Océans de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud

par Armelle Barguillet Hauteloire
jeudi 28 janvier 2010

Océans de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud nous offre un spectacle de l’univers marin d’une beauté inégalée et, sans user de démagogie, nous livre une incomparable leçon de vie.

Voilà un chef -d’oeuvre qui devrait mobiliser la terre entière : pas un brin d’artifice, la beauté à l’état pur ; pas d’effets spéciaux mais la vérité telle qu’elle est et, au final, le plus bel opéra que la nature puisse nous offrir, filmé par des hommes qui ont mis 3 ans à en définir l’angle le plus juste, la mesure la plus harmonieuse, les octaves les plus larges. On sort de la salle, après 1h45 passée dans l’intimité des océans, subjugués, éblouis, bouleversés, car la beauté, lorsqu’elle est portée à ce degré, est bouleversante. Le réalisateur du Peuple migrateur a réussi son pari d’offrir - grâce à une technique de pointe, à l’aide scientifique internationale, à une infinie patience et à la foi du charbonnier - une vision époustouflante des océans, un spectacle total, un film à couper le souffle. Bien sûr Jean-Yves Cousteau nous avait initiés à la beauté et à l’incommensurable richesse des fonds sous-marins, mais avec Perrin et Cluzaud le spectacle est d’une ampleur théâtrale inégalée. Or filmer l’univers marin est une affaire très compliquée. Il faut par exemple 20 personnes pour immortaliser le flamboiement automnal des gorgones, les froufrous dentelés de la méduse japonaise, la prunelle pleine de réprobation de la seiche, l’allure débraillée de l’hippocampe feuille d’Australie ou les jupailles superposées de la méduse de Californie. Et que dire de l’effort fourni pour filmer le banquet pantagruélique qui se déroule chaque été en Afrique du Sud, lorsque les sardines, qui ont frayé au Cap, remontent vers Durban et sont soudain pourchassées par les dauphins auxquels se mêleront bientôt les requins, les otaries, les manchots et, bien entendu, les oiseaux, hordes affamées qui pénètrent l’eau et embrochent les malheureuses jusqu’à 15 m de profondeur avec un claquement de fusil, si bien qu’au-dessus de l’eau et sous l’eau le bombardement fait rage et que la mer semble être soudain entrée en ébullition.

Quant au congrès des araignées de mer, il est aussi inattendu que surprenant. Chaque année, des millions d’araignées convergent vers la baie de Melbourne pour y muer et s’y reproduire, grouillant troupeau qui s’avance, on dirait des armées en marche pour s’affronter, lourdement chargées de leurs armures, dans un bruit de ferraille assourdissant, scènes qui n’avaient jamais été filmées et dont nous avons la primeur. Et comment ne pas être séduit par les facéties des otaries, scènes pleines de drôlerie où celles-ci se changent en danseuses d’une grâce exquise doublées d’incorrigibles farceuses et, ce, pour notre plus grand plaisir. Et comment ne pas être subjugué par les baleines à bosse qui transitent chaque année d’Hawaï en Alaska. Malgré leur gigantisme, elles sont, dans leurs mouvements, d’une précision incroyable et d’une légèreté d’hirondelle assure Jacques Cluzaud. Lorsqu’elles descendent, elles sont capables de frôler le fond de l’eau sans qu’un grain de sable ne bouge, mais quand elles font surface, on a l’impression d’assister à la naissance d’une île, ajoute-t-il.
 
Théâtre de vie exubérant, le monde des océans semble avoir tenté toutes les expériences de forme, de couleur, d’originalité, de prodigalité, d’effervescence, vitrine de la diversité la plus éblouissante. 240.000 espèces ont été recensées à ce jour, mais il en reste 2 à 3 millions à découvrir. Alors qu’irions-nous chercher ailleurs, alors que notre planète recèle de tels trésors, un monde si étonnamment vivant qui ne demande qu’à être exploré et sauvegardé ? Oui, qu’irions-nous faire ailleurs, alors que le plus bel ailleurs est ici même. La conclusion est là, discrète et émouvante. Economie de mots. Contrairement à certains, Jacques Perrin se sert d’abord et avant tout de l’image pour nous convaincre. Et il le fait avec sobriété et élégance. Quelques plans sur des poissons captifs des filets où ils agonisent lentement, quelques autres des détritus que nous déversons inconsidérément, le message des profondeurs est parfaitement capté à la surface. Reste désormais à tirer les leçons après cette somptueuse traversée du miroir.


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