Hundertwasser ou l’architecture conviviale

par Fergus
lundi 4 mars 2013

Il ne manque pas de monuments ou de musées à visiter dans la superbe ville de Vienne, à commencer par la cathédrale Saint-Étienne, les palais impériaux du Hofburg et de Schönbrunn, ou le musée de l’Albertina. Outre le formidable patrimoine historique de la capitale autrichienne, il est pourtant un lieu qui, en quelques décennies, est devenu incontournable tant il suscite d’enthousiasme chez les visiteurs : la Maison Hundertwasser...

Situé un peu à l’écart du centre-ville de Vienne et à 700 m seulement des allées boisées du Prater, cet étonnant ensemble architectural attire chaque année une foule de visiteurs, au point de laisser très loin derrière la maison de Mozart* et celle de Haydn, toutes les deux transformées en musées à la gloire de de ces deux géants de la musique classique. Avec la Maison Hundertwasser, pas question de musée, mais d’un véritable lieu de vie composé de logements locatifs sociaux, à l’image de la Cité radieuse, construite par Le Corbusier à Marseille à l’aube des années cinquante.

« Baroque », tel est le mot qui vient immédiatement à l’esprit lorsqu’on parvient à l’angle de la Kegelgasse et de la Löwenstrasse. Avec ses façades multicolores aux teintes saturées, ses ouvertures asymétriques, ses formes audacieuses, ses étonnants décrochements et ses nombreuses terrasses végétalisées plantées d’environ 250 arbres et arbustes, la Maison Hundertwasser se démarque totalement de l’environnement urbain au cœur duquel elle est implantée. Un artiste a voulu cela : le peintre viennois Friedrich Stowasser. Plus connu dans le monde des Arts sous son nom de créateur, Friedensreich Hundertwasser Regentag Dunkelbunt (ouf !) – ce que l’on peut grosso modo traduire par « Royaume de la paix des cent eaux, jour de pluie, sombrement multicolore » –, l’homme a été non seulement un peintre inspiré, mais également un militant écologique convaincu, un passionné d’architecture et, principal moteur de sa démarche créative, un humaniste au service de ses semblables. Baroque jusque dans son nom d’artiste, Hundertwasser s’est, à l’instar de son prédécesseur Gaudí en Espagne, taillé une solide réputation de visionnaire après qu’il ait construit, en collaboration avec l’architecte Josef Krawina, cet ensemble immobilier en rupture totale avec les traditions architecturales viennoises du classicisme et de l’Art Nouveau dont Otto Wagner a été le principal architecte autrichien.

Construite de 1983 à 1985, et inaugurée le 1er mars 1986, la Maison Hundertwasser est avant tout un espace convivial au service de ses habitants et de la cause environnementale, les uns étant intimement liés à la seconde dans l’esprit du concepteur de ce lieu expérimental. Tout y est conçu pour le confort des habitants et leur qualité de vie, à l’image des parties communes, trop souvent négligées dans les habitats locatifs traditionnels. Ici, elles sont au contraire particulièrement soignées et attractives comme le montrent non seulement les couloirs décorés de mosaïques végétales ou animalières, mais aussi l’accueillant jardin d’hiver, la « salle d’aventure » au sol bombé, et la salle de jeu des enfants. Les locataires de la Maison Hundertwasser vivent au cœur d’une œuvre d’art. Majoritairement artistes ou intellectuels eux-mêmes, ils en ont pleinement conscience, ne serait-ce qu’au spectacle de ces lions sculptés et de ces piliers en forme de quilles bombées multicolores qui rappellent que nous sommes là au croisement de la Löwenstrasse (rue des lions) et de la Kegelgasse (rue des quilles).

L’art jusque dans les toilettes

50 appartements, ainsi que quatre locaux commerciaux et un cabinet médical composent la Maison Hundertwasser. D’une surface allant de 30 à 150 m², les logements ont été conçus (jusque dans les toilettes décorées de mosaïques) à l’image des structures extérieures : comme des œuvres d’art. Mais avec un souci de fonctionnalité qui les rend incomparablement séduisants aux yeux des locataires privilégiés qui habitent cet étonnant ensemble où aucun appartement n’est identique à un autre. Séduisants, les montants des loyers le sont également : avec un peu plus de 5 euros le m², difficile de trouver mieux dans une capitale européenne ; des prix à faire pâlir d’envie les malheureux parisiens ! Cerise sur le gâteau, 16 appartements disposent d’un toit-terrasse arboré privatif, les autres terrasses étant intégrées aux parties communes pour le plaisir de tous.

Outre les parties habitables, la Maison Hundertwasser comporte également un bureau d’information à l’intention des nombreux visiteurs, ainsi qu’un accueillant café dont la terrasse, soutenue par des quilles colorées en céramique, devient, les beaux jours revenus, un lieu de convivialité très apprécié. Si la Maison Hundertwasser est incontestablement une œuvre d’art, la partie de la Kegelgasse où elle est implantée n’a rien à lui envier. Dédiée aux seuls piétons, cette esplanade pavée partiellement plantée est un prolongement de la résidence où le concepteur s’est plu à créer des vagues de terrain rappelant les sols naturels. Le fleuron en est une fontaine à trois vasques en céramique postée devant l’entrée de l’immeuble. À quelques pas de là, s’ouvre également une étonnante galerie commerciale aux allures de caverne d’Ali Baba. Dénommée « Village », cette galerie est également due au talent d’Hundertwasser. On y trouve, telle une rançon du succès touristique, des boutiques de souvenirs et d’artisanat, deux bistrots et des toilettes « modern art » du plus bel effet.

Il est malheureusement impossible de visiter les parties communes, et a fortiori les appartements, et c’est bien compréhensible car la vie des locataires, déjà fortement impactée par les flux de visiteurs qui se pressent aux abords de la Maison Hundertwasser, deviendrait très vite intenable si, comme ce fut le cas dans les premiers temps, les curieux envahissaient l’édifice. Restent les nombreux ouvrages consacrés à cette maison et le sympathique Kunst Café (café des Arts) qui, au 41 de la Löwenstrasse, diffuse un documentaire sur la vie des habitants dans la résidence.

Impossible de quitter le quartier sans aller visiter, à moins d’un kilomètre de là (au n°13 de l’Untere Weissgerberstrasse) la Kunsthauswien, elle aussi conçue par Hundertwasser et très largement consacrée à son œuvre. Outre les salles du musée et les expositions temporaires, on y trouve une très jolie boutique et le superbe café-restaurant Dunkelbunt complété, à l’extérieur, par une agréable terrasse arborée. 

De nombreuses autres créations de Friedensreich Hundertwasser sont visibles en Autriche, mais aussi en Allemagne, en Suisse, au Japon, et jusqu’en Nouvelle-Zélande où le peintre-architecte s’était installé et où il a été enterré. Parmi les plus spectaculaires figurent :

L’Église St. Barbara à Bärnbach (Autriche) – 1987-1988

L’Ensemble résidentiel de Bad Soden am Taunus (Allemagne) – 1990-1993

L’Établissement thermal Rogner de Bad Blumau (Autriche) – 1993-1997

Le Kids Plaza d’Osaka (Japon) – 1996-1997

Le Lycée Martin Luther de Wittenberg (Allemagne) – 1997-1999

Le Maishima Incineration Plant d’Osaka (Japon) – 1997-2000

Le Marché couvert d’Altenrhein (Suisse) – 1998-2000

La Waldspirale de Darmstadt (Allemagne) – 1998-2000

La Citadelle verte Magdebourg (Allemagne) – 1999-2000

La Maison Ronald McDonald pour les enfants malades à Essen (Allemagne) – 2004-2005

 

L’avenir de l’habitat collectif est-il dans la filiation des créations d’Hundertwasser, basées sur l’harmonie de l’homme et de la nature ? Qui sait ? Peut-être cela ne relève-t-il que d’un rêve un moment effleuré au contact des œuvres de ce créateur atypique. Mais un rêve appelé à prendre forme, si l’on en croit Hundertwasser : « Si quelqu'un rêve seul, ce n'est qu'un rêve. Si plusieurs personnes rêvent ensemble, c'est le début d'une réalité ! »

* « L’une des maisons de Mozart », devrait-on dire, le compositeur ayant habité dans une dizaine de logements de la capitale impériale.


Lire l'article complet, et les commentaires