Gratuité des hotlines : la loi est-elle respectée ? (2)

par Eric Lombard
mardi 24 février 2009

Dans un premier article, je faisais appel à vos témoignages afin de faire le point sur l’application des lois Chatel et LME entrées en application récemment. Malgré le nombre relativement peu élevé de réponses factuelles, quelques bonnes pistes m’ont permis de poursuivre l’enquête. Mes investigations confirment que les lois sont encore peu ou mal respectées, et mettent en évidence qu’elles sont mal fagotées et surtout qu’elles ne résolvent pas tout.
 
 
Des lois qui ne brillent pas par leur clarté
 
C’est Arnaud Dimeglio, avocat spécialiste en droit de l’internet et des nouvelles technologies, qui le dit : « Le législateur a abordé cette question de façon brouillonne, désordonnée, et incomplète ce qui rend la lecture difficile pour le citoyen ». Et on pourrait ajouter « incohérente », car les deux lois qui se sont succédées à 6 mois d’intervalle, les lois Chatel et LME, ne concernent pas les mêmes professionnels, ni les mêmes prestations, ni ne prescrivent tout à fait les mêmes règles. Le tableau de synthèse suivant en fait la démonstration.
 

 
Les effets pervers de la loi Chatel
 
La loi LME a le mérite de la simplicité et de la clarté. Mais elle n’a pas supplanté la loi Chatel entrée en application 6 mois plus tôt, qui accumule les effets indésirables.
 
Cette dernière atteint en effet le comble de l’absurdité en instituant la gratuité du temps d’attente quand on a « recours au service téléphonique au public du fournisseur de services », en clair quand on utilise la ligne attachée à sa box. Or ce cas se présente plutôt rarement, car quand la box ou la ligne ne fonctionne pas, le téléphone ADSL ne marche pas non plus ! Alors le consommateur, qui devrait en toute logique être chouchouté, n’a souvent pas d’autre solution que d’utiliser un portable et subit une double, voire une triple peine :
 
De plus, en excluant que les "fournisseurs de services de communications électroniques" facturent le temps d’attente « à quel titre que ce soit », le législateur indique en creux qu’il ne leur est pas interdit de facturer la prestation d’assistance elle-même, en totale contradiction avec leur obligation de résultat (Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, article 15) (souligné par Clems). Free n’a pas manqué de s’engouffrer dans la brèche. Ce FAI (Fournisseur d’Accès à Internet) facture en effet une prestation d’assistance quelle que soit la raison de l’appel, y compris quand celui-ci est lié à une défaillance de son service ou de son matériel. (Contrairement à ce que j’avais écrit dans le premier volet de l’enquête, en m’appuyant sur une réponse à Freeks de Mme Berge, directrice de la Relation abonnés chez Free).
 
Enfin, en bannissant l’utilisation des numéros géographiques (les bons vieux numéros en 01, 02 … 05, inclus dans les forfaits fixes ou mobiles), la loi Chatel, nous condamne à utiliser des numéros spéciaux (voir liste sur le site de la DGCCRF) dont la tarification peut être très pénalisante. La bonne intention de départ, mettre tous les citoyens sur un pied d’égalité quelle que soit leur distance au point de destination de l’appel, tourne au cauchemar pour ceux qui n’ont plus qu’un portable. C’est le cas de 15% des français. Profil : jeunes vivant seuls, faibles revenus (Source ARCEP).
 
Du côté des professionnels : cachotteries, mauvaise foi, entorses à la loi …
 
Tous les professionnels ne sont pas à blâmer, mais on ne peut pas dire qu’ils mettent beaucoup de bonne volonté à nous faciliter la vie, ni à appliquer la loi. Dans ce petit tour d’horizon, les notes vont de "peut mieux faire" à "exécrable".
 
Amazon : le numéro de téléphone du service client est un numéro vert en 0800 (gratuit à partir d’un fixe) et Amazon a la délicatesse de fournir un numéro en 01 pour les appels à partir de l’étranger (et à partir de portables ?). Mais en violation de la loi LME, ces numéros ne sont pas « indiqués dans la correspondance » et pas faciles à trouver sur le site. Tout est fait pour favoriser les échanges par mail.
 
SFR (Neufbox) : Les conditions générales indiquent le numéro d’assistance technique et commerciale, le 1077, précisant seulement : « temps d’attente gratuit depuis une ligne neufbox de SFR, puis tarif d’un appel local depuis une ligne fixe en France métropolitaine ». Cette phrase, particulièrement mal tournée, doit se comprendre de la manière suivante : pour un appel depuis une ligne neufbox, le temps d’attente est gratuit, puis la tarification identique à celle d’un appel local depuis un fixe (0.078€ par appel, puis 0.028 par minute).
Mais quel tarif est-il appliqué quand on est obligé d’appeler d’un fixe ou d’un mobile parce que la neufbox ne répond plus ? Ça, on ne le saura pas …
 
CDiscount : ce très populaire webmarchand a le mérite d’être clair : le service client ne peut être contacté que par mail ou par courrier.
 
Rueducommerce : là c’est moins simple et disons le, particulièrement compliqué. Les seuls numéros visibles sur la page d’accueil du site sont payants et laissent à penser qu’il n’y en a pas d’autre.

 
Pour trouver un numéro non surtaxé, il faut fouiller dans les pages d’aide. Mais là encore, ce sont les numéros surtaxés qui sont mis en avant.

 
Il existe bien un numéro non surtaxé en 0811 (prix d’un appel local), mais quand on l’appelle, on nous annonce qu’il est facturé 0.22€ la minute ! Contacté, rueducommerce indique qu’il n’en est rien, que ce numéro est bien au prix d’un appel local, mais que l’appel est redirigé sur la plate-forme du service client en 0891, qui lui est surtaxé. Aveu donc que le même service est joignable par deux numéros : l’un, surtaxé, qui est plus mis en avant que l’autre, non surtaxé, mis en place pour répondre aux exigences de la loi. Et Ronny, qui a levé le lièvre, indique que le second ne répond jamais (il a par contre répondu rapidement quand je l’ai appelé).
 
Ikea : ne respecte pas la loi. Pour joindre le SAV, il faut composer un numéro en 0820 (0.118€/min), ou en 0825 à partir de l’étranger !
 
Free : Free cristallise à juste titre tous les mécontentements. Free est en effet le seul FAI à continuer à facturer son assistance technique, y compris dans le cadre de son obligation de résultat. Il ne le fait certes plus par le biais des numéros surtaxés (encore qu’il ne dise rien sur son site de la tarification des appels à destination du 3244. Selon France Telecom, le 3244 serait facturé 0.34€ la minute à partir d’un fixe), mais par une facturation directe sur la facture de l’abonné. Et selon Freeks, le temps d’attente continue à être facturé 0.34€ la minute.
 
Du côté des services publics : un service inadapté
 
Bien qu’il ne soit pas à proprement parler surtaxé, le 3949 du Pôle emploi attise les passions (Voir article Agoravox du 14 février). A juste titre, car si un appel à partir d’un fixe ne revient qu’à 0.11€ quelle que soit la durée (gratuit même pour les renseignement fournis par l’automate vocal), il est facturé 0.11€ par minute à partir d’une Freebox et 0.30 à 0.60€ par minute à partir d’un mobile, les appels vers les numéros spéciaux étant hors forfait.
En ne faisant de publicité que pour ce numéro, alors qu’il existe des numéros géographiques (voir liste sur Actu-chomage), le Pôle emploi se rend complice d’un véritable racket dont sont victimes les 15% de français, jeunes aux faibles ressources, qui n’ont qu’un portable. Alors même que cette population est surreprésentée dans la "clientèle" du pôle emploi. La pudique mention « hors éventuel surcoût de votre opérateur » est bien insuffisante pour les alerter. Selon un employé du Pôle emploi, la colère est telle chez certains usagers qu’ils auraient agressé des conseillers pour ce motif.
 
Les allocataires de la CAF ne sont pas mieux lotis, avec des numéros en 820, différents selon les départements, tarifés à 0.09€ la minute depuis un fixe, soit plus cher qu’un appel local.
 
La SNCF, entreprise publique, pourrait à la rigueur justifier les 0.34€ la minute que coûte le 3645 si elle offrait par ailleurs des alternatives irréprochables à son service téléphonique. Mais on ne peut pas dire que ce soit le cas, les queues systématiques aux guichets et les bugs et blocages légendaires du site voyage-sncf.com transformant l’achat d’un billet en un véritable parcours du combattant !
Dernière minute : la SNCF va mettre en service un numéro non surtaxé pour le suivi des commandes. Poudre aux yeux, car qui a besoin de suivre ses commandes ?
 
La route est encore longue …
 
Quel bilan au terme de cette enquête ?
- Les lois Chatel et LME sont encore peu ou mal respectées par les professionnels. Les lobbies s’activent dans l’ombre pour essayer d’obtenir un délai d’application, un moratoire, voire l’abrogation pure et simple, soutenus en cela par les sénateurs Philippe Paul et Gérard Longuet.
- Certains services publics maintiennent des numéros qui assèchent les poches de leurs usagers les plus vulnérables.
- Et enfin les opérateurs de téléphonie - fixe, ADSL et surtout mobile - exploitent de manière éhontée la mine d’or des "numéros spéciaux".
 
Face aux lobbies, les associations de consommateurs continuent à batailler. La pétition qui a contribué à faire bouger les choses a déjà obtenu 143 000 signatures. Ses initiateurs visent maintenant les 300 000. Elle marche, parce qu’elle répond à l’exaspération des consommateurs indignés d’avoir à payer pour simplement faire valoir leur droit à un produit ou un service qui fonctionne, alors qu’ils paient déjà beaucoup en désagréments et en temps perdu ! Indignés également d’être traités avec désinvolture, arrogance ou inhumanité par certains "Services clients".
 
Bannir les numéros surtaxés pour toutes les communications ayant trait aux obligations légales des professionnels a été une première étape nécessaire, qu’il faut consolider. Mais la bataille suivante est à mener contre les opérateurs de téléphonie, pour que soit créée une classe de numéros spéciaux tarifés comme les numéros géographiques et donc inclus dans tous les forfaits.
 
 

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