Divins Désirs - où il n’est pas question du sexe des anges

par Jérémy Cigognier
mardi 26 septembre 2023

 

Dans l'Antiquité proche-orientale, quelque part entre la Mésopotamie qui vit l'émergence des premières civilisations, et Canaan d'où surgirait la plus expansive des religions (la monothéiste) il y avait de nombreux mythes & légendes. L'épopée la plus connue et enseignée dans les collèges désormais, c'est l'Epopée de Gilgamesh, illustre pour son évocation d'un certain « Déluge », un ou deux millénaires avant « les Trois Testaments » monothéistes (Tanakh ou Bible hébraïque paternant, Nouveau Testament affilié, et Coran inspiré des deux précédents : toute une trinité... !). M'enfin à ce stade, les monothéistes veulent que dans le livre de la Genèse, l'épisode de l'arche de Noé soit réel, où il est dit que l'humanité c'était largement détournée du Dieu exclusif, depuis les origines édéniques : Noé et sa famille auraient été comme « les derniers fidèles » d'alors, au milieu des peuples mésopotamiens. L'autre version, qui se veut plus libre-penseuse, énonce que « les Trois Testaments » auront puisé dans le fond mythique & légendaire géolocalisé, sans vergogne. Or, dans la mesure où historiquement, les suivants s'inspirent des précédents, et où géologiquement, rien ne permet d'attester ledit « Déluge » dans une temporalité et une localité humainement mémorables, il faut conclure sans fanfare, que la version libre-penseuse est sûrement la meilleure, et que « le Déluge » est une affaire à ranger avec « l'Atlantide »... ce dont les plus téméraires parahistoriens se ressaisissent aisément, en hasardant même que « le Déluge » aurait pu être provoqué par l'effondrement de « l'Atlantide » : cela fait quand même quatre spéculations dans le vide (1° « le Déluge », 2° « l'Atlantide », 3° l'assimilation des deux et 4° la seule éventualité que l'un aurait provoqué l'autre) sachant, en outre, que « l'Atlantide » est mentionnée uniquement par Platon dans l'Antiquité, à notre connaissance. « Le Déluge » lui, au moins, avait deux ou trois mentions... Imaginez tout ce que les chercheurs préscientifiques des derniers siècles ont tenté pour attester ces mythes & légendes ! Sans leurs quêtes, tout comme celle du Graal, nous n'en serions pas là de toute la pop culture ! Car les serfs-penseurs (c'est-à-dire : ceux desservants « les Trois Testaments »...) avaient trop besoin d'attester quelque chose...

A lire : « Nos mondes (néo)libéraux :
des racines anciennes mais aussi occultes,
ou la mode de l’Eternalisme d’Avalon »

et aussi « Kaamelott : la santa Muerte française,

sainte Mort du roi Arthur »

Plus intéressant est de nous interroger, sur un autre pan de ce vieux fond mythique & légendaire, j'ai nommé le mythe de la Déesse Inanna (domaine sumérien) ou Astarté (domaine assyrien) ou Ishtar (domaine phénicien) ou Ashérah (domaine hébraïque) ou Neith-Nekhbet (domaine égyptien) ou Tanit (domaine punique). Cette Déesse a de l'envergure, puisqu'elle déploie ses ailes de l'Euphrate (Irak) à l'Ebre (Espagne pyrénéenne). Or son mythe raconte que, tout en étant l'épouse du Dieu Ba'al (qui signifiait seigneur, et qui signifie époux toujours en hébreu) Elle avait un amant humain. Ce dernier néanmoins, effaré par la puissance divine, se refusa à la Déesse pour commencer. Résultat : Elle le transforma en grand serpent voire dragon, divinité guérisseuse. Les Puniques le nommaient Eshmoun, équivalent d'Asclepios Dieu de la médecine, dans l'interpretatio graeca. Une fois colonisés par les Romains, on trouvait toujours (de la Novempopulania nord-pyrénéenne à la Carthage nord-africaine) un certain Draco. Les Basques de nos jours, dans leur mythe reconstitué au siècle dernier, témoignent encore du dragon (herensuge) nommé Sugaar, s'accouplant avec leur grande Déesse Mari (sans E) : Déesse des hauteurs montagnardes, parfois associée à la Terre-Mère (amalur) avec des points de suspension (il pourrait bien s'agir, en effet, du fantasme antéchristique de l'abbé ayant reconstitué tout cela, et derrière lui du monothéisme féodal local de Gascogne et de Navarre...).

A lire : « Le basque originé - desideratas négationnistes
des bascolâtres (généralement)
décrites par un bascophile »

Malgré les détails, vous voyez bien où je veux en venir, bons lecteurs que vous êtes à me suivre toujours, à ce stade de l'article : je veux en venir à la source du mythe édénique, avec Adam & Eve tentés par le serpent. En effet, nous avons là des conjoints, où Adam est Ba'al d'Eve (seigneur et époux). Où que se passe-t-il ? Eve est tentée par le serpent, par une aventure liminalement à caractère extraconjugal, bientôt condamnée pour adultérine, là où ça en touchait l'une sans faire bouger l'autre, dans le monde polythéiste environnant les premiers Hébreux. D'ailleurs, notre Déesse bénéficiait de prêtresses organisant une prostitution sacrée, à l'époque. Mais voilà que dans le livre de la Genèse, après qu'Adam se soit laissé entraîner à son tour, le Dieu exclusif condamne la situation, condamnant liminalement l'aventure extraconjugale condamnée pour adultérine. C'est que, en effet, dans le monde polythéiste, le Dieu Ba'al a un père dans les cieux : El, racine de Elohim (El-ohim), Ba'al (< Ba'el) autant que d'Allah (Ilah < El)... racine qui, au passage, signifie quelque chose comme la puissance et l'élévation. C'est-à-dire, si vous voulez, que le Dieu Caché (Vaste Créateur sinon Pancréateur) est descellé dans « les Trois Testaments », qui s'en prétendent des Révélations grand R. Son fils et Dieu principal, délégué, Ba'al, appert sous les traits d'Adam ; sa bru, devenue Déesse principale par alliance, notre Déesse, sous les traits d'Eve. Mais son aventure extraconjugale, contrairement au monde polythéiste qui s'en effarait mais réjouissait autant, devient condamnable en tant qu'adultère. Or Adam la cautionnait aussi jusque là (il goûta aussi du fruit serpentaire) de sorte à être condamné aussi. Bibliquement, c'est Adam & Eve chassés de l'Eden, dans le monde monothéiste.

Où l'on observe, donc, une patriarcalisation dans la démarche, avec mise sous tutelle de l'épouse. Bien sûr, certain(e)s féministes ne manqueront pas de faire remarquer, que la fameuse Déesse n'était « principale », que du fait d'être conjointe de son Ba'al (seigneur et époux), lui-même Dieu principal par délégation, pour que son Géniteur puisse se retirer. C'est vrai, mais cela nous entraînerait trop loin dans l'analyse anthropologique. Contre-arguons néanmoins, qu'un matriarcat symétrique du patriarcat n'existe pas sur Terre : nulle part, des matriarches ne se sont arrogées la prérogative matrimoniales de conjoindre les hommes avec d'autres femmes, pour des arrangements territoriaux, militaires et maritaux. Auquel titre, donc, la situation polythéiste est plutôt celle d'un virilat que d'un patriarcat, et le patriarcat fut inventé par le monothéisme... ou, du moins, acté par le monothéisme, dans la mesure où antiquement, tout le monde méditerranéen oriental, avait tendance à restreindre voire étouffer la place de la femme. Or, une fois que la restriction conjugale de la femme fut actée par le monothéisme, notons bien que le Dieu scellé qui s'était retiré, à caractère mystérieux, put se révéler exclusivement au détriment de tous les Dieux & toutes les Déesses. Pour cela, il lui avait fallu dominer l'épouse de son délégué filial, prototype de choix de l'épouse par le père, même pour son fils... à des fins territoriales et militaires.

A lire : « Lettre ouverte aux "païens" dont je suis,
aux monothéistes en général,

ainsi qu’aux "athées" »

Bien entendu, focalisés que nous sommes par notre héritage européen, nous trouvons là qu'il s'est joué quelque chose pour nous (1, 2, 3, 4). On pourrait en raconter d'autres, tout autour de la Terre, mais le fait est que la femme slave, balte, scandinave, germanique, celte et ibère (c'est-à-dire péri-méditerranéenne orientale) avait plus d'autonomie. Mieux encore : il est fort probable que la Déesse Tanit, domina littéralement les panthéons punico-ibères. Au reste, l'expansion planétaire des monothéismes, au point qu'ils représentent plus de la moitié des spiritualités contemporaines sur Terre, n'a bien entendu rien fait pour diminuer ladite patriarcalisation du monde. C'en est bien sûr l'agent principal à travers l'Histoire, quoi qu'on puisse contre-arguer d'un radoucissement dans le monde chrétien et d'autres horreurs dans les mondes éthiopiens (excisions) ou indiens (épouse à la merci de sa belle-famille) pour ne prendre que deux exemples. Reste que la patriarcalisation du monde est une attitude bien singulière, sur la base du rejet extraconjugal d'une aventure divine jugée adultérine (tant de la part de la Déesse-Eve, que de son Ba'al-Adam). C'est une attitude donnant « le beau rôle » et faisant « la part belle » au père du père ou au « grand-père », puisque que Ba'al-Adam est bel & bien lui-même paternel (avec les autres Dieux & Déesses-avec l'humanité).

Si vous voulez, c'est une attitude antépsychanalytique, en ce sens que Sigmund Freud avait supposé que l'aventure humaine était l'histoire des fils tuant leur père, chef de la horde, à culpabiliser au point de s'identifier à lui et instaurer finalement un ordre plus ou moins stable entre eux, les fils. En fait, c'était le génie polythéiste de El, que de se retirer, en déléguant à son fils Ba'al et la Déesse sa bru. Mais le génie monothéiste condamne le père avec la mère, au profit de El désormais exclusif, au prétexte que la mère comme le père, ont une vie sexuelle pour leur plaisir. À ce point, on a le point de vue du petit-fils ou de la petite-fille (humanité sujette des Dieux & Déesses-descendante d'Adam & Eve) pestant contre le plaisir parental, avec ultima leur scène primitive (la copulation de leur conception) jugée insupportable. Le petit-fils ou la petite-fille s'allient testimonialement avec leur grand-père, pour condamner les plaisirs de la génération intermédiaire et enjoindre le grand-père de prendre le(s dix) commandement(s) en main, afin d'en imposer : retour à la horde, c'est-à-dire « égalité devant Dieu ». Le péché originel, dans ce contexte, n'est toutefois pas tant que le désir en tant que tel, mais sa volatilité ; or cette notion de volatilité renvoie directement à l'imagerie de la Déesse, car elle est ailée : le monothéisme, contrairement au polythéisme, déteste la volatilité du désir et, comme disait Nietzsche dans le Crépuscule des idoles au sujet du deuxième grand monothéisme : « le christianisme a donné du poison à boire à Eros. Il n'en est pas mort, mais il a dégénéré en vice »... une citation valable pour le premier comme le troisième monothéisme, judaïsme comme islamisme. Contre cela, dans Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche enseignant « l'innocence des sens » : si ta nature te mène à la chasteté vécue sainement (nous dirions l'asexualité) sois chaste, mais si ta nature te mène à la bougrerie vécue sainement (nous dirions altersexualités) pourquoi t'en vouloir ? Tout est dans l'adverbe sainement, quoi que les toquards ou les contrits ne puissent l'admettre (chasteté ou bougrerie).

A lire : « QShaman au Capitole :
les vieux effrois antipaïens firent bêtement
et méchamment surface (retour sur 2021) »

La question subsidiaire est la suivante : si le Dieu caché en retrait, est descellé en trois révélations, nous renvoyant tous à la horde... l'expansionnisme monothéiste n'est-il pas expliqué ? Par décompensations de frustrations sexuelles ès agressions plus ou moins torses et brutales, sournoises et guerrières, jusqu'au complotisme (cf. lien ci-dessus). Et les monothéistes ont raison. Du moins leur Dieu les laisse-t-il faire, et « à lui la puissance et la gloire dans les siècles, amen » : si Dieu existe, tout est permis. M'enfin c'est très satisfaisant, cette sensation d'adhérer au principe par lequel tout serait. Trop satisfaisant pour ne pas être suspect. Obscurément, ça laisse à désirer.

 


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