Tourisme à Corfou, c’est déjà aider les Grecs

par Pierre-Yves Martin
mardi 26 mai 2015

Les Français qui souhaitent que le seul gouvernement de gauche, dans un pays soumis à l’Union Européenne, réussisse malgré d’énormes difficultés sont certainement nombreux. Ils se demandent peut-être comment les aider. L'efficacité des pétitions en ligne, voire des manifestations, est limitée. Ce n'est pas si simple d'envoyer de l'argent, et puis à qui ? Et si le meilleur moyen était de joindre l'utile à l'agréable, en y faisant du tourisme ?

Ce que nous avons fait pendant une semaine sur l'île de Corfou.

Il ne s'agit pas ici de faire un guide touristique amateur. Pour cela, il y a par exemple le site http://corfougrece.free.fr/ .

Il ne s'agit pas non plus d'une étude sur la situation politique et économique de la Grèce. On peut se reporter à un article dans Agoravox http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/it-s-the-greek-economy-stupid-166641 ou encore aux deux études suivantes http://www.audit-citoyen.org/?p=6374 et http://www.audit-citoyen.org/?p=6358. Il y a aussi un ouvrage collectif récent (que je n'ai pas lu) « La grande régression : la Grèce et l’avenir de l’Europe », aux Éditions Le Bord de l'eau.

En quelques jours passés principalement dans les endroits touristiques, on ne peut avoir que des aperçus très parcellaires, ce que sont ces quelques observations et remarques.

L'essentiel est de se demander s'il ne vaut mieux dépenser son éventuel superflu à Corfou plutôt qu'à New-York, Berlin, Bali ou Dubaï.

Aegean Airlines

Tant qu'à dépenser notre argent en Grèce, autant prendre une compagnie grecque. Cela tombe bien. Aegean Airlines a des vols réguliers Paris-Corfou. L'alternative « low cost » serait Easyjet.

On notera au passage que Aegean Airlines est la maison mère de l'autre compagnie aérienne grecque, Olympic Airways. En 2011, la Commission européenne a interdit une fusion entre égaux de ces deux compagnies. En 2013, elle a autorisé le rachat d'Olympic par Aegean et sa filialisation. De sorte qu'il n'y a pas plus de concurrence que s'il y avait eu fusion et que les deux compagnies coopèrent au prix de lourdeurs évidentes. C'était notre rubrique « L'hypocrisie ordinaire de l'Union Européenne ».

Ce n'est pas une compagnie low cost donc, et ses prestations sont plus qu'honorables : enregistrement aimable et rapide, sièges plutôt larges et repas d'une qualité honnête.

Deux bémols cependant : un retard de près d'une heure pour le décollage au retour, pour lequel il n'a pas été fait d'annonce, et l'accent grec des hôtesses lorsqu'elles parlent anglais au micro.

Je dis « au revoir » en français puisqu’elles ne semblent pas devoir apprécier mon « kalyspera ». Mon épouse leur dit « Bye ». Je lui en fais la remarque. J’ai tort, sans doute, mais ce que le franglais et le « globish » m’horripilent ! Or ce dernier nous poursuivra toute la semaine.

Une île où le tourisme est roi

… Mais où le roi ne se porte pas bien.

Il y a bien une certaine agriculture, essentiellement arboricole, car Corfou serait « la plus verte des îles grecques ». L'olivier, bien sûr, est partout. On voit pas mal d'orangers ; les oranges et citrons sont bons et peu chers. On nous a offert de la liqueur de Kumquat, fruit que les Corfiotes sont fiers d'avoir acclimaté. Nous n'avons pas vu les vignes, mais nous avons bu du vin local.

Il y a aussi des légumes ; nous sommes surpris de voir des artichauts dans des jardins.

Il y a donc une petite industrie alimentaire. La brasserie Corfu Beer, à Arillas, a une petite gamme ; nous avons bu une de ses bières, un peu brune et que nous avons trouvé très agréable, mais nous ne l'avons vu proposer que dans un seul bar.

Cependant Corfou vit principalement du tourisme, directement ou indirectement.

Pour nous, touristes, la crise ne saute pas aux yeux. Personne ne nous dit « Venez chez nous car cela va mal ». Mais on peut assez facilement la deviner.

C'est en mai que commence la saison touristique. Nous avions choisi cette période en connaissance de cause : le climat est meilleur, les prix sont plus bas, les files d'attente sont rares et les Grecs ne sont pas encore marqués par le stress de la haute saison.

Même pour cette période, c'est vide . Deux à trois studios occupés ,sur une bonne vingtaine, là où nous avons séjourné au nord-est de l’île. Un autre couple français, rencontré à l'aéroport, nous dira deux studios occupés sur une vingtaine, et ceci à prix bradés, à Benitses.

On constate plus ou moins la même chose dans des restaurants, et ce n'est pas parce qu'ils sont mauvais ou trop chers.

Une fois la confiance établie, nous interrogeons le couple qui s'occupe au quotidien de notre hôtel de studios. Ils sont clairs : La saison commence mal et cela va durer. A demi-mots, ils font allusion à « la situation ».

D'autres se bornent à dire que la saison démarre lentement.

Le nombre assez faible de touristes allemands n'est pas vraiment une surprise, compte tenu du climat politique. La surprise, c'est de rencontrer partout des Français et souvent en nombre. Corfou a en effet la réputation d'être une destination moins prisée par nous que par d'autres. En témoigne ce menu de restaurant en Grec, Anglais, Allemand, Italien, Russe et Tchèque, mais pas en Français. Est-ce là aussi un effet de la crise, car Corfou est proposée à des prix très bas par les tour operators, parfois de l'ordre de 400 euros la semaine ? Ou bien cela reflète-t-il une certaine sympathie politique ? Peut-être les deux...

Il y a un autre indice qui ne concerne pas la conjoncture de cette saison, mais une période plus longue. On voit beaucoup de structures de maisons ou de petits immeubles en béton brut, avec quelquefois un petit stock de briques creuses ou un peu de matériel de construction, sur lesquels on ne fait manifestement plus rien. Le même couple français nous fera spontanément la même observation. Lors de nos voyages antérieurs en Grèce, nous avions déjà vu cela, mais pas dans les mêmes proportions. Il n'est probablement plus très rentable d'investir dans l'hébergement des touristes ordinaires.

Car, par contre, la construction de résidences luxueuses continue...

A Aghios Marcos, nous montons un chemin et sommes à une vieille barrière levée. Une voiture le remonte et s’arrête à notre hauteur. Un homme blond et baraqué s’y trouve. Je lui demande s’il parle anglais. Réponse sur un ton déplaisant : « Privat no no » , sans un mot de plus. Des Russes, ou Ukrainiens, ou même peut-être Allemands, ont acheté un des plus beaux points de vue au-dessus d’Ypsos. Ils y occupent une propriété soigneusement enclose et font aussi construire une belle maison de l'autre côté de la route.

Comme quoi il y a des différences entre l’hospitalité grecque et celle des oligarques de l’Est… Les Russes, froids et sans gêne, ne semblent être appréciés ni par les autres touristes, ni par les autochtones.

Le musée archéologique est en travaux actifs. D’autres sites sont en travaux passifs : ils sont cachés et sans doute dans l’attente d’hypothétiques financements.

Harmonie des paysages, variété des résidences

On peut illustrer la variété des touristes et des habitants par celle des bateaux  : yachts de grand luxe, immenses et ineptes HLM flottants qui ne s’arrêtent que quelques heures, petites embarcations de toutes tailles et qualités.

Il y a aussi la variété des habitats : vieux quartier de ruelles étroites, inscrit au patrimoine mondial par l’UNESCO mais gâché par l’omniprésence des boutiques débiles pour touristes débiles, quartiers cossus, quartiers pauvres, maisons pimpantes, maisons en ruine, hôtels impeccables, immeubles délabrés ou tagués, béton un peu partout, béton n’importe comment.

Ceux qui travaillent

Pour Herr Schaüble ou Frau Merkel, il faut que les Grecs travaillent plus, toujours plus, et soient moins payés, toujours moins, puis pas du tout lorsqu'ils ne pourront plus travailler. Ils sont d'ailleurs équitables : ils réservent le même sort aux Anglais, et surtout aux Français .

Dans des stéréotypes parfois sous-entendus par nos médias, les Grecs seraient paresseux, indisciplinés, inefficaces, etc. Ce n'est pas l'impression que nous avons eue.

Les routes de Corfou sont pour la plupart étroites et peuvent donc être dangereuses, mais elles sont bien aménagées et soigneusement entretenues. Les équipes de cantonniers travaillent dans des conditions difficiles, tout en régulant attentivement la circulation.

Cantonniers ou jardiniers, les équipements de sécurité, casaques de visibilité, grilles devant le visage, coquilles, sont portés avec sérieux, plutôt mieux que chez nous.

Ceux qui sont en contact direct avec le touristes peuvent donner l'impression d'une certaine nonchalance, car ils passent beaucoup de temps à attendre en discutant, mais ils s'exclament « Hello » et tentent d'établir un contact dès qu'ils détectent un client potentiel.

Notre couple d'hôtes fait ce travail depuis une semaine. On nous annonçait que le studio serait fait tous les deux jours et le linge changé une fois par semaine. Le studio est fait presque tous les jours et le linge changé après deux jours. La dame s'affaire du matin au soir et maintient tout dans un état impeccable. Elle nous fait une lessive pour un prix dérisoire. Le mari tient le snack, en réalité un bar-restaurant. Auparavant, il louait des chaises longues sur la plage et entretenait un jardin. Pour le jardin, il aurait bien voulu continuer en utilisant son jour de congé hebdomadaire ; il est soucieux, car il constate que ce n'est pas possible.

A l'aéroport de Corfou, l'employé Hertz qui contrôle les voitures à l'arrivée et au départ nous parle dans un français sans accent. A notre question, il répond qu'il a fait une école de commerce à Paris. Il semble parfaitement content de son travail très actif, mais quant même un peu routinier.

A Corfou, la gauche est visible.

Une déception d’abord : j’espérais une pleine semaine sans voir un drapeau de l’Union Européenne. Un rêve ! Eh bien non. Il y en a : pas beaucoup, un peu sur le côté, un peu honteux, un peu minables, mais il y en a...

Dans tous les quartiers, même touristiques ou résidentiels, Il y a des petites affiches des frères ennemis, le KKE, communistes très maintenus et un peu staliniens (mais ils en ont tellement bavé qu’on peut les comprendre) et SYRIZA, très vague cousin de notre Front de Gauche mort-né.

 

Quand nous ferons le tour du nord de l’île, où les agglomérations sont essentiellement touristiques, nous ne verrons pas d’affiches.

On sait que SYRISA dirige la région des Îles ioniennes (et aussi la région de l'Attique) et la municipalité de Corfou ville.

Payer ou ne pas payer... les taxes

A l'arrivée à l'aéroport, le taxi pour l'hôtel n'a pas mis son compteur. Je demande « combien ? » en grec. Il faudra répéter en anglais. Nous nous mettons d'accord sur un prix que je sais correct. Donc je suis déjà complice d’une fraude fiscale. Le surlendemain, un taxi appelé par l’hôtel a mis normalement son compteur.

Les paiements en liquide sont très courants, les pourboires systématiques.

Contrairement à ce que nous avions vu en Crète il y a cinq ans et ailleurs auparavant, assez peu de maisons avec un futur étage supérieur éternellement commencé et les autres totalement habités ; nous n’en avons vu aucune qui semblait récente. Les impôts locaux sont moins élevés tant que la construction n’était pas totalement achevée et, surtout, on oublie de déclarer l'occupation partielle ; il suffit que quelques faisceaux de ronds à béton dépassent d’en terrasse en béton brut, et bien sûr que l’étage inexistant aie été prévu administrativement.

Sur ce point, les explications de « Pierre « dans l'article d'Agoravox référencé ci-dessus me semblent à nuancer. Il y a certes des cas où la situation est provisoire, comme peut-être dans la photo ci-dessous, mais il y en a sûrement une forte proportion où elle est... fiscale.

Le nouveau gouvernement s'attelle à la lutte conte la fraude fiscale, et c'est indispensable. Cependant, il manque de moyens. Cela peut réussir, de même que la France a vaincu les excès de vitesse sur les autoroutes ou le tabagisme, mais ce sera très long.

Oui, cette île est belle.

Ce n'était pas le but, mais terminons quant même avec deux photos... touristiques.


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