Vaincre ou mourir

par LM
lundi 27 novembre 2006

La mort d’un « supporter » du PSG jeudi soir, après une nouvelle débâcle parisienne en UEFA, a provoqué le réveil des antifoot, des donneurs de leçons et de Nicolas Sarkozy, qui veut déboiser le kop de Boulogne. Tous confondent maladie et symptôme.

Vendredi matin, le journal L’Equipe titrait « Paris, la honte », en grosses lettres noires. Cette manchette dure et violente ne concernait pourtant aucunement les incidents de la veille au soir, survenus trop tard dans la soirée pour que le quotidien sportif les relate. « Paris la honte » n’était là que pour illustrer la déroute (une de plus) du PSG, laminé 4 buts à 2 sur sa propre pelouse par une très modeste équipe israélienne. Ne sanctionnant qu’un résultat, on peut juger ce titre un peu excessif, un peu déplacé. De quoi exciter quelques imbéciles, qui peuplent les tribunes du Parc des princes et d’ailleurs. Le lendemain, le même journal couvrait sa une de noir, et titrait « Quand le football tue » avec éditorial pontifiant et moralisateur, et des articles dignes d’un certain catéchisme en pages intérieures.

Pourquoi commencer par évoquer ces titres de journaux ? Parce que ces titres, et certains articles écrits par les journalistes jouent aussi leur rôle dans la montée de certains énervements qui gagnent les travées. La presse n’est pas la dernière à souffler sur les braises, quand il s’agit de mettre un entraîneur sous pression, de critiquer tel ou tel joueur, de raconter quelques bruits de vestiaires souvent invérifiables. Ce qu’on appelle faire monter la pression. Ce qu’on pourrait appeler aussi installer un climat délétère. Les journalistes jouent les pyromanes, et ensuite ils se désolent quand l’incendie éclatent et se transforment en pompiers. Classique.

Si le football aujourd’hui, ou plutôt disons depuis vingt bonnes années au moins, est émaillé de temps à autre par certains évènement sanglants, sordides, ultra violents et totalement condamnables, c’est aussi parce que la presse sportive en a fait un spectacle capital, une sorte de sommet absolu dans l’affrontement d’une ville contre une autre, d’un pays contre un autre, d’individus contre d’autres individus. La presse sportive, et les médias. Les télévisions. Quand une chaîne débourse plus d’un milliard et demi d’euros pour retransmettre une compétition sportive, tout doit être mis en œuvre pour que cette compétition sportive soit la plus excitante, la plus incertaine, la plus émouvante possible. Il faut de la joie, des larmes, et si nécessaire un peu de sang pour que l’ensemble devienne insurpassable. Inoubliable. Rien, dès lors, n’est plus important que le football. Rien ne compte plus.

Parfois au mépris du danger. Au mépris de la prudence.

La plus élémentaire serait de considérer une foule de quelques dizaines de milliers de personnes réunies dans une enceinte sportive comme étant potentiellement un groupe à risque, susceptible de partir en quenouille d’une minute à l’autre, en tout cas fortement incontrôlable.

Qu’est-ce qu’un stade ? Une sorte de petite ville. Des tribunes dites « présidentielles » garnies de gens invités, de sponsors, de familles de joueurs, de people capables de débourser quelques centaines d’euros pour venir voir un match de foot. Et puis, en périphérie, sur les virages, des places très bon marché, où s’installent les plus bruyants et souvent les plus fidèles des supporters, modestes mais acharnés, passionnés et irréductibles. C’est dans ces virages que tout se joue, et souvent le pire. Il y a quelques semaines de cela, un de ces supporters (de l’Olympique de Marseille, en l’occurrence) a jeté sur la pelouse une petite bombe qui en explosant a coûté sa main à un jeune pompier. Le coupable s’est dénoncé, l’OM a été condamné à un match à huis clos, sanction que Pape Diouf, le président marseillais, a jugé « un peu exagérée ». Quelques doigts en moins sur une main, c’est plutôt cela qui est « un peu exagéré » pour un jeune pompier qui n’avait pour simple mission que d’assurer la sécurité dans une rencontre sportive, rien de plus.

Aujourd’hui, la mort du jeune supporter parisien, abattu par un policier reconnu en état de « légitime défense », braque (si j’ose dire) tous les projecteurs sur un des pires virages du championnat le Ligue 1, celui où s’entassent les bas du front (national) du kop of Boulogne. Qu’est-ce donc que ce kop-là, que Sarkozy veut nettoyer, si nécessaire au Kärcher ? Le kop de Boulogne, c’est un peu comme le bois de Boulogne : dans ce dernier on trouve des hommes travestis en femmes, dans le premier on trouve des voyous travestis en supporters. Ce n’est pas la première fois que ces sombres imbéciles se manifestent, on les a déjà vus se battre avec d’autres supporters, parfois entre eux, et souvent savater, en s’y mettant de préférence à dix contre un, quelques CRS d’une manière particulièrement sauvage. On se rappelle aussi certaines de leurs banderoles injurieuses (celle illustrant ce papier et censée « saluer » le départ d’un des plus grands joueurs du club, George Weah) et évidemment racistes, peinturlurées d’insignes nazis, comme ça se fait dans les virages de la Lazio de Rome, en Italie. Le kop of Boulogne, s’il devait disparaître demain, ne trouverait pas grand monde pour le pleurer. Qu’on se débarrasse enfin de cet amas bruyant de crétins avinés ne serait que justice, que raison.

Seulement voilà, ce n’est pas aussi simple que cela. Empêcher les gens de venir au stade, c’est compliqué. On peut multiplier les contrôles, ficher les supporters dits sensibles, ou interdire ceux qualifiés de dangereux, on peut installer des caméras vidéo, tout cela empêchera peut-être certains de pénétrer dans le stade, mais la majorité trouvera toujours un moyen de passer outre les interdictions et de s’asseoir en tribune. Un des mesures les plus radicales est peut-être la plus simple : augmenter fortement le prix des places. A 150 euros les places en virage, on n’aura pas le même public. C’est la politique qui s’est avérée être la plus « payante », c’est le cas de le dire, en Angleterre.

Tout cela considéré, il reste que les évènements qui se sont déroulés jeudi soir ont à la fois tout et rien à voir avec le football. Tout à voir parce que les acteurs de ces incidents étaient des « supporters » parisiens, rien à voir parce que la violence qu’ils ont libérée était le fruit d’une frustration immense, due au résultat pitoyable de leurs protégés, et d’une frustration plus grande encore, qui, elle, a trait à leur vie en général. C’est ce qu’ils sont qui s’est exprimé là, contre les vitres du Mac Donald, et avant contre ce policier qu’ils ignoraient être un policier, puisqu’il ne portait pas de brassard.

Ce qu’ils sont. Les stades de foot ne sont qu’un concentré de la vie de tous les jours, des maux de la société, et on y observe les mêmes excès, les mêmes inégalités, les mêmes « fractures » que dans la vie de tous les jours. Quand lors des manifestations contre le CPE des jeunes bousillent des vitrines, on ne dit pas que le CPE rend violent, mais qu’il y a « un malaise chez les jeunes ». Là, c’est la même chose. Ce n’est pas le football qui est responsable de ce qui s’est passé jeudi soir, mais ce fameux « malaise », ce « mal être » qu’on observe chez les jeunes, régulièrement, lors de certaines manifestations, ou dès qu’un évènement déclencheur (bavure policière, manifestation de masse, match de foot) se produit. Le match de foot est depuis longtemps un potentiel facteur de trouble, en France comme ailleurs, comme partout dans le monde. Le football cristallise tellement de passions, de haines, d’envies, d’espoirs, qu’il est souvent, c’est vrai, l’huile qui s’ajoute au feu.

Mais il n’est pas le feu. Ceux, dans les journaux d’opinion (et L’Equipe, quotidien le plus lu de France, est un vrai faiseur d’opinion) qui prétendent le contraire, qui assurent que c’est bien le football qui « tue », trompent leur monde. Ils font fausse route. Ce n’est pas le football qui tue, ni jeudi à Paris, ni au Heysel, ni ailleurs, ce n’est pas non plus le « pouvoir » comme on pouvait le lire sur une banderole débile brandie par des supporters parisiens lors d’une marche silencieuse, hier à Nantes, non ce qui « tue », c’est la vie de tous les jours, et les manques qu’elle entraîne, et son cortège d’incompétences, d’erreurs, de malveillances ou de négligences. C’est la société qui est ainsi imparfaite, le football n’est qu’un des symptôme, un des symptômes les plus voyants, bien sûr, toujours dans la lumière, toujours sous le feu des projecteurs.

Le football n’est pas la guerre, et les supporters ne sont pas des barbares. Les stades ne sont pas de gigantesques coupe-gorges où aucun enfant n’oserait s’aventurer désormais, ou alors sous escorte. Le PSG n’a pas le monopole de la violence. On en observe aussi des manifestations à Marseille, Nice, et potentiellement dans tout club qui, du jour au lendemain, enchaîne les mauvais résultats. Car c’est bien là qu’est le nœud du problème : les mauvais résultats. La défaite, ou plutôt les défaites accumulées. Tout est là. Quelques buts en plus, en moins, un entraîneur qui maîtrise mieux son discours, un meilleur recrutement, pas grand-chose en fait, des futilités, me direz-vous ? Peut-être. Mais si le PSG avait battu l’Hapoel Tel Aviv 4 buts à 0, Julien Quemener, vingt-cinq ans, serait aujourd’hui en vie. Tout simplement.

Un meilleur Landreau, un Pauleta avec quelques années en moins, un Sylvain Armand avec d’autres jambes, voilà ce qui aurait permis d’éviter tout cela : des vitrines brisées, un mort et un blessé grave. Le sport n’est pas la guerre, non, c’est la vie en short, la vie et son obligation de résultats. Comme on peut le lire sur certaines banderoles en tribune (ou dans certains journaux) c’est « vaincre ou mourir ». Littéralement.


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