Lettre ouverte au président de la République sur l’engagement en Afghanistan

par Nicolas Dupont-Aignan
vendredi 30 octobre 2009

Monsieur le Président de la République,

Le refus d’engager la France dans la guerre en Irak a été la plus importante des décisions prises par votre prédécesseur. Le Président Jacques Chirac a ainsi réaffirmé l’attachement de la France au respect de la souveraineté des Etats, dans l’esprit de la charte des Nations Unies. Dans la grande tradition gaulliste, il a d’un même mouvement réaffirmé l’indépendance de notre pays vis-à-vis de la politique clairement hégémonique des Etats-Unis d’alors.

Depuis, les faits lui ont donné raison puisque la plupart des pays qui s’étaient lancés inconsidérément dans cette guerre d’agression aux côtés de l’Administration Bush l’ont regretté et se sont progressivement désengagés.
Le précédent irakien aurait dû inciter à faire preuve de la même réserve et de la même prudence vis-à-vis d’un pays à la réputation plus difficile encore, l’Afghanistan, pays où votre prédécesseur avait cantonné l’essentiel de l’engagement français à des opérations de coopération civile, hors du périmètre des hostilités.

A rebours de vos déclarations publiques de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, vous avez fait l’année dernière un choix radicalement différent, conforme d’ailleurs à la décision prise au même moment - que vous n’aviez pas, celle-là, annoncée avant juin 2007 - de réincorporer complètement la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN. En contrepartie, l’assurance pourtant donnée que notre pays pèserait d’un poids accru dans l’urgente et nécessaire redéfinition de la stratégie de l’ISAF en Afghanistan, est restée sans effet. Comme en Irak, les principales victimes de la guerre en Afghanistan sont avant tout les populations civiles. Des crimes de guerre y ont été perpétrés, en particulier dans la base de Bagram, cadre de tortures, d’exécutions sommaires et d’autres exactions simplement sous-traitées aux hommes de main du régime Karzaï. De notoriété publique, le pseudo-gouvernement en place à Kaboul est totalement corrompu et a partie liée avec le narcotrafic, voire avec certains groupes d’insurgés eux-mêmes. De plus, sa légitimité reste nulle, les élections d’août dernier, massivement entachées de fraude, n’ayant toujours pas été validées. Pourra-t-on encore longtemps justifier cette guerre en prétendant défendre la démocratie ?

En réalité tout comme en Irak, on assiste à une manipulation de l’information pour se donner bonne conscience. Ainsi, la fable selon laquelle l’insurrection serait instrumentalisée par quelques milliers de talibans étrangers n’est pas sérieuse. Comment les rebelles pourraient-ils résister à des armées occidentales puissantes s’ils n’étaient eux-mêmes majoritairement afghans et soutenus par une grande partie du peuple afghan ? A l’évidence, les insurgés sont dans la population, notamment pachtoune, comme des poissons dans l’eau et leurs rangs se renforcent chaque jour un peu plus, au fil des bombardements aveugles lancés contre les civils par la coalition.

Enfin, on apprend maintenant de sources sûres et concordantes que nombre de pays de l’ISAF achèteraient la paix dans leur secteur de contrôle, finançant ainsi sous couvert « d’aide à la reconstruction » l’insurrection de le narco-trafic, alors même que la raison d’être de l’intervention est de les combattre. Pire, l’embuscade d’août 2008 où dix soldats français sont tombés, aurait résulté de l’existence de ces pratiques auxquelles, toujours selon les mêmes sources, l’armée française aurait refusé de se prêter ! Le ministre de la Défense a multiplié les démentis depuis une semaine, mais sans convaincre ni faire taire les affirmations de la presse internationale, des hautes sphères de l’OTAN et de certains acteurs du terrain. Hervé Morin doit pourtant répondre : ces pratiques, qui réduiraient à néant le peu d’efficacité de l’engagement militaire international en Afghanistan, existent-elles ? Pourquoi l’Italie dément-elle toute implication du « gouvernement Berlusconi » plutôt que du « gouvernement italien » tout court ? Ont-elles, oui ou non, eu un lien avec le drame d’Uzbine ?

A l’heure où plusieurs pays occidentaux commencent à évoquer leur retrait d’Afghanistan, où les promesses d’hier ne sont pas tenues, où la stratégie en œuvre, militaire et politique, paraît dans l’impasse, il serait inimaginable que la France, hier si sage sur l’Irak, soit à la remorque des Etats-Unis, et s’accroche à une guerre qui n’a jamais été vraiment la sienne.

Le temps presse alors que, jour après jour, des soldats français sont tués ou blessés. Il nous paraît ainsi grand temps qu’il soit sérieusement répondu aux multiples interrogations que soulève l’engagement militaire de la France en Afghanistan. A cette fin, nous vous demandons solennellement l’organisation d’un débat avec vote à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, en l’assurance de notre plus haute considération.

Jean-Louis MASSON, Sénateur de la Moselle

Nicolas DUPONT-AIGNAN, Député de l’Essonne



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