Eternité et saisonnalité dans les communautés polythéistes et plus largement païennes, mais aussi dans le monde occidental

par Jérémy Cigognier
mardi 2 avril 2024

Dans cet article, nous traiterons de choses démentielles, en ce sens qu'elles dépassent de beaucoup le quotidien, et qu'il faut peut-être en prendre la mesure, si possible, pour apprécier sa teneur. « Tout » part d'un constat au sein de la, ou plutôt des, communautés polythéistes, plus largement païennes, qui s'expriment online, mais qui existent aussi IRL (in real life, dans la vie réelle) – les unes recoupant parfois les autres, sans nécessité, et réciproquement. Ce constat, c'est l'observation des valeurs à l'oeuvre, prises dans une dialectique de l'éternité et de la saisonnalité.

Mais d'emblée, il faut dire que cette dialectique ne concerne pas que les communautés évoquées : les communautés évoquées en sont, en quelque sorte, un genre de baromètre. En effet, ces communautés, en tant qu'elles se placent doublement « à faux » par rapport à l'héritage monothéiste et par rapport au devenir-laïc de cet héritage, présentent l'avantage d'en être des réceptacles originaux.

Ainsi, tout comme en médecine les phénomènes originaux permettent de comprendre rétroactivement les phénomènes normaux, ces communautés permettent de comprendre rétroactivement la société normale – si seulement elle existe.

 

A lire aussi :
- Charité et rapacité dans les communautés polythéistes et plus largement païennes, mais aussi dans le monde occidental  ;
- Créativité et intellectualité ...  ;
- Identité et diversité ...  ;
- Humilité et fierté ...


Source de l'image

 

 

Eternité

Quand on parle d'éternité, on n'est jamais sûr de parler de la même chose. D'abord, parce qu'elle ne semble pas se donner dans une expérience commune. Ensuite, parce que les uns imaginent une longévité infinie, tandis que les autres conçoivent un hors-temps pur et simple. Enfin, parce qu'on peut se référer à son étymologie indo-européenne, nous renvoyant à une forme reconstituée aiu, que l'on retrouve toujours dans notre éon mais qui, plutôt qu'un immense âge indéfini du monde, désigne singulièrement l'énergie vitale.

Enfin ce n'est pas étonnant, car même pour les monothéistes « le temps appartient à Dieu qui donne la vie », ce Dieu exclusif dont le nom consacré YHWH est rendu en français par l'Eternel. En version originale, il se présenta – à Moïse – de la façon suivante : « אֶֽהְיֶ֖ה אֲשֶׁ֣ר אֶֽהְיֶ֑ה  », c'est-à-dire « Ehyeh asher Ehyeh », généralement rendu par « je suis celui qui suis » ou « qui est », mais que l'on nuance mieux d'une valeur évolutive en « je deviendrai celui que je deviendrai » ou plutôt même « j'adviens tel que j'adviens ». Il y a là un ressort divin, tressant voire fondant le temps et la vie, ressort qui n'a rien de proprement monothéiste, et qui au contraire précéda le monothéisme de toutes parts.

Le divin, même quand il lui arrive de mourir – comme c'est le cas de Baldr dans le mythe germano-scandinave... et christique – ou même quand il lui semble nécessaire de s'abreuver – comme c'est le cas des Olympiens hellènes, avec l'ambroisie... – le divin, disais-je, est éternel à sa manière, de même que les mythes sont éternels. D'ailleurs, la notion de μῦθος, mythe en grec, réfère doublement au récit et à la décision, la parole exprimée ; c'est-à-dire que le mythe vit d'une vie qui s'éternise dans l'engagement narratif ou la narration engageante ; et tant qu'il y a un homme pour le proférer, sa puissance advient. (La psychologie archétypale de James Hillman valide observationnellement.)

A noter que les anciens Germano-Scandinaves, pour Dieux, disaient Rǫgnar, Puissances (singulier Rǫgn) et qu'après l'usage de Dei (singulier Deus) les Romains employèrent la notion de Numina (singulier Numen) signifiant volonté, puissance divine. Or des Romains aux chrétiens, il n'y a qu'une réforme religieuse du polythéisme au monothéisme : « À lui [le Dieu exclusif] la puissance et la gloire, maintenant, et pour les siècles des siècles, amen. »

Mais ce qui différencie bien le polythéisme précurseur du monothéisme imposteur, c'est l'arrogance du monothéisme à s'arroger toute la puissance en en privant le reste du monde. C'est évidemment abusif, puisque leur Dieu exclusif tombe sous le coup de la critique d'inaction et d'impuissance de mille manières, quand même ses défenseurs arguent d'un « projet qui nous dépasse » (au hasard, quand on perd un enfant). Les Dieux & Déesses polythéistes sont plus modestes : personne n'a jamais prétendu qu'ils étaient omniprésents, omniscients ni omnipotents, et cela fait une énorme différence quant à la tentation du fanatisme comme du dogmatisme œcuménique.

 

Saisonnalité

Bon : le mot de saisonnalité est récent dans notre langue. Il est linguistiquement bien construit, mais sort du vocabulaire de la planification managériale : cela l'enlaidit. Néanmoins, il désigne ce qu'il désigne : la cyclicité saisonnière en son principe, ou la perspective de son unité cyclique. C'est, probablement, un peu trop essentialiste par rapport au mobilisme des saisons, et pourtant ça capte leur conflagration (les Anciens désignaient par conflagration « l'année cosmique », sinon).

J'aurais pu dire tout de suite cyclicité, c'est vrai, d'autant plus que le cercle ou l'ellipse ont quelque chose de géométriquement parfait, au moins depuis Platon... enfin, l'ellipse date plutôt de l'astronomie moderne. Le cercle est encore trop aristotélicien et ptolémaïque, si l'on veut, dans son genre. Quoi qu'il en soit, on voit bien qu'il y avait déjà anciennement une éternelle cyclicité.

Si la cyclicité ou la saisonnalité, relèvent du temps – ce qui est bien leur cas – alors elles relèvent de l'éternité, puisque l'éternité est quelque chose comme la vie temporelle, par laquelle une durée s'actualise en sa puissance – d'aucuns diront que c'est le décours de toute magie, et métaphysiquement c'est le principe de la manifestation de l'Être. Oui, il y a là toute la question de l'Être en Avènement.

Encore une fois, ce n'est pas pour rien que le Dieu exclusif des juifs galvanisa autant – des Hébreux aux musulmans en passant par les chrétiens, soit environ 50% de l'humanité contemporaine, tout de même. Ce Dieu, comme certains produits d'hygiène, proposent « plusieurs produits en un seul » (trois, chez les chrétiens, pour être précis... or les Hébreux avaient vu plus large en disant Elohim, Dieu au pluriel de majesté – comme les rois se nounoient eux-mêmes, et comme il est d'ailleurs rendu de la parole divine dans les traductions coraniques). Mais, sans mauvais jeu de mot, le plus singulier est que ce pluriel hygiénique, dans le monothéisme, se soit émancipé de la cyclicité/saisonnalité. C'est-à-dire qu'il renie la manifestation de l'Être, quoi qu'il en garde la persistance dans la notion de Création.

D'une part, le monothéisme apparaît sous des longitudes et dans des climats aux moindres saisons : cela n'incite pas à le coupler avec la cyclicité, alors que seule l'immensité d'un désert s'offre à soi. C'est ainsi que ce Dieu semble d'une éternité purement hors-temps, asséché de presque toute énergie vitale, ou au contraire condensant en un point focale toute vitalité contrastivement au désert – comme une oasis. D'autre part, on l'associe bien à un calendrier, mais ce calendrier, sans saison marquée, n'a pas besoin de se caler sur le cycle solaire – comme c'est le cas du calendrier luni-solaire indo-européen. Au contraire, il accouche par exemple du calendrier musulman purement lunaire, qui pose tant de problèmes diététiques à ses coreligionnaires sous nos longitudes, quand le mois de ramadan tombe en été : l'hiver, au moins, le jeûne est plus court...

 

Un effort d'abstraction ?

On a souvent dit, qu'il fallait faire un effort d'abstraction plus grand, pour accéder au divin monothéiste qu'au divin polythéiste, mais on voit bien qu'il n'y a aucun effort à faire au désert. Au contraire, l'effort est à faire, dans les régions non-désertiques et a fortiori saisonnières, car ces régions proposent – comme l'Europe – une cyclicité, une saisonnalité, infiniment chatoyante, diversifiante, pluralisante, expliquant assez bien la diffraction ou la dissémination du divin polythéiste...

... et pourtant, les contrées ayant vu l'émergence du monothéisme, furent temporellement – comme le monde entier – plus polythéistes que monothéistes (le monothéisme a maximum trois mille ans ; le polythéisme a des dizaines voire des centaines de milliers d'années, à multiplier par toutes les contrées où il exista, c'est-à-dire toutes – en dehors du Proche-Orient et environs, depuis trois mille ans). C'est qu'il y a le Nil égyptien et ses cycles, de même que l'Euphrate mésopotamien. L'Histoire du climat a des choses à nous apprendre sur le Proche-Orient, en ce temps-là. Reste que le monothéisme n'est pas apparu chez les Berbères ou autre peuple du Sahara : c'est donc qu'il fallait encore un ingrédient, tel que l'idée « d'Ecriture Sainte » (le médiologue Régis Debray en parle très bien dans son Dieu, un itinéraire).

Donc, plutôt qu'à un effort d'abstraction monothéiste, c'est à l'évidence un phénomène de dissipation, de désymbolisation, de disparition, qui engendre le monothéisme : c'est moins abstrait qu'évacué. Le divin est réduit à peau-de-chagrin, découplé de l'Être, et conduit vers une éternité, acceptée pour une longévité infinie, où le Dieu exclusif précéda infiniment sa « Création » et lui succédera infiniment – après quelque apocalypse/jugement dernier – en compagnie « d'heureux ressuscités »... L'évacuation de l'Être est totale, encore qu'on le condense soudain sur la divinité.

Bref, c'est à une déconstruction du monothéisme qu'invite la pensée polythéiste, qui offre la plénitude de l'Être. D'ailleurs les Dieux & Déesses ne sont pas moins abstraits que le Dieu exclusif, quoi que plus symbolisés. L'erreur monothéiste a toujours été de confondre la symbolisation avec l'idolâtrie. (A ce propos, il faut lire l'entrée Idole, Idolâtre, Idolâtrie du Dictionnaire philosophique de Voltaire, qui a tout compris sur ce point.)

La seule différence entre le monothéisme et le polythéisme, c'est que le monothéisme veut castrer polythéisme et athéisme ; le polythéisme, quant à lui, tolère suspicieusement l'athéisme, tout en intégrant le monothéisme pour un hénothéisme – une dédicace à un Dieu en particulier. Le monothéisme hélas, en retour, ne veut rien entendre à ce sujet : comme son Dieu exclusif, il est foncièrement exclusif malgré ses vœux pieux... Or le polythéiste n'exige pas que l'on devienne doctrinaire comme le monothéiste : le fanatisme et le dogmatisme sont des maladies essentiellement monothéistes, quoi que personne ne soit à l'abri d'accès doctrinaires – pas même l'athée.

 

Quid des communautés polythéistes, et plus largement païennes ?

Nous distinguons les communautés polythéistes et païennes, en ce sens que les communautés polythéistes peuvent certes être jugées païennes par les monothéistes ou les laïcs (qui reprennent ce vocable de païen hérité) que ces communautés polythéistes gardent un caractère plus traditionnel que les communautés païennes au sens large. Communautés païennes qui dérivent souvent vers des formes de New Age et autres fallaces voire politicardises – même quand elles contiennent, facultativement, du polythéisme.

Mais enfin ces communautés, quelles qu'elles soient, ont permis de quintessencier la dialectique de l'éternité et de la saisonnalité, car elles sont traversées par ces attitudes. D'une part, par héritage monothéiste subconscient ; d'autre part, par revendication antimonothéiste-propolythéiste-propaïenne consciente... cette revendication serait-elle caricaturalement sommaire (or, elle l'est, caricaturalement sommaire) car elle agit dans le sens monothéiste de sa diabolisation.

 

Le militantisme saisonnal

C'est très curieux, mais c'est très bête aussi : la dichotomie du désert et des saisons est exacerbée à outrance par certains polythéistes et païens, qui tiennent absolument à pouvoir opposer « une spiritualité du désert » (monothéiste) à « une spiritualité de la forêt » (polythéiste) et l'on trouve, toujours actuellement, des gens très intelligents pour vulgariser ce dualisme – de toute façon vulgaire en soi.

Nous l'avons vu en effet : il n'y a pas que les régions aux saisons marquées – verdoyantes, chatoyantes, luxuriantes, etc. – qui connurent le polythéisme. Les militants d'une « spiritualité de la forêt » (ou, plus largement, d'un « recours aux forêts ») sont en fait eurocentriques, à faire de l'indo-européanité une panacée, alors que même Georges Dumézil reconnaissait aux Celtes, aux Latins et aux Hellènes, des prégnances pré- et péri-indo-européennes. « L'indo-européanité » (comme dirait Max Weber) n'est en vérité qu'un idéal-type culturel, doublé d'un effet de halo (comme disent les zététiciens) en grille de lecture. D'ailleurs, Germains et Slaves ne sont pas exempts de telles prégnances alternatives en leurs cultures, loin s'en faut ! avec les Sâmes et les Finnois par exemples.

La vérité, c'est qu'aucun Ancien, tiré au hasard dans l'Antiquité, n'avait conscience de courants culturels tels que nous les analysons, tressés ou départis, de nos jours, mal dégrossis et schématisés pour les besoins de la science... La vraie question, en plus, serait de savoir si le foyer civilisationnel indo-européen était forestier, alors que nous parlons de cavaliers nomades !

La réponse décevrait certainement les partisans de « la spiritualité de la forêt » qui, au fond, témoignent uniquement d'un antisémitisme moderne à peine masqué, au nom de leur antimonothéisme : une volonté de bras de fer, par laquelle ils se laissent diaboliser par pur goût de la provoc – or, au-delà des militances, cette spiritualité est aussi celle de l'esthétique « dark shaman cernunnien » assez répandue dans la production artistique, masquant à peine son goût pour le sordide (digne de Charles Baudelaire, les Fleurs du Mal : poète « transgressif » pour collégiennes, toujours soumis au satanisme chrétien ; goût dark kikoolol).

Pire encore : le militantisme saisonnal, de nos jours à réchauffement climatique, n'exprime jamais qu'une solastalgie (une détresse nostalgique face aux changements environnementaux) et ainsi, on peut dire qu'on ne fait jamais plus appel aux saisons et à la forêt, que lorsque les saisons et la forêt semblent mourir : la « spiritualité de la forêt » est une spiritualité d'agonisants !... En elle, il n'y a aucune éternité.

Enfin, évoquons rapidement en renvoyant vers les articles idoines : les modes de « l'hyperboréisme essentiel » (avec l'aspiration aux longitudes nordiques pour rien, en pur et seul plateau de reterritorialisation deleuzien) et de « l'éternalisme d'Avalon » (l'éternalisme est la parodie de l'éternité, lui-même ligne de fuite deleuzienne dans un espace lisse idoine) : ce sont des inventions modernes.

 

Le confusionnisme éternal

Or, l'invention moderne de « l'éternalisme d'Avalon », du ressort de la fantasy en général (avec son amour des cartes imaginaires), est elle-même cause d'un autre problème, qui est celui des personnes qui ne jurent que par les mises en scène de l'éternité et s'y laissent confondre. De ces personnes, il est très facile de dire qu'elles sont monothéistes dans l'âme car, au fond, si elles avaient vécu au désert – ou si elles vivent un voyage au désert – elles se laissent happer par l'horizon.

N'y redisons pas ! Un tel horizon, c'est une belle chose, dont on peut apprécier la nature sur nos littoraux méditerranéens et atlantiques. Mais le désert aride a cet avantage sur « le désert aquatique », de pouvoir s'y perdre seul à pied !

En effet, « le désert aquatique » est toujours l'aventure d'un équipage, que ce soit en trière hellène, nauson celte ou drageskip germano-scandinave... la solitude en barque est l'exception dramatique.

Aussi, le désert aride est-il le lieu de s'éperdre dans une mer de sables (on trouve aujourd'hui cette sensation dans le charme de Dune, récemment au cinéma) : il y a là, comme nous l'évoquions plus haut, une expérience de l'évacuation de l'Être et la possibilité de sa focalisation en une seule divinité, là où les polythéistes ont certes une aperception du divin pur, généralement diffractée.

C'est-à-dire qu'il y a aujourd'hui de prétendus polythéistes, et plus largement « (néo)païens » (surtout eux), qui adorent – oui, littéralement adorent, comme les prières d'adoration ou moindrement les oraisons monothéistes... – s'éperdre dans l'indéfini. Bien que vivants sous des longitudes saisonnales (je le rappelle, pour bien souligner que ça n'a rien à voir avec le climat), ces païens ne font que se servir des Dieux & Déesses avec tous les mythes (si seulement ils les ont lus : une remarque acerbe valant pour les militants saisonnaux) comme des prétextes pour s'éperdre dans l'indéfini. Ce qui compte pour eux, en réalité et avant tout, c'est la foi... et ils ont beau s'écrier non sans pointe d'humour « Mildiou ! »... il est évident que leurs affects recyclent le monothéisme.

Cela resterait bénin, si ça n'avait pas affecté même des intellectualistes influents : par exemple l'inénarrable René Guénon, qui n'a pas de dédain assez grand pour le polythéisme, au point que son propos doit être qualifié de crypto-monothéiste – quoi qu'il tienne du panenthéisme hindou (c'est-à-dire tout-en-Dieu) plutôt que du dogmatisme (loin du dogmatisme, en effet, Guénon est à fond dans le symbolisme, comme le polythéiste).

Ces intellectualistes ne valent pas mieux que les psychologistes d'ailleurs, auxquels ils s'en prennent pourtant : en effet, si les psychologistes peuvent résumer les choses à des archétypes (qui, « au mieux », tournent à la wicca, et plus généralement aux manipulations de la sorcellerie) il se trouve que les intellectualistes ne veulent rien autre que des avatars au divin, avatars qui ne seraient que des leurres de Dieux & Déesses, devant le Dieu-Tout.

Enfin le commun des mortels – celui en question : amateur de s'éperdre dans l'indéfini, par recyclage des affects monothéistes... – ce commun des mortels préfère couramment le panthéisme ou le Tout-Dieu, nuance ! A la base c'est spinozien, d'ailleurs le premier néodruidisme est inspiré par ce juif excommunié et rationaliste de Baruch Spinoza. Mais, spinozien ou non, le panthéiste courant est dans le confusionnisme éternal, identifiant sa sensation à la matière, et la matière au divin. Ce n'est pas, comme « la spiritualité de la forêt », une spiritualité pour agonisants, et pourtant c'est une agonie spirituelle.

Etymologiquement en effet, l'agonie est lutte, combat. Est agonistique, ce qui s'échine contre quelque chose de mortel. Il est a priori singulier de qualifier le panthéiste d'agonistique, puisqu'il prétendait justement résorber l'agonie par identification matérielle. Néanmoins, si le panthéiste doit sans cesse réaffirmer cette identification, c'est que singulièrement elle n'est pas la condition naturelle de nos sens. Au contraire, nos sens distinguent les choses sans confusionnisme éternal, en les inscrivant dans le présent, présent qu'on aura beau dire « éternel » (en effet, on ne vit rien d'autre que présentement) que cela ne change rien à sa non-éternité, à son manque d'énergie vitale.

Tout au plus, le présent est durable en nos vécus, qui d'ailleurs se laissent facilement coloniser par la mémoire et l'anticipation. Et si des exercices spirituels invitent à vivre le présent seul (emblématiquement, Eckhart Tolle, « le pouvoir du moment présent »...) de même que la Délivrance échappe à la contingence et au principe d'individuation... il n'en reste pas moins que la vie a besoin de mémoire et d'anticipation, que la vie est contingente et principiellement individuée. C'est ainsi que les distinctions conduisent naturellement vers les Dieux & Déesses, sans nécessaire panthéisme, ou panenthéisme, ou quoi que ce soit d'autre, et bel et bien avec un accès au divin pur, malgré tout. (Ontologie du multiple, qui serait badiousienne, si Alain Badiou ne mathématisait pas exactement tout sur fond de matérialisme dialectique.) Voilà le polythéisme.

Mais, pour nous en tenir au confusionnisme éternal, ce malheureux a certes perdu tout sens de la cyclicité, en quoi il recycle bel et bien l'affect monothéiste et sa perception linéaire du temps, de l'éternité comme longévité indéfinie, où le Dieu exclusif précéda infiniment sa « Création » et lui succédera infiniment – après quelque apocalypse/jugement dernier – en compagnie « d'heureux ressuscités »... Leur salut est d'ailleurs tout ce qui intéresse le commun de ces mortels, au fond. Les New Agers y sont pleinement.

 

Bilan momentané

C'est très simple, et on devrait l'avoir compris depuis le début : il n'y a aucune contradiction entre l'éternité et la cyclicité du temps, dont l'éternité est la vitalité et la cyclicité la manifestation. Le divin pur gît, bien avant le monothéisme, et dans tous les polythéismes de la Terre, à l'intérieur de cette tresse, que les magiciens prétendent pouvoir manipuler avec une certaine audace envers les Dieux & Déesses, à commencer par officiers du culte qui, quant à eux, polythéistes ou monothéistes, disons, en respectent normalement mieux le cours (de toutes façons, les magiciens mélangent un peu tout, en cela manquant de modestie, malgré leur éventuel flegme).

Les monothéistes ont défendus de faire de la magie : c'est qu'ils désirent confluer toutes les puissances en leur théurgie (angélologie, démonologie, thaumaturgie médiévales...).

Les polythéistes n'en défendent pas, les magiciens ont toujours existé, et les officiers du culte sont des espèces sociétaires de magiciens ; c'est juste que les magiciens, non-sociétaires, peuvent et risquent toujours de manquer de respect et de perdre le contrôle face aux puissances.

Patience reste mère de vertu : il faut avoir le rythme dans la peau...

 

 


Lire l'article complet, et les commentaires