Alice Milliat, pionnière du sport féminin mondial

par Fergus
vendredi 19 août 2022

Tombé dans l’oubli, le nom de cette femme de caractère a fort justement été remis en lumière ces dernières années. Une statue à son effigie a même été réalisée et placée dans le hall d’entrée du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) au voisinage de celle de Pierre de Coubertin. Il y a tout juste un siècle, le 20 août 1922, étaient organisés les premiers « Jeux olympiques féminins ». Grâce à la détermination d’Alice Milliat...

« Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte », affirmait de manière aussi péremptoire que condescendante envers les femmes Pierre de Coubertin, le père des Jeux olympiques modernes, lors des JO de Stockholm en 1912. Des propos qui, prononcés de nos jours par une personnalité contemporaine, ne manqueraient pas de choquer, et qui probablement susciteraient de très virulentes réactions dans la société, et pas seulement dans les rangs des féministes assumées ou dans ceux des pratiquantes du sport au féminin.

C’est dans ce contexte de vive opposition patriarcale à l’émancipation sportive des femmes – l’opinion de Coubertin était alors très majoritaire, y compris dans les rangs féminins – qu’Alice Milliat (1884–1957) s’est battue pour faire triompher ses idées. Elle-même nageuse et rameuse* d’un excellent niveau, cette fille d’épiciers nantais, cofondatrice en 1915 de la Fédération des Sociétés Féminines Sportives de France (FSFSF) milite très tôt pour développer le sport féminin et briser les interdits afin de lui donner une place plus importante dans le cadre des Jeux olympiques.

Plus importante car des femmes sont bel et bien présentes aux JO de Paris dès les jeux de 1900, mais en nombre dérisoire : 22 sur 997 sportifs engagés ! Qui plus est, elles sont cantonnées à des épreuves réputées compatibles avec la féminité, tels l’équitation, le golf, le tennis et la voile. Hors de question de mettre les pieds sur la piste en cendrée d’un stade ! Cela n’est pas satisfaisant aux yeux d’Alice Milliat. En 1919, elle presse le Comité international olympique (CIO) d’admettre les femmes dans les épreuves d’athlétisme aux JO d’Anvers qui doivent se dérouler l’année suivante.

Sans succès ! Le refus opposé par les responsables du CIO, et notamment par son intransigeant président Pierre de Coubertin, est ferme. Sept ans après les JO suédois, l’éminent dirigeant – probablement pas plus misogyne que la plupart des hommes de son temps – n’a pas évolué d’un iota par rapport à ses propos de Stockholm où il déclarait : « Le véritable héros olympique est, à mes yeux, l'adulte mâle individuel. Les JO doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs. » Autrement dit, chacun et chacune à sa place !

Opiniâtre et combative, Alice Milliat refuse de désarmer. Après avoir organisé quelques compétitions dédiées à ses consœurs, notamment en athlétisme et en football – elle crée pour l’occasion la première équipe de France féminine de l’histoire ! –, notre pionnière met sur pied pour l’été 1922 ce qu’elle nomme, par défi au CIO, les Jeux olympiques féminins. Hors de question que cet évènement puisse avoir lieu pour le président de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF), le Suédois Sigfrid Edström, entré dans une colère noire à l’annonce de cette initiative.

Par souci d’apaisement, Alice Milliat renonce à l’appellation JO et rebaptise les compétitions Jeux mondiaux féminins. Elle n’en reste pas moins ferme sur la tenue de cet évènement, au grand dam des autorités masculines. Les épreuves ont lieu à Paris le 20 août 1922, au bois de Vincennes, sur le Stade Pershing (depuis longtemps disparu). Y participent 77 athlètes appartenant à 5 nations (États-Unis, France, Grande-Bretagne, Suisse et Tchécoslovaquie) engagées dans 11 épreuves. Ces jeux sont un réel succès public : 15 000 spectateurs sont venus assister aux épreuves !

Il y aura trois autres éditions des Jeux mondiaux féminins : à Göteborg en 1926 (100 participantes, 9 nations), à Prague en 1930 (270 participantes, 17 nations) et à Londres en 1934 (200 participantes, 19 nations), toutes organisées par la Fédération sportive féminine internationale (FSFI), extension internationale de la FSFSF. Ces jeux connaissent un succès croissant qui ne manque pas de mettre la pression sur les dirigeants du CIO et de l’IAAF. Hélas ! pour elle, usée par la maladie, les conflits avec les autorités masculines, mais aussi confrontée aux difficultés financières de la FSFI, Alice Milliat jette l’éponge en 1936.

Sa lutte pour l’émancipation des sportives n’a pas été vaine pour autant : la détermination d’Alice Milliat a, comme le soulignent aujourd’hui les historiens du sport, contribué à faire entrer les femmes aux Jeux olympiques dans de nombreuses disciplines d’où elles étaient exclues. Elle a en outre jeté les bases d’une évolution des mentalités sans laquelle n’existerait pas la quasi-parité que nous connaissons de nos jours dans la plupart des compétitions sportives. À cet égard, il est juste que le nom d’Alice Milliat ait, ces dernières années, été remis en lumière et soit désormais régulièrement honoré.

Juste également que des équipements sportifs portent son nom en divers lieux du territoire national. Juste encore qu’une statue à son effigie** trône au siège du CNOSF, au cœur de la Maison du Sport français. Enfin, il serait juste qu’il soit définitivement acté par les élus parisiens que le nom de la salle polyvalente actuellement en construction porte de la Chapelle pour les Jeux olympiques de Paris en 2024, ne soit pas vendu à une marque commerciale comme le souhaitent Anne Hidalgo et d’autres élus de sa majorité – on parle d’une Adidas Arena ! –, mais dédié à cette pionnière du sport féminin mondial : Arena Alice Milliat.

En 1922, âgée de 38 ans, Alice Milliat a été la première femme à obtenir le brevet Audax rameur en parcourant sur la Seine 80 km en moins de 12 heures.

** La création d’une statue à l’effigie d’Alice Milliat a donné lieu à un concours entre les écoles d’arts appliqués de Paris. C’est, sous l’égide du CNOSF, le projet présenté par l’ENSAAMA Olivier de Serres qui a été retenu. La sculpture, d’un design résolument moderne, a été réalisée en laque sur bois et feuilles d’argent montée sur un support en métal. Cette œuvre a été inaugurée le 8 mars 2021, lors de la Journée de la Femme.

 

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