Singapour : des orchidées et des gratte-ciel
par Fergus
mardi 27 octobre 2009
Un grand nombre de touristes en partance pour un pays d’Extrême orient ou d’Océanie font escale dans ce petit état du sud-est asiatique. Mais très peu prennent le temps de visiter cette archipel si contrasté. Dommage, car Singapour est un fascinant mélange de quartiers d’affaires, de vestiges coloniaux et de nature sauvage. Embarquement immédiat dans un Airbus de la Singapore Airlines...
Il fait 31° à l’aéroport de Changi (tout proche de la prison d’état), et le taux d’humidité frôle les 90 %. Normal, nous sommes en pleine zone tropicale. Pour se rendre au centre-ville, trois moyens à disposition : le bus, l’une des trois lignes de métro automatique, ou l’un des taxis qui font la navette. Parmi eux, quelques bons vieux cabs britanniques rappellent le passé colonial de la région. Welcome in Singapore.
Avant toute chose, il faut savoir que ce petit état de 650 km² (à peine plus étendu que le Territoire de Belfort !) est situé à l’extrémité sud de la péninsule malaise. Il est séparé de son grand voisin par un étroit bras de mer, le Selat Johor, que franchit un large pont ferroviaire et routier. L’archipel singapourien est constitué d’une île principale (89 % de la superficie du pays) et de 63 îles satellites majoritairement désertes, à l’exception de quelques-unes, notamment la très ludique Sentosa, accessible par un pont routier, la très industrielle Jurong (installations électriques et pétrochimiques) et la sauvage Pulau Ubin, constituée pour l’essentiel de forêts, de cocoteraies et de zones marécageuses où évoluent d’impressionnants varans.
Indépendante de la Fédération de Malaisie depuis 1965 et définitivement libérée de la présence britannique en 1971, Singapour (la « ville du lion » en malais*) est, en quelques décennies, devenue l’une des places économiques les plus importantes de la planète en s’appuyant sur ses deux points forts : l’activité portuaire où Singapour détient désormais le 1er rang mondial en terme de tonnage, et les transactions financières qui font de ce petit état l’une des principales places internationales et un paradis fiscal providentiel pour de très nombreuses sociétés. Tout cela s’est traduit par une progression galopante du PNB par habitant. À tel point que Singapour est venue talonner la France en 2007 (30228 $ US contre 30540 $), avant de la dépasser très probablement en 2008.
L’argent est d’ailleurs le maître mot à Singapour où les habitants, majoritairement chinois (76 % de la population), n’aspirent, à l’instar de la devise du pays (Puisse Singapour prospérer) qu’à une chose, et cela sans la moindre gêne : faire du fric. Un objectif assez largement atteint. À tel point que le niveau de vie des Singapouriens est l’un des plus élevés du monde et ne cesse de progresser dans les classes moyennes et supérieures. Les classes populaires existent, mais elles bénéficient elles aussi d’une amélioration rapide de leurs conditions de vie. La diminution, en quelques années, du nombre des food courts, l’une des attractions de Singapour, est là pour le démontrer.
Gare aux cobras !
Composés de nombreux petits artisans restaurateurs, ces food courts, implantés tantôt en extérieur tantôt dans les sous-sols des immeubles commerciaux, n’en restent pas moins étonnants pour un observateur occidental, et surtout providentiels pour les aventuriers gastronomiques, désireux de goûter la cuisine populaire asiatique. On y mange malais, thaïlandais, vietnamien, indonésien, chinois, coréen ou indo-pakistanais. À trois ou quatre dollars singapouriens (moins de deux euros) le repas boisson non comprise, la clientèle essentiellement asiatique comporte également des expatriés, assurés de manger là nettement moins cher qu’en cuisinant eux-mêmes leurs repas à domicile, ou a fortiori en fréquentant des établissements occidentaux, telle la… crêperie bretonne Ar-Men récemment disparue.
Symbole de l’éclatante réussite financière de Singapour, le principal quartier d’affaires se donne, sur le front de mer, des airs de Manhattan, à deux pas du très prisé Boat Quay où, dans de vieilles maisons coloniales, s’alignent des restaurants très prisés des cols blancs de cette City asiatique venus déjeuner en terrasse au bord de la Singapore River. Un contraste qui constitue l’une des caractéristiques de cette ville-état où se côtoient des époques et des cultures très différentes. Contraste également entre la très mondialisée et très commerciale Orchard Street avec ses luxueuses enseignes occidentales et le petit quartier voisin d’Emerald Hill où subsistent de charmantes maisons coloniales. Contraste entre l’exubérant temple indien Sri Thendayuthapani ou la mini pagode en bronze de Buddhist Lodge et, au cœur d’un parc voisin, les austères vestiges britanniques de Fort Canning. Contraste entre les puissants engins de chantier qui contribuent au développement de la ville et ces travailleurs immigrés vietnamiens ou indonésiens, le plus souvent mal payés, qui partent à l’assaut des façades sur des échafaudages de bambous. Contraste encore entre les magnifiques et surprotégées résidences coloniales des dirigeants ou des industriels et les immeubles populaires où s’agitent aux fenêtres des centaines de vêtements bigarrés suspendus à des hampes de bambou. Contraste enfin entre Chinatown, Little India ou le quartier musulman de Kampong Glam, bâti autour de la mosquée de Masjid Sultan.
Autre contraste saisissant, celui qui saute aux yeux du visiteur en se rendant à la Bukit Timah Nature Reserve où se trouve le point culminant de l’île (164 m). En quelques instant, il passe de la ville à l’une des réserves les plus spectaculaires de Singapour car constituée d’une partie préservée de l’ancienne forêt tropicale. Ce sont d’ailleurs les macaques qui accueillent les visiteurs dès le parking où ils colonisent les capots et les toits des voitures. Un peu plus loin, c’est l’habituel concert de la forêt tropicale, fait de cris de singe, de chants d’oiseaux et d’assourdissantes stridulations d’insectes invisibles. Bien cachés également les pythons et les cobras. À cet égard, même si les accidents sont rarissimes, mieux vaut faire attention où l’on met les pieds si l’on veut éviter la morsure de ces derniers. Un conseil que suivent peu les autochtones : s’ils marchent normalement sur les pistes montantes qui traversent la réserve, ils abordent presque systématiquement celles qui descendent en… marche arrière, au motif que c’est moins fatigant pour les pieds ! Un spectacle pour le moins étonnant.
Les rochers en toc de Sentosa
Il existe évidemment de nombreux autres points d’intérêt à Singapour, à commencer par les musées recommandés dans les guides de voyage ou, pour les occidentaux, Holland Village, point de ralliement de nombreux expatriés. Hors ces passages obligés, quelques visites sont pourtant tout aussi incontournables pour qui veut approfondir sa découverte de l’archipel. Notamment celle du zoo, incontestablement l’un des plus spectaculaires du monde par le nombre de ses pensionnaires (1500 animaux) et sa remarquable utilisation des décors tropicaux naturels. Autre magnifique réalisation, le jardin botanique avec ses frangipaniers et ses palmiers, mais surtout l’extraordinaire collection d’orchidées du National Orchid Garden. Moins connu, le marécageux Sungei Buloh Nature Park permet un contact rapproché avec des varans géants mais aussi (prudence !) les crocodiles hôtes de la mangrove. La mise en valeur de la nature est d’ailleurs une priorité des autorités singapouriennes. Y compris autour de quelques-uns des 12 réservoirs d’eau douce de l’archipel, tel l’énorme lac artificiel McRitchie ceinturé de sympathiques balades dans la forêt tropicale en compagnie des macaques.
Autre adresse incontournable à Singapour : la Sim Lim Tower à Little India. Certes pas pour son architecture moderne sans charme particulier, mais pour ses centaines de commerces spécialisés en électronique et répartis sur plusieurs étages du building. Tout ce que l’on peut acheter en matériel Hi-Fi, photographique ou informatique se trouve forcément là, quelque part dans cette improbable ruche. Méfiance toutefois : certains assembleurs n’hésitent pas à refourguer des composants de récupération.
Singapour, c’est enfin l’île de Sentosa. La très ordonnée et très ludique Sentosa avec son golf, ses bars et restaurants, ses attractions, son petit train monorail, et surtout ses plages, pratiquement les seules dignes de ce nom dans un archipel très dépourvu en la matière. Des plages artificielles, réalisées grâce à l’apport de centaines de palmiers, la mise en place de… faux rochers, et l’importation de Malaisie d’un impressionnant tonnage de sable fin. Plutôt déconcertants, ces sortes de petits lagons où l’on se baigne dans une eau à 28°, offrent une vue imprenable sur le détroit de Malacca et les centaines de navires marchands qui, parfois à moins de 500 m du rivage, circulent chaque jour dans la voie maritime la plus fréquentée du monde.
Impossible de quitter l’île sans une visite au Raffles (du nom de Sir Stamford Raffles, fondateur de Singapour en 1819 sur l’emplacement d’un village de pêcheurs). Bâti en 1887, le Raffles est tout à la fois un palace très prisé des stars internationales et une galerie commerciale de luxe. Un lieu incontournable, y compris pour ceux qui n’apprécient pas ce type d’endroit. Car c’est là, et là seulement, que l’on pourra déguster dans le patio du Long Bar le véritable singapore sling**, un cocktail à base de gin, de brandy, de cointreau et de grenadine. Une merveille à consommer avec modération, ne serait-ce que pour le porte-monnaie : 15 euros service compris ! Il est vrai que, pour ce prix, on a droit à la prestation, pas forcément bienvenue, d’une artiste glamour chantant Summertime ou My Way d’une voix sirupeuse.
Pour terminer, un bon point au pouvoir singapourien***, dirigé par le très autoritaire Premier ministre Lee Hsien Loong : le Président Sellapan Ramanathan a signé le 18 décembre 2008, en compagnie de 105 autres états, la Résolution des Nations-Unies pour un moratoire sur les exécutions capitales. Un inespéré retour de l’enfer pour les militants des droits de l’Homme : il n’y a pas si longtemps, on déplorait encore 20 à 30 exécutions chaque année. Et cela, c’était inacceptable !
* Le malais est l’une des quatre langues officielles avec le chinois, le tamoul et l’anglais.
** Ce cocktail a été inventé en 1913 par un barman du Long Bar, Ngiam Tong Boon.