai), les Français n’ont pas été plus ridicules que certaines sélections britanniques, humiliées par les rugbymen des Antipodes.
Dès lors, les Français sont admis à rencontrer les sélections de Grande-Bretagne et d’Irlande, ce qu’ils font assez régulièrement mais sans être intégrés à la compétition (Home International Championship) qui, depuis 1884, oppose avec plus ou moins de vicissitudes l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande et le Pays de Galles. Ce 1er janvier 1910 est donc à marquer d’une pierre blanche : l’IRFB (International Rugby Football Board), prenant acte de la levée du véto écossais, a décidé d’élargir la compétition à la France, devenue en quelques années une nouvelle terre de rugby, notamment dans sa capitale et ses provinces du sud-ouest sous l’impulsion décisive des clubs universitaires.
Le 31 décembre 1910, les choses ne se présentent pourtant pas au mieux : 14 joueurs seulement sont présents peu avant le départ de la gare Saint-Lazare. Charles Brennus*, chef de la délégation et président du SCUF (Sporting Club Universitaire de France) décide alors, pour compléter l’effectif, de convoquer en urgence le Scufiste Joe Anduran qui travaille dans une galerie de peinture voisine. Le joueur arrive in extremis et peut embarquer dans le train avec ses coéquipiers principalement venus du Racing et du SCUF, mais aussi du Stade Français, de l’Aviron Bayonnais, du Stade Toulousain et bien évidemment du SBUC (Stade Bordelais Université Club) qui truste alors les titres en championnat.
Lorsque le match débute contre les Gallois, on ne donne pas cher de la peau des Français. Et de fait, malgré les progrès réalisés par nos joueurs, l’équipe de France composée par les sélectionneurs de l’USFSA (Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques) s’incline lourdement 49 à 14 (et 10 essais à 2) sur la pelouse de Swansea. Et encore les joueurs du Poireau n’ont-ils pas forcé leur talent. On prétend même que le jeu a été suspendu à plusieurs reprises, le temps pour les Gallois d’expliquer à leurs adversaires les fondamentaux du jeu. Et particulièrement le sens du collectif qui fait terriblement défaut à des Français vaillants mais désordonnés. Le match terminé, l’arrière gallois Bancroft ne peut s’empêcher de railler ses adversaires : « Vous ne triompherez chez nous que le jour où il n’y aura plus de charbon en Galles du Nord ! » Un tantinet vexés, les joueurs de l’équipe de France feront tout, les années suivantes, pour faire mentir Bancroft. Il leur faudra pourtant attendre… 1948 pour s’imposer enfin sur le sol gallois. Et faire mentir Bancroft car le charbon est encore omniprésent au Pays de Galles dans les années d’après-guerre.
Crête en berne pour le Coq gaulois
Battue par le Pays de Galles lors de ce match inaugural du Tournoi des 5 Nations, l’équipe de France subit, en cette année 1910, trois autres défaites à Édimbourg face à l’Écosse (27 à 0), et au Parc des Princes contre l’Angleterre (11 à 3) et l’Irlande (8 à 3). Le XV de la Rose décroche le premier titre, au grand dam des Gallois, favoris de l’épreuve, mais vaincus 11 à 6 par les Anglais.
Laminé par le Poireau gallois, étrillé par le Chardon écossais, vaincu par la Rose anglaise et honorablement défait par le Trèfle irlandais, le pauvre Coq gaulois a laissé des plumes dans les affrontements et perdu quelque peu de sa superbe. En cette année 1910, notre volatile hérite, en guise de trophée, de la symbolique cuillère de bois, récompense virtuelle du dernier classé**. Une récompense accompagnée, côté anglais, du peu enviable commentaire « White Wash » (déculottée) stigmatisant l’équipe vierge de tout point dans le classement définitif du Tournoi. Mais, grâce à l’apport des Français, la compétition a pris une autre dimension : le Tournoi des Cinq Nations – ainsi dénommé par un journaliste anglais – est né***, et avec lui une longue série de frictions parfois viriles entre les froggies hexagonaux et les rosbifs anglais, de loin nos meilleurs ennemis sur le plan rugbystique, à tel point que la confrontation France-Angleterre est surnommée le crunch !
Excepté le centralien Marcel Communeau et le futur fondateur de l’AS Béziers Jules Cadenat (« Jules comme César, Cadenat comme serrure » se plaisait-il à dire), aucun des pionniers de ce 1er Tournoi des 5 Nations ne s’est imposé dans la légende du rugby. Deux joueurs ont pourtant imprimé leur nom dans la petite histoire de ce superbe sport : Anduran et Menrath. Le premier pour l’anecdote ferroviaire qui a marqué son unique sélection. Le deuxième pour avoir été le 1er joueur de couleur de l’équipe de France (Menrath était un métis d’origine antillaise).
Moins de quatre ans après ce 1er Tournoi des 5 Nations éclatait la Grande Guerre. Un conflit qui se révélera effroyablement meurtrier pour les joueurs de 1910 jetés, comme tant de Français, dans la tourmente de 14-18. Huit d’entre eux périront au combat ou des suites de leurs blessures : Joe Anduran (SCUF), René Bondreaux (SCUF), Marcel Burgun (RCF), mort en 1915 aux commandes de son avion sur les lignes allemandes), Pierre Guillemin (RCF), Rémi Laffite (SCUF), Gaston Lane (RCF), Marcel Legrain (Stade Français) et Alfred Mayssonnié (Stade Toulousain).
Les débuts poussifs de l’équipe de France seront suivis pour nos rugbymen d’un apprentissage difficile, assorti d’une longue exclusion de 1931 à 1939 pour… professionnalisme ! Il faudra attendre 1954 pour que la France gagne enfin son 1er Tournoi des 5 Nations. 23 autres suivront (dont 8 grands chelems****), plaçant la France au 3e rang des vainqueurs derrière l’Angleterre et le Pays de Galles.
Comme le démontre l’épopée du XV de France au fil des décennies, le sport est une belle école de patience. Une patience toutefois de plus en plus mise à mal par les intérêts financiers des clubs, de la Fédération et des Comités régionaux. Sans oublier la pression, toujours plus forte, des médias et des sponsors. La planète rugby est décidément à des années-lumière de l’amateurisme de 1910...
* Charles Brennus est beaucoup plus connu pour le fameux trophée, dit bouclier de Brennus, qu’il a gravé sur un panneau de bois d’après un dessin de Pierre de Coubertin. Ce bouclier, dénommé le « bout de bois » par les rugbymen, est remis chaque année au vainqueur du championnat de France par des jeunes du SCUF.
** La tradition remonte à… 1884. L’Irlande ayant perdu tous ses matches du Home International Shampionship, le joueur anglais William Bolton offrit aux Irlandais une cuillère de bois géante achetée en Suisse et utilisée pour brasser la pâte à fromage dans les cuves. Dérobée 10 ans plus tard à Londres, la cuillère n’a pas été remplacée, mais l’appellation est restée.
*** L’IRFB mettra pourtant 5 ans pour adopter définitivement ce nom.