Le Trouvère du levant…
par C’est Nabum
mercredi 18 septembre 2024
L'Évanescent
Il était venu du Levant en jonglant avec les mots, la musique et bien d'autres choses. Il se donnait une curieuse allure qui semblait nous souffler à l'oreille qu'il avait voyagé dans une époque, qui n'était certainement pas la nôtre et qu'il ne serait que de passage telle une étoile filante. Son nom ? Nul n'en sut jamais rien, cela faisait partie du mystère qui l'entourait, qui nimbait toutes ses prestations et ses interventions fracassantes.
Car l'homme était trouvère, un titre auquel il tenait, le revendiquant haut et fort sans qu'alors nous n'en saisissions toutes les connotations. Il est vrai qu'il envoûtait par sa verve et sa science des mots qui enchantent les cœurs. Il avait ce don magnifique d'unir les mots et les sons, de pénétrer l'âme des vers afin de leur accorder un univers taillé sur mesure.
Le trouvère n'était pas avare de sa plume. Il aimait à la glisser dans les textes maladroits des mirlitons qui - le pensait-il alors - avaient le bonheur de croiser sa longue route d'errance. Il avait l'art et la manière de modifier quelques formules maladroites, des mots incertains et des tournures qui ne sonnaient pas bien. Il faisait offrande de ces quelques retouches pour s'en aller sous d'autres cieux.
Petit à petit, il y eut dans le pays un grand nombre de chansons qui avaient eu le privilège de bénéficier de ses apports. Chacun pouvait ainsi se réjouir de ce qui paraissait être un don du ciel. Le trouvère s'en allant comme il était venu, ayant tout naturellement laissé une petite trace en guise de signature. Il poursuivait sa longue route qui le conduisait vers le Ponant, tant le trouvère du Levant était appelé par les murmures de la grande mer océane.
Il était parti depuis quelques temps quand les premières manifestations se firent sentir. Les petits artisans de la distraction qui se donnaient l'illusion de faire spectacle se rendirent compte qu'ils étaient tous victimes de trous de mémoire inexplicables. Des mots ou des expressions se dérobaient à eux alors qu'ils se trouvaient en public.
Les pauvres mirent ce phénomène sur le vieillissement, l'usure de la mémoire ou bien encore l'étourdissement qui naît de la représentation scénique. Mais la chose devint si fréquente et toujours sur les mêmes formules que certains se mirent à avoir des doutes. Il y avait maléfice là-dessous d'autant que c'était toujours les apports du Trouvère du Levant qui se refusaient mystérieusement à la remembrance du diseur.
Ils se concertèrent pour en avoir le cœur net. L'hypothèse semblait par trop audacieuse. Pourtant elle fut confirmée de manière spectaculaire quand en ouvrant les lutrins, ils découvrirent que des fragments des textes avaient disparu. Le curieux visiteur les avait rédigés à l'encre sympathique à l'encontre désormais de l'impression qu'il laissait dans des mémoires devenues ingrates.
L'ingratitude devint colère quand d'autres, en visionnant les petits films vidéo qui avaient été tournés lors de leurs prestations comportaient eux-aussi des trous, des blancs, des silences impromptus. Le baladin n'était donc pas un magicien mais un sorcier, un jeteur de sort ou un envoyé de Satan.
Le mystère s'épaissit encore quand les enregistrements réalisés lors de son passage disparaissaient tous à leur tour. De l'existence du Trouvère du Levant il ne restait plus rien, laissant chacun dans le plus grand désarroi. Comment expliquer pareil phénomène ? Puis il fallut se rendre à l'évidence, l'homme n'avait pas leurré les trop naïfs, il leur avait fourni les clefs pour comprendre ce qu'il allait advenir. Il convenait d'écrire « Le trou Vers Le levant » pour accepter de se dire que chacun avait été victime d'une incroyable illusion. Il convenait de se souvenir que les Paroles s'envolent surtout quand elles sont gravées dans l'éphémère numérique.