Ile Rapa : l’invraisemblable histoire de Marc Liblin

par Damien Personnaz
lundi 9 août 2010

Marc Liblin fut un homme invraisemblable.
 
Sa prodigieuse existence me chatouilla les oreilles lors d’une visite à Raivavae, un joyau d’île, située à 800 kilomètres au sud de Tahiti.
 
Génial pour les uns, pathétique pour les autres, Marc Liblin naît à Luxeuil dans les années trente, en Haute-Saône, d’un père maître de forges.
 
A l’âge de six ans, il fut traumatisé par des rêves incessants dans lesquels un vieux personnage lui enseignait la physique et surtout une langue obscure — qu’il parlera couramment — mais dont absolument personne ne connaissait l’origine.
 
Son enfance fut dès lors un cauchemar. Dès son plus jeune âge, la fuite, la lecture et la solitude deviendront ses fidèles alliées. Durant ses années-là, faites d’errance et d’expédients, il tentera désespérément de connaître l’origine de la langue mystérieuse qu’il parlait.
 
A 33 ans, il débarque en Bretagne. Il est seul, fauché et très marginal. Là, le hasard le fait rencontrer deux professeurs de linguistique, et des chercheurs de l’Université de Rennes essaieront de décoder cette langue, d’analyser ces rêves. Les ordinateurs naissants crépitent. Peine perdue.
 
Il rencontrera un chinois linguiste. Celui-là lui dira que sa langue pourrait s’apparenter à un idiome parlé cinquante ans auparavant dans les plateaux du Tibet.
 
D’autres linguistes lui diront que le son de cette langue s’apparentait à une langue Mère, archaïque, morte. De l’Araméen, peut-être ?
 
C’est dans un bar de Rennes qu’il trouvera la réponse. Il fait le rigolo devant un aréopage de marins Tunisiens ronds comme des billes. Le barman les écoute attentivement.
 
Marc Liblin, dans un texte intitulé « L’indigène », raconte :
 
 Il [le barman] alla directement aux faits. J’ai déjà entendu parler de cette façon, c’était sur une île du Pacifique, à Rapa (…) : je ne pratique pas cette langue, mais il faut voir Mérétuini Make, une Polynésienne.
 
Cette femme habite dans une ZUP. Mais il n’ose pas. Il n’ose pas l’aborder, lui parler. En septembre 1980, il rencontre Charly, un Tahitien paumé, cherchant de l’aide. L’occasion est bonne. Les Polynésiens aident les Polynésiens.
 
"Nous fûmes vite devant sa porte (…). Il me fallut avancer seul vers la femme qui apparut, figée et silencieuse, attendant de comprendre le pourquoi d’une visite aussi bizarre. Ce qu’il y a eu en moi à cet instant, je l’ignore. Mais sans aucun préambule, j’adressai à la statue qui nous faisait face, le flot des paroles de cet autre langage que mes recherches passées, infructueuses, avaient tant contenu. Et la statue répondit le même parler…"
 
Quelques années passent. Marc Liblin épouse Mérétuini. Ils décident de partir à Rapa.
 
Située à 1400 kilomètres au sud de Tahiti, Rapa Iti est une île isolée aux confins des îles Australes. Elle est surnommée la petite sœur de l’île de Pâques (Rapa Nui). Le climat y est frais. En hiver, la température peut chuter à 5°. Ici, point de cocotiers, ni de frangipaniers, aucune plage blanche, pas d’exotisme. Une population de 400 âmes, reliées au monde par un bateau de ravitaillement épisodique.
 
Rapa (Photo Tahitipresse.fr)
 
Malgré son mariage (dernier et premier de l’année sur l’île, le 31 décembre), Marc Liblin n’est pas vraiment le bienvenu, et ses questions sur l’origine de la langue de Rapa, irritent « la communauté des insulaires ».
 
Il écrit : « Mes tentatives d’interprétations linguistiques soulevaient les rumeurs d’un dialogue avec les anciens et leurs esprits ».
 
Le couple vit dans des conditions difficiles. « Durant six mois (…), je dépéris de ne manger que racines et cœurs de fougères, poissons encore vivants déchiquetés avec les dents, bananes vertes salées à l’eau de mer…  »
 
Il revient un an plus tard. Exerce le métier de secrétaire de mairie. Puis devient instituteur, initiant les jeunes de Rapa à la physique et la métaphysique. Il récolte des informations et échafaudes des théories, dont certaines sont abscondes, sur la lointaine Rapa Iti.
 
Même marié avec une insulaire, et père de quatre enfants, il ne s’intégrera que lentement à la vie de Rapa. Le personnage dérange. Il agace. Les tentacules de l’administration française parvenant à s’arc-bouter sur cette île, elles le somment de fournir des preuves de son diplôme de baccalauréat. Incapable de s’exécuter, il est reclassé instituteur auxiliaire, forcé de rembourser des parties de son salaire. Il arrive tout juste à subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants.
 
Il meurt des suites d’un cancer en mai 1998.
 
Ainsi se termine l’invraisemblable – mais véridique — histoire de Marc Liblin. La question demeure : Comment se fait-il que ce garçon de six ans de Haute-Saône ait pu parler, sans jamais l’avoir apprise, une langue uniquement parlée et comprise par une petite communauté insulaire recluse du Pacifique sud ?
 
 
Source : Jean Guillin, L’Archipel des Australes, Editions A. Barthélémy & Editions Le Motu, Avignon, 2001, (ISBN 2-87923-138-8).
 
Le blog de son beau-fils à Rapa :
 
http://www.tikiserlynepacific.com/tiki_serlyne_pacific.asp
 
L’article écrit par Marc Liblin, cité dans cet article :
 
 http://www.tahiti-pacifique.com/Marc%20Liblin/LIBLIN-Indi...
 
 
 

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