Fin du retrait de point pour les « petits » excès de vitesse : est-ce bien raisonnable ?

par Sylvain Rakotoarison
lundi 24 avril 2023

« Depuis 2002, la vitesse moyenne des conducteurs a baissé de 10% ; or, une baisse de 1% de la vitesse entraîne une baisse de 4% du nombre de tués. Ce résultat obtenu par une politique de fermeté dans la répression des infractions. En matière pénale, il n'y a pas de mystère : l'efficacité vient de la certitude de la sanction. » (Lionel Tardy, le 16 décembre 2010 dans l'hémicycle).

Ce que le député UMP Lionel Tardy tentait d'exprimer dans l'hémicycle le 16 décembre 2010 auprès ses collègues UMP, c'était qu'il n'y avait pas de "petites" infractions au code de la route : ou on le respecte, ou on ne le respecte pas.

Comme le rappelle le site de la Sécurité routière, « la vitesse est la première cause de mortalité routière (31%). Elle est à la fois un facteur déclencheur de l'accident, mais aussi un facteur aggravant. Une variation de la vitesse implique une variation significative du risque d’accidents mortels : une baisse de 1% de la vitesse moyenne fait baisser mécaniquement de 4% le taux d’accidents mortels. ».

Dans l'histoire de la sécurité routière en France depuis plus d'une cinquantaine d'années, il y a eu des singularités énormes dues à la volonté politique. Nous sommes passés de 16 500 à moins de 3 500 tués sur les routes en cinquante ans, alors que le parc automobile est beaucoup plus important, le nombre de kilomètres de route bien plus élevé et le nombre d'usagers de la route bien plus grand (et de nationalités des usagers également). L'amélioration de la sécurité des véhicules n'explique pas tous ces progrès.

Le plus efficace a été la volonté politique mise en œuvre qu'on peut résumer à trois ou quatre mesures très efficaces : l'obligation de mettre la ceinture de sécurité (décidée par Jacques Chaban-Delmas et appliquée en 1973), l'institution du permis à points (Michel Rocard en 1992), la fin de l'impunité des excès de vitesse avec la mise en place des radars automatique (Jacques Chirac en 2002), et j'ajouterai la réduction de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur les routes à une seule voie (Édouard Philippe en 2018) qui a montré son efficacité et qui mériterait un article entier pour l'évoquer après sa remise en question partielle (à la suite de l'annonce du Président Emmanuel Macron le 15 janvier 2019 à Bourgtheroulde et de l'adoption d'un amendement le 6 juin 2019).



Tout ce qui va à l'encontre de cette volonté politique commune (qui ne dépend pas de la tendance politique mais surtout de la personnalité des dirigeants de l'État) a toujours été motivé par une tentation démagogique accompagnée d'une sauce de faux bon sens, de fausse modération, de faux arguments raisonnables et de vrai néo-poujadisme. Pire : toute communication envisageant un affaiblissement de cette politique envoie un signal négatif aux automobilistes qui se traduit malheureusement par plus de tués sur la route.

Alors, c'est vrai que beaucoup d'associations de victimes de la route sont inquiètes aujourd'hui. L'information donnée par le quotidien régional "Nice-Matin" du mercredi 19 avril 2023 aurait de quoi faire sourire s'il ne s'agissait pas de ce sujet grave, la sécurité routière, et donc, de la vie de milliers de personnes chaque année. Ce journal nous a appris que le Ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait écrit à une sénatrice du Var (Françoise Dumont) un courrier lui confirmant son intention de supprimer le retrait de point du permis de conduire dans le cas du constat d'un dépassement de vitesse inférieur à 5 km/h de la vitesse maximale autorisée et que cette mesure serait mise en œuvre à partir du 1er janvier 2024. Cette information a été confirmée par la sénatrice en question sollicitée par l'AFP.



Le sourire est double : en plein climat social post-réforme des retraites, cette information a un léger goût de démagogie qui ne coûte pas cher (du moins directement aux finances publiques) ; de plus, il s'agit seulement de petits excès de vitesse, soit moins de 5 km/h au-dessus de la vitesse limite, ce qui est faible (le premier stade dans les pénalités, c'est pour un dépassement inférieur à 20 km/h).

L'idée de cette mesure n'est pas nouvelle et Gérald Darmanin l'avait déjà formulée, sans calendrier, par un tweet le 19 février 2023, à la suite du tragique accident commis par Pierre Palmade, peut-être pour faire passer la pilule d'une plus grande sévérité (certainement nécessaire) dans la sanction contre la conduite sous alcool ou stupéfiants.



Évidemment, il n'y a aucun sourire qui vaille et le coût restera élevé pour la collectivité, tant humainement que financièrement. Car c'est justement la certitude d'être verbalisés, même avec des petits dépassements de vitesse, qui a entraîné cette salutaire modification des comportements des automobilistes (salutaire pour au moins trois raisons : assurer la sécurité routière mais aussi protéger l'environnement et baisser sa consommation de carburant).

La mesure qu'a décidée le Ministre de l'Intérieur est donc non seulement dangereuse en tant que signal pour se relâcher (on peut de nouveau rouler plus vite que la règle) mais aussi injuste socialement puisque le tarif de l'amende ne change pas. Or, le permis à points était justement une base qui incitait, même ceux qui avaient les moyens de payer les amendes, à respecter la vitesse maximale autorisée, puisque le retrait de permis se fait pour tout le monde, riches et moins riches, quand tous les points sont retirés.

S'il y avait un assouplissement à faire, il faudrait le faire plutôt dans l'autre sens : conserver le retrait du point car une infraction reste une infraction et donne l'avertissement qu'il ne faut pas la refaire, et supprimer l'amende de 68 euros ou 135 euros (selon qu'on roule en agglomération ou sur route). Certes, cela aurait un coût (environ 500 millions d'euros d'amende ; 7,3 millions de PV pour des dépassements inférieurs à 5 km/h ont été établis en 2020, 7,2 en 2019) mais cela serait plus adapté à la sécurité routière.



Les affaiblissements du permis à points ne sont pas nouveaux pour les petits excès de vitesse. Déjà sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et contre la volonté de celui-ci et de son Ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux, lors de la seconde lecture de l'examen de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI2), le 16 décembre 2010, les députés de la majorité avaient voté (à la suite d'un amendement des sénateurs en première lecture) la réduction du temps de récupération des points retirés (au bout de deux ans au lieu de trois ans sans autre infraction) et lors d'un retrait d'un seul point, celui-ci est récupéré au bout de six mois (sans autre infraction), ce qui a valu un éditorial incendiaire du professeur Claude Got, accidentologue bien connu, titré en janvier 2011 : « L'UMP nuit gravement au permis à points », où il affirmait : « Cette défaite n'a pas d'équivalent à mes yeux au cours des cinquante dernières années. (…) Comme pratiquement tous les grands drames de la sécurité sanitaire capables d'entraîner des centaines de morts évitables, cet événement est le résultat d'erreurs liées à l'incompétence, associées à des pratiques qui relèvent de la manipulation des faits. ». Dans les faits, il y a eu une légère remontée de la mortalité routière en janvier 2011 et également entre 2013 et 2017 (à cause de l'indécision de François Hollande).

L'opposition socialiste, par la voix de la future ministre Delphine Batho était unie : « Nous sommes pour qu'on ne change pas la moindre virgule des règles en vigueur en ce qui concerne le permis à points. Le concert de propos laxistes que l'on entend sur vos bancs [ceux de l'UMP] est tout à fait étonnant. Ce que vous êtes en train de faire, c'est d'adresser un message qui sera perçu comme une façon de baisser la garde en ce qui concerne la sécurité routière. ».

Lors de ce débat parlementaire du 16 décembre 2010, la majorité UMP était effectivement divisée entre les tenants de la sécurité routière et ceux qui sont au contraire partisans d'un retour au laxisme (paradoxalement souvent des députés positionnés à l'aile droite de l'UMP).

Ainsi, Jacques Myard voulait faire la différence, à l'instar des Inconnus pour les chasseurs, entre les bons et les mauvais chauffards : « Je vous le dis : autant il est juste et nécessaire de sanctionner les véritables chauffards, autant dans un certain nombre de cas, il faut regarder de plus près la nature des infractions commises. Dans cet esprit, je défendrai un amendement qui vise à ce que, lorsqu’un conducteur a épuisé ses points, on examine dans quelles conditions cela s’est produit. Il a grillé un feu rouge, n’a pas respecté un stop, a conduit en état d’ivresse ! Pas de pitié pour ce chauffard. Mais pour le pépé qui, malencontreusement, se fait flasher à 56 kilomètre par heure de manière répétée, cela ne va pas. Comme disait le Président Pompidou, "cessez d’emmerder les Français !" ».

À propos de Georges Pompidou qui a déclaré cette phrase très populiste quand il était à Matignon, il n'est pas vraiment une référence en matière de sécurité routière car c'est sous son mandat présidentiel que la France a connu le plus grand nombre de tués sur la route. Heureusement que son Premier Ministre ne l'a pas écouté et a réagi !

Quant à Lionel Tardy, il rappelait opportunément que la grande majorité des automobilistes avait tous ses points (75%) et que 90% avaient au moins 10 points sur 12, tandis que les automobilistes qui avaient perdu tous leurs points à cause d'infractions coûtant 1 point étaient en 2008 au nombre de 17 seulement, et les répétitions (nombreuses : douze fois !) de ces petites infractions prouvaient une conduite peu appropriée sur les routes : « Quand on accumule des petites fautes au point de risquer de perdre son permis, c'est qu'on a de mauvaises habitudes de conduite. L'aspect psychologique est primordial, car tout se joue sur le comportement des conducteurs. Annoncer un assouplissement des règles sans la moindre contrepartie (…) serait perçu comme un signal que le relâchement est permis. Le nombre d’accidents et de morts sur la route augmentera avant même que la mesure n’entre en vigueur. Contrairement à ce que l’on peut croire, même les petits excès de vitesse peuvent se révéler dangereux, notamment en ville. Je le répète, une baisse de 1% de la vitesse moyenne, c’est 4% de morts en moins. ».



Le député insistait : « Le but de cette politique de sécurité routière est non pas de racketter en quoi que ce soit les conducteurs, mais de les inciter fortement à changer de style de conduite, en réduisant leur vitesse moyenne et en respectant le code de la route. ».

D'ailleurs, peu avant l'application des 80 km/h, en juin 2018, les gendarmes de l'Oise avaient fait une communication (sur leur compte Facebook) qui a eu beaucoup de succès en dévoilant « l'astuce qui permet d'échapper aux amendes pour excès de vitesse » : il suffit simplement de respecter les limitations de vitesse ! Comme plus des trois quarts des automobilistes.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Fin du retrait de point pour les "petits" excès de vitesse : est-ce bien raisonnable ?
Les trottinettes à Paris.
L'accident de Pierre Palmade.
La sécurité des personnes.
Anne Heche.
Diana Spencer.
100 ans de code de la route.
80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.


 


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