Faut-il stocker des ampoules à incandescence ?

par Eric Lombard
mardi 30 juin 2009

Alors que le top départ d’une conversion massive de nos lampes est donné aujourd’hui  (30 juin), certains se demandent si les bénéfices annoncés sont bien réels et si l’impact des lampes fluo-compactes sur l’environnement et la santé n’a pas été minimisé. Qu’en est-il vraiment ? Faut-il suivre le mouvement ou résister en stockant des ampoules à incandescence ?

Au terme de cette enquête, il apparaît que les questions soulevées ne sont pas sans fondement. Il est donc conseillé d’appliquer le principe de précaution et de ne changer les ampoules qu’avec parcimonie :

-  Remplaçons les ampoules les plus utilisées (plus d’une heure par jour) par des fluo-compactes,  mais cherchons les bonnes affaires pour ne pas les payer plus qu’elles ne valent. Et recyclons les en fin de vie.

-  Pour toutes les autres, ne faisons rien tant qu’elles tiennent le coup. Au besoin, prévoyons quelques ampoules à incandescence de rechange.

Le mouvement est lancé : les bonnes vieilles ampoules à incandescence vont peu à peu disparaître des linéaires pour céder la place aux lampes basse consommation, principalement fluo-compactes. C’est une décision européenne reprise en France de manière volontariste par le Grenelle de l’environnement.

Pas un big-bang, mais presque …

La convention passée entre l’état et les parties prenantes précise en effet que les ampoules de 100 W et plus seront bannies au 30 juin 2009, celles de 75 W au 31 décembre, celles de 60 W au 30 juin 2010, etc. Mais attention, ni les spots, ni certaines lampes halogènes, ni les lampes spéciales ne sont concernées, du moins pour l’instant (Détails sur le site de l’AFE).

Dans un récent avis, l’ADEME (Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) résume les enjeux. Le remplacement programmé devrait permettre d’économiser 6 TWh (6 milliards de kWh) par an à l’horizon 2016, soit un peu plus d’1% de la consommation électrique française. Il devrait permettre également d’éviter "près de 1 million de tonnes" de CO2, soit un peu moins de 0.2% des émissions françaises de gaz à effet de serre. Enfin, les lampes fluo-compactes seront recyclables à 93%.

Mais au-delà des objectifs louables d’économie, cette vaste opération constitue sans aucun doute une aubaine pour les fabricants et importateurs de lampes. En substituant des produits vendus autour de 1 € par d’autres vendus autour de 8 €, leurs chiffres d’affaire et leurs bénéfices vont exploser, d’autant que le coût de fabrication des fluo-compactes ne dépasserait pas 2 $ (1.50 €).

C’est dans ce contexte que sont nées un certain nombre de controverses sur l’opportunité de l’opération, d’autant plus qu’une autre technologie plus prometteuse, les LEDs (diodes électroluminescentes), pourrait prendre le relais dans quelques années.

 

Les controverses

Controverse N° 1 : Les lampes fluo-compactes contiennent du mercure qui est volatile et toxique.

Elles en contiennent en effet 3 mg en moyenne, 5 mg maxi. Comme il s’en est vendu environ 30 millions en 2008, cela fait 90 kg de mercure, soit seulement 0.05% des 188 tonnes consommées chaque année en France, mais qui risquent néanmoins de se retrouver un jour dans la nature.

- soit parce qu’on casse une ampoule chez soi.

- soit parce qu’elles n’aboutissent pas, ou pas intactes, dans la filière de récupération qui a été mise en place par Récylum.

Les vapeurs de mercure sont toxiques. La valeur limite d’exposition professionnelle en France est de 50µg/m3, en moyenne pendant 8 heures par jour, 5 jours par semaine. Si on casse une lampe contenant 5 mg de mercure dans une pièce de 10 m2 (25 m3), à supposer qu’on laisse le temps au mercure de se disperser dans la pièce (ce qu’il ne faut évidemment pas faire, voir ici la conduite à tenir), la concentration théorique atteindra 200 µg/m3. Si on aère efficacement la pièce et qu’on élimine les débris, la concentration va retomber rapidement. Dans le test fait par Osram dans une pièce de 35 m2 (!), la concentration n’a pas dépassé 25 µg/m3 et est retombée à 0 après quelques minutes d’aération.

Un article du Canard enchaîné avait lancé l’alerte en 2005, mettant l’accent sur les risques liés au recyclage d’un produit aussi fragile et aussi facile à mettre à la poubelle. Pour l’instant, le taux de retour est en effet faible - mais cela peut s’expliquer par la durée de vie de ces lampes dont la commercialisation est récente

Les fabricants de leur côté font valoir que l’électricité économisée par les lampes fluo-compactes provient souvent (mais peu en France) de centrales à charbon et que le charbon contient du mercure. Globalement, le bilan serait positif. Il y aurait moins de mercure dans les lampes que dans le charbon qu’on évite de brûler. C’est sans doute pour cette raison que l’UE n’a pas relevé de contradiction avec sa stratégie de réduction du mercure adoptée en 2005. Mais pourtant les risques sont différents : on ne respire pas directement ce qui sort des cheminées des centrales thermiques, alors que quand on casse une ampoule, on a le nez dessus !

Première raison donc d’appliquer le principe de précaution et de limiter nos achats d’ampoules au mercure.

 

Controverse N° 2 : Les lampes fluo-compactes émettent des radiations électromagnétiques qui ne seraient pas sans danger.

Les composants électroniques utilisés pour éviter le scintillement génèrent des champs électromagnétiques de basse fréquence (30-60 kHz). Il y a un pic à l’allumage, puis le champ décroît. A plus d’1 m, il est noyé dans le bruit de fond. Entre 1m et 20 cm, il est inférieur aux normes en vigueur pour ce domaine de fréquences. Mais selon les mesures du Criirem il y aurait un problème à moins de 20 cm. Comme il n’existe pas de protocole de mesure normalisé pour effectuer les mesures aussi près de la source, celles-ci n’ont pas été validées. L’ADEME a donc saisi l’AFSSET (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail) pour officialiser une méthode. En attendant le résultat de nouvelles mesures, il vaut mieux ne pas trop s’approcher …

Le Comité scientifique des risques sanitaires émergents et nouveaux (CSRSEN/SCENIHR) de la Commission européenne a émis un avis en septembre 2008 sur les effets des lampes basse consommation sur la santé. S’il ne trouve rien à redire sur les champs électromagnétiques, il indique par contre que « la seule propriété des lampes fluorescentes compactes qui puisse éventuellement représenter un risque supplémentaire est le rayonnement ultraviolet et de lumière bleue émis par ces appareils. Dans le pire des cas, ce rayonnement pourrait aggraver les symptômes de quelque 250 000 personnes au sein de l’UE souffrant de maladies cutanées rares qui les rendent extrêmement sensibles à la lumière. (…) L’utilisation de lampes basse consommation à double enveloppe ou d’autres technologies similaires atténuerait les risques tant pour la population générale que pour les patients sensibles à la lumière. »

 

Controverse N° 3 : La substitution ne sert à rien, car en hiver, il faut compenser la chaleur des ampoules à incandescence par un supplément de chauffage.

On trouve beaucoup de réponses fantaisistes dans les forums. Cela n’est pas étonnant, car la question est complexe. En l’absence d’étude sérieuse, voici ce qu’on peut affirmer :

- de par le principe de conservation de l’énergie, toute énergie émise par une ampoule, qu’elle soit thermique ou lumineuse contribue "in fine" à chauffer la pièce dans laquelle elle se trouve. La seule énergie qui s’échappe est la lumière qui sort par les fenêtres quand elles ne sont pas obturées par des rideaux ou des volets. Le reste contribue à chauffer la pièce et se dissipe plus ou moins vite par les parois selon la qualité de leur isolation, de la même manière que la chaleur produite par les radiateurs.

- la question débattue est de savoir si la chaleur générée par l’allumage d’une ampoule à incandescence modifie la marche du chauffage de la pièce ?

La réponse dépend du mode de régulation du chauffage : régulation générale par sonde extérieure, par sonde intérieure, régulation individuelle par radiateur. Dans le premier cas, l’éclairage est sans influence sur le chauffage, dans le second, seul l’éclairage de la pièce où se situe la sonde a un impact. Dans le dernier cas, l’ADEME indique que dans un appartement de 80 m2 chauffé par des convecteurs électriques, le besoin de chauffage supplémentaire induit par le changement des ampoules serait de 75 kWh par an. Les habitants de ce logement moyen n’économiseraient donc que 200 kWh (au lieu de 275) sur une consommation liée à l’éclairage de 365 kWh.

Dans ce dernier cas, c’est à dire quand chaque radiateur possède une régulation individuelle, la réponse dépend aussi de la position de l’ampoule. Si l’ampoule est au plafond, son allumage ne modifierait pas la marche de la régulation de la pièce (mais probablement celle de la pièce située au dessus).

- quand le logement est chauffé au gaz ou au fioul, la compensation éventuelle de l’énergie électrique par une énergie fossile oblige à s’enquérir du bilan CO2. Si, comme les antinucléaires, on prend en compte le contenu marginal en CO2 de l’électricité (600 à 700 g CO2/kWh), il n’est pas inintéressant de remplacer une part de la consommation électrique par un peu plus de chauffage aux énergies fossiles (dont le contenu en CO2 n’est que de 200 à 300 g CO2/kWh). Sinon, on estimera qu’il n’est pas indiqué de remplacer du courant électrique d’origine essentiellement nucléaire et hydraulique (40 à 90 g CO2/kWh) par des énergies fossiles brûlées à domicile. (note ADEME/RTE)

Cette controverse est donc fondée. Les promesses d’économies d’énergie ne seront pas entièrement tenues : dans la plupart des cas, le chauffage devra compenser au moins une partie de la chaleur fournie aujourd’hui par les ampoules à incandescence (mais a priori sans impact négatif sur les émissions de CO2).

 

Controverses N° 4 : Les lampes fluo-compactes créent de la puissance réactive, qui réduit les économies d’électricité escomptées

Ce n’est pas un inconvénient pour les particuliers qui ne sont pas facturés pour ça, mais c’en serait un pour la collectivité, car la puissance réactive augmente les pertes en ligne.

Il est difficile de se faire une opinion, les fabricants de lampes ne communiquant pas sur ce sujet. J’ai donc procédé à des mesures de cosφ sur des lampes de deux marques. J’ai trouvé des valeurs voisines de 0.6, c’est-à-dire bien inférieures à la valeur de 0.8 en dessous de laquelle EDF facture un supplément à ses clients industriels. Il faudrait bien sûr faire plus de mesures, mais on peut d’ores et déjà affirmer que les économies annoncées sont en partie neutralisées par cet effet. De combien ? Cela devra être évalué.

 

Vrai ou faux ?

- Les lampes fluo-compactes produisent une lumière blafarde.
Faux.
Les lampes fluo-compactes peuvent produire une lumière froide ou chaude (bleutée ou jaune). Cette caractéristique sera indiquée sur les emballages à partir de septembre 2010.

- On ne peut pas utiliser de variateur.
Vrai.
Mais les fabricants commercialisent maintenant des fluo-compactes compatibles avec les variateurs. Cette caractéristique est signalée par un logo sur l’emballage.

- Les lampes fluo-compactes éclairent moins bien.
Faux.
Ce sont les tables de correspondance entre anciennes et nouvelles lampes qui sont parfois imprécises. Il faudra s’habituer à parler en lumens, et non plus en watts. En attendant, ne pas hésiter à choisir des puissances un peu plus fortes.

 

Que faire ?

Sylvie, une mère de famille interviewée par Capital (M6, 11 mai 2009) a remplacé toutes les lampes de sa maison pour la jolie somme de 694.40 €. Elle est heureuse d’avoir fait un geste pour l’environnement, mais est consciente qu’elle ne rentabilisera sans doute jamais son investissement. Fallait-il être aussi extrémiste ?

Sûrement pas ! Je conseille un calcul simple, en oubliant un instant les économies d’énergie, puisqu’elles ne sont pas aussi importantes qu’on veut bien le dire. Les données que j’utilise sont des valeurs moyennes officielles, que chacun peut ajuster à son idée.

Une lampe à incandescence dure 1000 heures et coûte 1 €. Une lampe fluo-compacte de 8000 heures de durée de vie annoncée achetée 8 € ne reviendra donc au final pas plus cher. Mais à condition de l’utiliser 8000 heures, c’est-à-dire au moins 1 heure par jour pendant 20 ans !

Conclusion pratique : le changement des ampoules utilisées plus d’une heure par jour est forcément gagnant, et d’autant plus gagnant qu’on paiera les fluo-compactes moins de 8 €.

Trouver des prix bas ne devrait pas être trop difficile, car la convention passée entre le ministère et les enseignes de la distribution et du bricolage prévoit « une opération promotionnelle de très grande ampleur en 2009 ». Une autre piste est donnée par le site suisse topten.ch qui recommande les lampes Ikea, bon marché et de bonne qualité. Mais attention aux importations mal contrôlées. Les marques de fabricant ou de distributeur offrent une certaine garantie de qualité, même si beaucoup de leurs lampes sont aussi fabriquées en Chine.

Inversement, l’intérêt n’est pas évident pour toutes les ampoules utilisées peu souvent (caves, greniers, pièces inutilisées, résidences secondaires …) ou fréquemment mais pendant de courtes durées (WC, couloirs, salles de bains …). D’une part, toutes les fluo-compactes ne supportent pas les allumages fréquents ni ne donnent leur pleine puissance immédiatement, d’autre part, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Ni économiquement, ni, on l’a vu, du point de vue de l’environnement. L’ADEME contactée pour cette enquête conseille, pour ces utilisations, de garder les vieilles ampoules jusqu’à ce qu’elles grillent.

Faut-il faire des stocks en prévision de cette éventualité ? L’ADEME ne le préconise pas, mais on peut le faire, de manière raisonnable - pas plus d’une pour trois - car la technologie va évoluer très vite. On peut en tous cas garder les ampoules à incandescence remplacées plutôt que les jeter.

Pour terminer, un petit coup de projecteur sur les lampes halogènes haute efficacité. Vendues quelques €, elles durent plus longtemps et sont plus économes que les ampoules à incandescence, sans présenter les inconvénients des fluo-compactes. Elles peuvent représenter un bon compromis, à condition de les trouver effectivement chez les détaillants.

Remerciements : le déclic de cette enquête m’a été donné par l’article d’Eugène Wermelinger dans Agoravox : Ampoules basse consommation, mais haute dangerosité ? Merci également à Liberty, fergus, lapa, roger_imotep, Truk, jacques, dont j’ai suivi les pistes indiquées dans leurs commentaires.

 

Crédit photo : zetson

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