Son parcours de footballeur professionnel
par C’est Nabum
mardi 5 février 2013
Un témoignage sur ce monde étrange
Un cas à part ...
Après un billet un peu brutal sur le football, j'ai eu la surprise et le plaisir de recevoir plusieurs longs commentaires d'un ancien joueur professionnel qui m'a fait le cadeau de raconter son parcours en toute franchise. Je vous livre ici le premier passage. L'aventure mérite d'être lue.
J'ai grandi dans ce milieu du "football" ; sports-études puis centre de formation comme stagiaire pro. Apparemment j'étais doué puisque j'ai signé un contrat pro à 17 ans dans un des plus grand club anglais (Tottenham 2000 à 2002). J'y ai évolué 2 ans et joué des matchs de 1ere ligue (premiership).
Pour les béotiens, nous sommes là devant une réussite indiscutable. Le championnat anglais est souvent cité en exemple tant à la fois pour son niveau de jeu que ses exigences dans la sélection et la formation des jeunes. Notre témoin avait à n'en point douter un fort joli bagage sportif.
Durant mes deux années en Angleterre, tous les jours, je dis bien chaque jour, c'était la guerre dans les vestiaires. Rares étaient ceux qui se saluaient, tant la concurrence était perceptible.
1600 livres sterling (environ 16 000 francs de l’époque) uniquement pour être inscrit sur la feuille de match et entre 500 et 4 000 livres si on jouait au prorata de notre temps de jeu.
Ces chiffres ne sont que des primes de match, nous touchions bien évidemment notre salaire négocié à la semaine, selon la coutume anglaise. En outre, en fin de saison, il y avait bien sur des primes d'objectifs (Champions league, Cup, FA, etc). Dans ce contexte comment ne pas être obnubilé par l'argent quand on n'a pas eu une éducation solide ?
L'argent provoque une situation conflictuelle permanente. Il est si prégnant dans le quotidien du sportif qu'il prend toute la place. La présence du joueur sur la feuille de match est un élément clef de sa réussite. Pour atteindre cet objectif, il doit sacrifier les valeurs collectives afin de ne penser et d'agir que dans son seul intérêt.
A la fin de mon contrat, j'ai refusé d'être "vendu" à Stoke City, j'avais 19 ans et pensais naïvement que j'avais mon mot à dire en cas de "transfert'' (terme utilisé quand on vend un joueur) J'ai dit "non", je voulais choisir le lieu ou j'irai, alors, j'ai été boycotté !
Mon club avait pris bien soin de faire savoir à tous les intermédiaires qu'il ne fallait pas travailler avec moi. En effet, comment aurais-je pu les intéresser s'ils ne pouvaient pas faire de plus-value financière sur moi ? Pourquoi prendre le risque de placer un joueur qui aurait pu s'opposer à un transfert ?
Le joueur doit être un objet. Pour renforcer cette immaturité sociale, la profession d'agent est apparue. Bien sûr, l'intermédiaire agit d'abord pour son bénéfice. Il privilégie le court terme, il fait du jeune joueur un produit qui doit sans cesse être rentable. Malheur à qui veut se libérer de cette logique, l'histoire de notre témoin le démontre.
Il faut savoir que pour chaque transfert d'un joueur, son ancien club et tous les intermédiaires touchent de l’argent. Avec un joueur qu'on ne peut transférer, on ne peut pas faire de profit...
Je me suis pris en main, appelant à droite, à gauche pour finalement me retrouver en Suisse, en Belgique, puis finir par revenir en France au Mans puis à Tours. À 23 ans j'ai fait un choix que peu de personnes ont compris...
Sortir du cadre, de la norme est la pire des fautes dans un milieu qui se plaît à produire des joueurs standardisés, aux physiques exemplaires et aux cursus si semblables. C'est d'ailleurs dans cette folie de la conformité que l'on peut expliquer la baisse du niveau de la formation française. C'est dans la différence que l'on peut voir émerger des personnalités, non dans l'homogénéité des parcours.
Après une année "d'analyse" (suivi psychologique car il faut redescendre sur terre) j'avais pu prendre du recul et voir les choses différemment ! J'ai choisi de sortir du monde "pro" et me trouver un emploi ordinaire. Les gens m'ont pris pour un irresponsable !
Je devais avoir gagné suffisamment d'argent pour me le permettre ! Que nenni ! Refusant d'être vendu, j'ai joué 6 ans en pro dans divers clubs avec des salaires mensuels "normaux" entre 1500 et 3000 €. Hormis ma période de Tottenham 4500 € par mois pendant 2 ans
Sortir du cadre a un coût. On découvre alors que des joueurs peuvent vivre de peu. C'est la confrontation de ces salaires assez ordinaires avec ceux exorbitants de certaines vedettes qui provoque la rupture de la dimension collective dans ce sport. Nous pouvons aussi souligner le courage de notre témoin qui a dû en passer par une thérapie pour pouvoir faire le grand saut.
Ce qui m'a vraiment aidé, c'est que durant mon "petit" parcours pro, je n'ai jamais arrêté mes études. Lors de la signature de mon contrat en Angleterre, j'avais demandé un professeur particulier chaque jour, après l'entraînement. Comme ça ne leur coûtait pas "grand chose", les dirigeants ont accepté.
Demander une Ferrari leur aurait coûté bien plus cher. Ils n''avaient pas l'habitude de voir un jour demander à suivre des cours lors de la signature d'un contrat. Mes coéquipiers me prenaient pour un fou. Mon colocataire, lui aussi footballeur, se moquait de moi. Après les entraînements, inscrit à des cours par correspondance au Cambridge University, je passais mon temps avec mon prof.
L'enseignant ne peut qu'applaudir à cette exigence. L'ancien entraîneur de Rugby souligne que il y a peu, c'était encore ce qui faisait la différence entre les jeunes des centres de formation des ballons ronds et ovales. Les uns arrêtant des études sérieuses quand les autres continuaient encore. Maintenant, la différence s'estompe et le professionnalisme tue le Rugby comme il a perverti le football.
Tous les autres joueurs se foutaient de moi. Pourtant ces cours m'ont permis d'entretenir mes connaissances et de ne pas être pollué par ce milieu. J'ai trouvé un emploi au CFA de la ville de Tours où j'ai travaillé pendant 3 ans (2006-2009) comme "Animateur socio-culturel". J'ai ensuite démissionné et repris mes études en 2009 pour valider des Brevets d'Éducateur sportif et un Diplôme Universitaire en psychologie.
La force du groupe réside seulement dans sa capacité à mettre à l'écart celui qui ne respecte pas les codes et les principes qui vont justement le maintenir en situation de dépendance et de future victime. Le conformisme des footballeurs est le plus sûr vecteur de leur asservissement à un système qui va les broyer tout en conditionnant ceux qui vont les aduler.
Je suis responsable d'une école de football à Fondettes qui accueille plus de 150 gamin s tout en étant entraîneur seniors à Saint Pierre des Corps. J'interviens encore pour la classe sport-études de Vouvray et je suis consultant dans diverses structures pour la prévention : Face à ceux qui vendent du rêve, moi je casse un peu le mythe.
Notre témoin est cependant resté dans ce milieu. La passion est la plus forte. C'est heureux que des jeunes puissent trouver auprès d'eux un éducateur capable de démonter le discours dominant tout en leur apportant des compétences techniques indéniables. C'est en cela qu'il est un exemple d'une richesse exemplaire ! Merci à lui.
À suivrement sien