Paris romantique : les passages couverts

par Fergus
lundi 26 juin 2017

Créés pour la plupart au début du 19e siècle, les passages couverts de la capitale offrent aux Parisiens, mais également aux touristes en quête d’originalité, un cadre rétro très apprécié pour leurs promenades, la découverte de boutiques insolites, ou bien encore les petites pauses dans d’accueillants salons de thé... 

Galerie Vivienne

Des passages couverts, il y en a eu une soixantaine dans Paris au cours du 19e siècle. Nés dès la fin du 18e siècle pour les premiers d’entre eux, ils ont eu pour but principal de développer des activités commerciales dans des espaces dédiés plus attirants que les rues mal éclairées et peu sûres de l’époque. Paradoxalement, ces passages ont dû leur existence à la Révolution : c’est en effet sur des terrains confisqués à la noblesse et au clergé que les premiers ont été construits durant le Consulat et le Premier Empire. Après une apogée au milieu du 19e siècle, les passages couverts ont perdu pour les chalands une partie de leur attrait avec l’émergence de ces temples géants du commerce qu’ont été les grands magasins : le Bon marché en 1852, les Grands magasins du Louvre en 1855, les Grands magasins du Printemps en 1865, À la belle jardinière en 1867, la Samaritaine en 1870 et les Galeries Lafayette en 1894. Après quelques décennies difficiles au cours du 20e siècle, les passages couverts, pour la plupart rénovés, ont recouvré leur pouvoir de séduction aux yeux des promeneurs, et cela d’autant plus qu’ils servent d’écrin à des lieux de détente cosy, à des commerces d’experts ou à des boutiques insolites.

De nos jours, il subsiste une vingtaine de passages couverts, presque tous concentrés sur la rive droite de la Seine, dans les limites de la ville avant les extensions de 1860, la plupart des autres ayant été détruits par les grands travaux d’urbanisme, à commencer par ceux qu’à conduits le baron Haussmann. Certains de ces passages sont très connus, d’autres le sont nettement moins. Tous ont un charme particulier, lié ici au chic des boiseries anciennes, là à la beauté des sols en céramique ou en marbre, ailleurs à la grâce aérienne des verrières qui les coiffent ou à la nature des activités qui s’y déroulent.

Le plus ancien passage couvert de Paris – et le plus étendu avec ses 370 m cumulés en totalisant ses différentes galeries – est le passage du Caire. En 1798, l’Égypte est au cœur de l’actualité grâce aux faits d’arme du général Bonaparte. C’est cette année-là qu’est construit le passage entre le 3 place du Caire et le 237 rue Saint-Denis. Son entrée nord-ouest se situe dans la façade d’un immeuble orné de trois têtes monumentales de la déesse Hathor, reconnaissable à ses oreilles de vache. Composé de plusieurs galeries, le passage du Caire n’est pas le plus beau de la capitale, mais certainement l’un des plus pittoresques avec son incessante animation de grossistes et de confectionneurs en prêt-à-porter du Sentier : attention aux diables surchargés ! À noter que le débouché du passage sur la place du Caire donne sur ce qui fut l’emplacement de la grande Cour des Miracles adossée autrefois au rempart de Charles V et si bien décrite par Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris. Un détail intéressant : la structure « en toile d’araignée » de la verrière à la jonction des trois galeries qui composent ce passage : la galerie du Caire, la galerie Sainte-Foy et la galerie Saint-Denis.

De Vidocq à Céline

Parfois présenté à tort comme le plus ancien passage couvert de Paris au détriment du précédent, le passage des Panoramas est implanté entre la rue Saint-Marc (quartier de la Bourse) et le boulevard Montmartre. Construite en 1799, la galerie principale doit ce nom de « panoramas » à un lieu d’exposition où Robert Fulton permettait aux Parisiens d’admirer des panoramas peints de villes françaises et étrangères contre quelques sous, de quoi lui permettre de subsister en attendant que Napoléon ait décidé d’acheter son brevet de Nautilus, ce que le Corse ne fit jamais. Surmonté d’une très jolie verrière, le passage des Panoramas est de nos jours principalement occupé par des restaurants et des boutiques spécialisées dans la philatélie et la numismatique. Deux autres galeries – moins spectaculaires – font partie de cet ouvrage : la galerie Saint-Marc et la galerie des Variétés où s’ouvre l’entrée des artistes du théâtre éponyme. Le passage des Panoramas fut la première voie parisienne à être éclairée au gaz en 1817.

Situé dans le prolongement du passage des Panoramas de l’autre côté du boulevard Montmartre* (au n° 10), le passage Jouffroy, ouvert au public en 1847, est l’un des plus séduisants de la capitale avec son dallage de marbre – rénové dans l’état d’origine en 1987 –, ses jolies boutiques et sa verrière à armature métallique. On y trouve notamment le superbe Salon des Miroirs très prisé pour des cocktails privés, le réputé salon de thé Valentin, et le modeste mais charmant hôtel Chopin dont la réception jouxte la sortie du Musée Grévin. Passé un décrochement coudé de quelques marches, ce passage débouche sur la rue de la Grange-Batelière.

Et là, surprise : au n° 6 de cette rue de la Grange-Batelière s’ouvre une nouvelle allée couverte qui invite à poursuivre la promenade : le passage Verdeau dont l’extrémité nord débouche sur la rue du Faubourg-Montmartre*. Ouvert également en 1847, ce passage, surmonté d’une jolie verrière, est principalement fréquenté par les amateurs de livres anciens et de cartes postales de collection venus rendre visite aux professionnels installés là depuis l’ouverture de l’Hôtel des ventes Drouot.

Le plus prestigieux des passages couverts de la capitale est sans doute la galerie Vivienne. Proche du Palais-Royal, ce magnifique ouvrage ouvert au public en 1826 relie le 4 rue des Petits-Champs au 6 rue Vivienne. Il offre aux passants le spectacle de très belles verrières, de superbes mosaïques inspirées de l’antiquité, et de commerces très chics surmontés d’arcades du plus bel effet. Au n° 13 un escalier monumental conduit à des appartements dont l’un fut un temps habité par Vidocq, « Ex-chef de la police particulière de Sûreté qu’il a dirigée durant vingt ans avec un succès incontesté » comme il l’indiquait lui-même avec une grande modestie sur ses en-têtes de lettre.  

Parallèle à la précédente, et construite comme elle en 1826, la galerie Colbert est, au contraire de sa voisine, dépourvue de tout commerce. Il est vrai qu’elle est la propriété de la Bibliothèque Nationale et dédiée à la culture. Outres des laboratoires universitaires de recherche historique, on y trouve les locaux de l’INHA (Institut national d’histoire de l’art) et ceux de l’INP (Institut national du patrimoine). Rénovée en 1986, cette jolie galerie se caractérise par des colonnades en marbre veiné marron – hélas faux ! – et une superbe rotonde à arcades dominée par un dôme de verre ; au centre de la rotonde, une élégante statue en bronze de Lebœuf, réplique de 1862 d’un marbre exposé au Louvre, représente « Eurydice mourante ». À voir également, à l’entrée du passage côté rue Vivienne, la très chic brasserie Art nouveau Le Grand Colbert.  

Situé un peu plus à l’ouest, entre le 40 rue des Petits-Champs et le 23 rue Saint-Augustin, le passage Choiseul est, avec ses 190 m, le plus long de la capitale. Édifié en 1825 puis ouvert au public deux ans plus tard, il n’a pas le charme de ses voisins malgré de belles arcades élevées sur des pilastres tout au long de la galerie. Il doit en partie sa notoriété au fait que le controversé Louis-Ferdinand Céline, fils d’une mercière qui tenait boutique dans le passage, y a habité durant son enfance.

Se chausser chez Louboutin, déjeuner à la « Petite Inde »

Non loin de là, le passage des Princes, situé à deux pas de l’Opéra, relie le 5 boulevard des Italiens au 97 rue de Richelieu. Construit en 1860 par dérogation d’Haussmann qui, à l’époque, supprimait plutôt des passages existants pour élargir la voirie dans le cadre de ses grands travaux d’urbanisme, ce passage a été détruit au début à la fin du 20e siècle dans le cadre d’un vaste projet immobilier avant d’être rebâti en 1995, prétendument à l’identique. Malgré la réutilisation d’éléments de l’ouvrage d’origine, les choix architecturaux n’en sont pas moins contestés par les puristes, malgré la présence de la très belle armature métallique ornée d’arabesques de la verrière. C’est à l’approche des fêtes de fin d’année que le passage des Princes est le plus animé. Et pour cause : outre l’enseigne Joué-Club éclatée en plusieurs magasins, on trouve là principalement des commerces de jeux et de jouets.

Un kilomètre plus au sud, l’on peut découvrir la galerie Vérot-Dodat dans le quartier du Louvre. Ouverte en 1826 à l’initiative de deux charcutiers, messieurs Vérot et Dodat, entre les rues Jean-Jacques Rousseau et de Bouloi, elle est assurément l’une des plus élégantes de la capitale avec ses boiseries et son dallage de losanges en marbre qui accentue l’effet de perspective. Caractérisée par des entrées en arcade encadrées de colonnes ioniques, cette jolie galerie – naguère un raccourci pratique entre les Halles et le Palais-Royal – est surtout fréquentée par des employés du voisinage. Mais pas seulement : on y rencontre aussi les clients aisés des antiquaires, des galeristes, du salon de thé et de l’atelier-boutique Louboutin, implantés dans ce très chic passage où la tragédienne Rachel a habité durant quelques années.

Le plus spectaculaire par la hauteur de sa verrière à structure de fer forgé – près de 12 m au-dessus de la galerie en marbre – est le passage du Grand cerf dont le nom est dû à une ancienne hôtellerie d’où partaient des véhicules de messagerie. Construit en 1825 entre le 145 rue Saint-Denis et le 8 rue Dussoubs (anciennement rue des Deux Portes) puis largement rénové en 1985, ce charmant passage est constitué de boutiques aux façades boisées principalement occupées par des artisans, des créateurs d’art et des designers. On est là à 500 m seulement du passage du Caire, et pourtant dans un tout autre monde !

Reste à désigner le plus exotique des passages couverts de Paris. Un titre qui revient sans conteste au passage Brady, depuis longtemps reconverti en « Petite Inde ». La plupart des commerces y sont en effet tenus par des indo-pakistanais. On trouve là des restaurants, des coiffeurs et des boutiques d’alimentation dans une atmosphère souvent dominée par le parfum du curry et de la coriandre. Construit en 1828, le passage Brady comporte deux parties séparées par le boulevard de Strasbourg où s’élevait jadis une rotonde à la jonction de ces deux segments. Seule la partie ouest, entre le 46 rue du Faubourg-Saint-Denis et le 33 boulevard de Strasbourg, est couverte d’une verrière, mais l’on peut savourer des deux côtés un biryani de poulet ou un poisson tikka.

L’ensemble de ces passages – et de quelques autres non évoqués ici – forme un patrimoine à découvrir ou à redécouvrir au gré d’agréables balades, agrémentées ici par le plaisir de déguster un lapsang souchong dans un charmant salon de thé, là par la quête de vieilles cartes postales ou de variétés philatéliques dans une échoppe ancienne. Toutes ces galeries sont en accès libre durant la journée, mais à l’exception du passage Brady elles sont fermées par des grilles pendant la nuit. Il convient donc de se renseigner sur les horaires d’ouverture au public, sachant que la fermeture varie entre 18 h 30 et 21 heures.

Bonne promenade !

* Attention au piège : ni le boulevard Montmartre, ni la rue Montmartre, ni la rue du Faubourg-Montmartre ne se situent sur la Butte éponyme, pas même aux abords de celle-ci. Pour escalader la Butte Montmartre, il faut se rendre plus au nord, au-delà des boulevards de Clichy et de Rochechouart.

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Galerie Colbert, la rotonde

 

Passage des Panoramas

 

Passage du Grand cerf

 

Passage Brady

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