Villepin sur France 2 : était-ce un discours politique ?

par Marie-Christine Poncet
lundi 10 octobre 2005

Le Premier ministre s’est exprimé sur France 2 jeudi soir, face à des journalistes, des citoyens, François Hollande, et nous. Son discours s’inscrivait dans un double contexte : l’action gouvernementale en cours, et la préparation des échéances électorales à venir. Pour justifier, mettre en valeur ce qui est fait, et pour persuader les électeurs de voter prochainement pour lui/son équipe/son parti, le Premier ministre a-t-il développé un discours politique ?

Disons brièvement que, pour qu’un discours soit politique, il ne suffit pas qu’il traite de la chose publique ; ce n’est pas seulement une affaire de contenu (cf. articles encyclopédiques sur des sujets politiques : ce ne sont pas des discours politiques). Il suppose un engagement de celui qui le tient, et la mise en jeu de procédés pour persuader (convaincre et émouvoir), à condition de montrer une connaissance directe de ceux auxquels on s’adresse.

Le Premier ministre s’est-il montré engagé ? Je trouve que oui. Il a mis en valeur très explicitement et à de nombreuses reprises cet engagement (le service de la France, le développement de l’emploi, la recherche de la justice sociale...) : on a pu être frappé par le nombre de récurrences des mots emploi, social... et « je veux ». Le discours est vite monté en puissance, il était même difficile aux interlocuteurs de placer un mot, d’interrompre le flux : l’homme exprimait une relation passionnée à son action, c’est utile pour persuader, d’autant que rien ne peut fonder une mise en doute de cette sincérité. Seulement, exprimer une volonté, sincère et fervente, d’œuvrer pour l’intérêt général ne suffit pas à constituer un discours politique.

Le Premier ministre a-t-il montré qu’il connaissait ceux dont il s’occupe ? Je trouve que non. Le monde sensible, au quotidien, avec ses incohérences, ses contradictions, ses lenteurs, lui a semblé étranger. C’est comme si sa perception du monde était entièrement médiatisée par sa culture, qui en l’occurrence le laisse à distance des réalités du commun. Face à ses interlocuteurs citoyens -peut-être le moment le plus frappant à ce sujet-, il a semblé tétanisé, étonné que « volonté+intelligence+énergie » n’entraînent pas toujours « efficacité » : il ne suffisait pas de féliciter (bis, ter...) ces personnes pour leur « courage », elles n’étaient pas venues chercher une médaille, il était inutile de leur indiquer des cheminements qui avaient tous échoué, alors après, que dire ? Rien, on a eu des silences. Le discours, qui se développait ad libitum ce soir-là tant qu’il était en auto-allumage, s’éteignait dès qu’il rencontrait la contradiction du réel.

Alors, un « votez pour moi/mon équipe/mon parti », parce que vous voyez bien que mes intentions sont bonnes, justes, et que ma volonté est forte, cela peut-il être efficace ? Dans la surface de l’instant, oui, comme certains ont voté pour Olivier Besancenot « parce qu’on voit bien qu’il ne ferait de mal à personne, il a une tête sympa » (je l’ai entendu), par exemple ; on vote parfois juste sous l’emprise d’une séduction (une auditrice, par téléphone, à la fin de l’émission, vibrait de l’impatience de savoir si le Premier ministre serait bien candidat à la présidentielle). Quand on réfléchit, non. Le pouvoir de la parole politique n’est pas alimenté que par la rhétorique : cette parole doit sonner juste, et pour cela les interlocuteurs doivent retrouver en elle leur propre image de la société.


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