Le dur labeur des esclaves du sel

par salambo
mardi 24 septembre 2013

Troisième récit de la série Voyage au bout de la Terre, une aventure en pays Afar là où la vie n'a pas changé depuis des millénaires et où les hommes vivent toujours selon leurs rudes traditions. Après avoir suivi les caravanes de chameaux et visité l'impressionant cratère de Dallol, nous sommes sur les sites d'extraction de sel, où ce dernier est encore extrait à la main.

Pour les caravaniers, Dallol ne représente rien d'autre que la source du sel, leur seul moyen de subsistance dans cette région hostile. Le sel de cette région provient d'inondations ancestrales de la Mer Rouge provoquées par le processus de séparation des plaques terrestres dans la vallée du Grand Rift. A la suite de chaque inondation, des strates de sels se sont formées après évaporation de l'eau. Les plaines de sel sont à quelques minutes du cratère de Dallol, en direction du camp d'Hamadila.

Je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre quand on me parlait des sites d'extraction de sel : des salines mécanisées, des mines à ciel ouvert ? en tout cas, je ne m'attendais surtout pas à ce que j'ai vu ! Sur une superficie d'environ deux hectares de terre sèche et craquelée, les extracteurs de sel, en position accroupie et avec des outils rudimentaires, découpaient à la main des plaques de sel trouvé juste en-dessous de la surface. Ils taillaient ensuite ces plaques pour leur donner la dimension standard requise pour la vente. Les chameaux étaient assis, dans l'attente paisible d'être à nouveau chargés de leur cargaison pour reprendre leur voyage de retour vers Mekele. Il était déjà midi lorsque nous arrivâmes, la chaleur devenait insupportable mais les ouvriers n'interrompaient pas le labeur qu'ils avaient commencé à l'aube. La condition humaine dans toute sa précarité. Ces hommes étaient esclaves de cette terre et du sel qu'elle contenait. Ils n'avaient pas d'autres ressources que de supporter cette chaleur et ce labeur, et ils faisaient ça depuis des siècles, par une condition héritée de leurs ancêtres. J'avais devant moi l'image d'un autre temps, une image intemporelle.

Nous fûmes informées que chaque plaque, d'un poids d'environ trois kilos, s'achète à trois birr en monnaie locale (0,12 euros) sur le site d'extraction, qu'elle est revendue ensuite à 10 birr (0,40 euros) à Berhale et à 30 birr (1,20 euros) au marché central de Mekele. Chaque chameau peut porter environ 50 à 60 plaques. Ces chiffres sont purement indicatifs, aucun des guides n'ayant réussi à nous répondre de manière précise sur le sujet.

Après notre matinée à Dallol, nous dûmes retourner au camp d'Hamadila, n'ayant pas d'autre alternative pour résister à la chaleur. Les heures passèrent lentement. Allongées sur nos lits de camp dans une hutte Afar pour nous protéger du soleil frappant, nous passâmes l'après-midi à bavarder et boire du café, comme il est de coutume en Ethiopie. La cérémonie du café est très importante dans la culture éthiopienne, elle peut durer des heures et permet d'entretenir les relations sociales et d'accueillir les nouveaux venus. C'est aussi un moment privilégié pour échanger des confidences, conclure un accord ou se remettre d'une dispute. Le café vert est d'abord torréfié sur un petit réchaud au charbon de bois puis fraichement moulu à la main, il est ensuite bouilli dans une cafetière spéciale en terre cuite et servi dans des petites tasses de porcelaine sans anse. On ne boit pas qu'une tasse mais trois en général. La première tasse est la plus forte, le café est atténué pour les suivantes parce qu'on ne fait que rajouter de l'eau chaude dans la cafetière pour faire durer la cérémonie. Au bout d'une heure, le chef du village, ou du moins il se présenta comme tel, vint nous rendre visite. Dans toute son arrogance de chef mineur, il se vanta d'avoir trois épouses dans différentes zones de la région, et se prit d'intéret pour notre amie Gina, en nous expliquant qu'une quatrième épouse étrangère rehausserait encore davantage son image de chef. Son teint pale et ses cheveux roux d'Irlandaise avaient fait impression sur lui. Elle refusa gentiment sa proposition. Nous comprîmes très vite qu'il était venu surtout pour récupérer un droit de séjour et pour partager notre repas. Dans la culture Afar, la propriété n'existe pas, chaque membre de la communauté partage ce qu'il a avec les autres. Pour lui, il était évident que nous devions partager notre dû. Par l'intervention de notre guide, ce partage se limita au minimum acceptable. Le lendemain matin, il était de nouveau là pour le petit-déjeuner. Dans la soirée nous nous aventurâmes dans le seul bar du village tenu par les militaires, du côté étranger ou non-Afar, du village. Une fois de plus, j'appelle un bar ce qui était en fait une grande bâche posée sur quelques poteaux d'eucalyptus et meublée de quelques banquettes de bois et d'un grand refrigérateur alimenté par un groupe électrogène. A l'intérieur, une trentaines d'ouvriers regardaient une série télévisée sentimentale indienne dans le style Bollywood qui avait l'air de beaucoup les amuser. La plupart de ces hommes ont laissé leur famille dans leur pays d'origine et se retrouvent seuls dans cet endroit avec pour seule compagnie leurs collègues de travail et une vieille television. Pour eux aussi, la vie n'est pas facile dans la désolation de cette endroit.

à suivre...


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