Les nouveaux « consom’acteurs »

par C’est Nabum
mercredi 12 février 2025

 

Ils ne troueront jamais leur poche.

 

Bientôt on ne pourra plus affirmer qu'il y en a pour de la monnaie. Voilà bien un terme qui va sombrer dans les oubliettes de cette société du contrôle absolu, de la surveillance et du pistage de chaque instant. Plus besoin non plus d'attendre au coin du bois ces nouveaux « consom'acteurs » de leur propre fichage en espérant leur dérober la bourse. Ils est même impossible de leur rendre la monnaie de leur pièce…

Ils n'ont pour tout instrument de paiement qu'un téléphone, cette prothèse numérique qui accompagne tous leurs faits et gestes, leurs pensées et même leurs fantasmes alors qu'elle déforme les poches bien plus qu'une petite bourse. Ils ont besoin d'un réseau de satellites pour accomplir tous les faits et gestes de la vie quotidienne tout en mettant en scène leur propre existence. Ils se nourrissent d'images plus que de mots, je vous en paie mon billet.

Pas besoin de ferrailler avec eux pour leur expliquer que payer une baguette de pain ou un café avec cet instrument est pure hérésie d'autant plus qu'ils ne paient jamais les frais bancaires qui incombent à des commerçants qui se désespèrent de pareil comportement. Ils sont les pionniers d'un nouvel ordre mondial qui va éliminer l'argent liquide pour un contrôle fiscal plus impitoyable encore et permanent.

Adeptes de la facilité, ils n'ont cure de ces arguments, n'étant que des jouisseurs du progrès, des profiteurs du système. Ni porte-monnaie ni principe, ils n'ont pas la plus petite pièce sur eux, qu'elle soit sonnante, trébuchante ou bien vestimentaire. Avec eux, la femme du président n'a plus rien à quémander, elle rira jaune quand ils ne mettront rien dans son escarcelle.

Si par hasard, un chanteur des rues ou des guinguettes passe à portée de leurs oreilles, ils s'empresseront de sortir leur instrument pour filmer un petit extrait de ce moment si cocasse avant que de feindre de se désoler de ne pouvoir verser leur obole puisqu'ils n'ont pas le moindre sou sur eux. Ils prennent sans jamais rien donner au point que même dans les églises, il convient de prévoir un terminal bancaire pour le denier du culte de ces incultes.

Qu'un commerçant établisse un plancher pour le paiement numérique et ils s'indigneront de cet obstacle qui les prive de leur achat potentiel. Pour eux aucune limite à leur désir de tout confier à la dématérialisation et du reste ils s'emploient scrupuleusement à confier leur existence à l'absence de contacts humains. Ils désertent les marchés et les commerces de proximité pour passer commande sur la toile, se faire livrer si possible et éviter tout contact humain.

Ils vivent désormais par procuration avec ce petit boîtier qui enregistre leurs états d'âme et leur assure une vie sociale parfaitement fictive. Leurs amis sont virtuels, leurs loisirs numériques, leurs achats dématérialisés, leur existence dévitalisée. Ils converseront prochainement avec des entités imaginaires qui utiliseront les vecteurs de l'intelligence artificielle. Curieux télescopage du reste entre une sottise incommensurable et une illusion irrémédiable.

Je leur offre un billet, non pas ceux dont ils ignorent tout au point d'être incapable de rendre la monnaie si par un curieux hasard, ils se retrouvent à tenir boutique où à travailler sur un marché. Pour la moindre opération, ils sortiront leur supplétif artificiel pour calculer des opérations impossibles à leurs cerveaux déconnectés du calcul mental. À moins qu'ils ne se retrouvent dans un des ces établissements où un robot rend la monnaie pour des mesures hygiénistes.

Voilà ce monde auquel aspire nombre de ces gens résolument modernes. Je les regarde évoluer en m'interrogeant sur ce qui a dysfonctionné au cours de leur parcours de vie pour ainsi s'extraire progressivement de toute forme d'humanité. Ils me regardent alors avec des yeux de merlan frit, incapable de concevoir une société où les gens communiquent par la seule parole, en contact les uns avec les autres et dans une extrême proximité.

 


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