En se faisant tirer l’oreille

par C’est Nabum
jeudi 22 août 2024

Je suis à votre écoute !

Il est désormais inévitable que nombre des adeptes du casque ou de l'écouteur, en permanence vissé sur la tête ou même greffé dans leur pavillon, courent la terrible menace de finir sourds comme un pot. L'âge ne fait rien à l'affaire puisque toutes les générations sont ainsi branchées de manière compulsive. Afin de ne pas perdre une miette de l'actualité ou des dernières tendances musicales tout en restant toujours branché avec un monde qui court à sa perte, se mettre la puce à l'oreille est la plus sournoise conduite à risque tandis que bien peu de ces accros du son prêteront une oreille attentive aux recommandations du sourd dingue que je suis devenu.

Pour me lancer dans cette nouvelle croisade, je vais à mon tour à dresser pavillon pour amplifier le message qu'il me faudrait diffuser par le truchement d'un porte-voix. Si l'âne a besoin de son, le sage en cherche les tuyaux d'accès : en l'occurrence, un conduit auditif qui mène en pleine gloire jusqu'à ce tympan dont il nous faudra percer les mystères.

Inutile de jouer aux osselets avec notre oreille moyenne. Un savant jeu de leviers met en vibration le marteau et l'enclume. La faucille s'est vu couper l'herbe sous le pied, lequel, en toute logique lui a préféré l'étrier pour qui reste à cheval sur sa qualité d'audition. La transmission se fait mécanique, c'est en forgeant que l'on devient forgeron, c'est en se pinçant l'oreille que l'on parvient à la dresser.

La suite se fait plus confidentielle, secrète même. C'est dans le vestibule qu'un étrange équilibre se joue entre le dehors et le dedans, l'externe et l'interne. La Cochlée tournicote, joue la limace à son, s'enroule autour des fréquences qui ont chacune cellules ciliées à leur usage. C'est un lieu peu fréquentable, fait de hautes et de basses fréquences qui résonnent à nos oreilles échauffées.

L'organe de Corti joue les transmetteurs, il transforme le message vibratoire en onde nerveuse pour un nerf auditif toujours en limite de crise. Il doit affronter les décibels, les bruits qui claquent, les musiques qui sonnent, les moteurs qui hurlent et les pratiques musicales intensives. L'amplification fait grosse caisse de résonance justement chez ceux qui ont passé l'âge de raisonner.

La trompe d'Eustache se lamente, elle n'a de cesse de jouer les régulateurs. Mais elle avoue manquer d'air et ne sait plus à quel saint se vouer. Un jour elle présentera la note à ceux qui l'ont poussée trop loin, sollicitée indument ou trop fréquemment. Ils se croyaient forts et invincibles, ils seront sourds en pleine imposture.

Le casque isole du monde, du bruit ambiant, des menaces extérieures. Dessous se déroule un drame silencieux. Sourd au monde extérieur, avalé par une course désespérée dans le repli sur soi, son porteur écoute de la musique du matin au soir dans une appropriation exclusive, intensive, sectaire de ce qui prétendait-on, adoucissait les mœurs et créait jadis du lien entre ses auditeurs.

Maintenant que la musique favorise le cloisonnement générationnel, la création de tribus étranges au sein même des tranches d’âge, tous se retrouveront sur un seul point d'accord : l la surdité. C'est une belle calamité à venir, entre portable, concert, baladeur, oreillettes, l'homo-sapiens branché a toujours quelque chose à entendre tant qu'il demeure bien entendant. Bien entendu, il est impossible de leur faire entendre raison et il est illusoire de leur tirer l'oreille pour le mettre en garde.

Donner à comprendre qu'il est possible de partager le plaisir de l'écoute, que le casque isole au lieu d'ouvrir à l'autre, à ses expressions artistiques, à ses variations mélodiques, est un beau défi. L'expérience ne sert jamais aux autres, convaincre n'est pas simple et tente vainement de m'y attacher par ce présent billet. Travailler sur la musique, explorer les genres musicaux tout en se donnant des mots pour expliquer un ressenti afin de chercher à le partager ou à le comprendre, autre gageure de taille.

La raison voudrait de ne plus mettre le son à fond, ne pas pousser le volume au-delà de la limite supportable, voilà la plus grande priorité, celle qui peut leur permettre d'échapper aux bourdonnements ou aux pertes auditives, à l'appareillage avant l'heure et à la coupure de son, définitive celle-là et si terrible ! Mais comment alors se démarquer des autres en leur imposant de manière intrusive et autoritaire des gouts musicaux qui interrogent et questionnent tout à la fois ? J'en viens à penser que certains pavillons auditifs de banlieue sont moins bien isolés que ceux de leurs voisins.


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