Le Mythe de la lutte du BIEN contre le MAL ( = Nous contre le Reste du Monde ?)

par JPCiron
mardi 10 octobre 2023

Les Mythes évoluent avec le temps, avec les lieux, selon les événements et en fonction des populations.

Pourtant, à chaque époque, les Mythes du moment sont les seuls porteur de sens : explicatifs ou incitant à l'action.

(1A) Le légionnaire St George terrassant le dragon

Le mythe tisse du lien social, via l’imaginaire collectif.

Les mythes sont des témoignages culturels essentiels, en ceci qu’ils propagent et maintiennent vives les Valeurs et les Vérités propres à la culture ou à la croyance considérée, à un moment donné.

Les mythes utilisent parfois des éléments nouveaux, mais, le plus souvent, ils résultent de reformulations successives, avec modifications, qui enrichissent ou modifient le sens et le message du mythe au cours du temps.

Leur représentation visuelle favorise aussi tant le non-dit que le non dicible. C'est là que l'interprétation ''Académique'' rassure, tandis l'interprétation populaire poursuit son chemin, adossée au Politique.

L’objet de cette note est d’illustrer certains aspects intéressants des mythes/légendes, en me concentrant au départ plutôt sur UN mythe bien connu : celui de Saint Georges, qui terrassa le dragon.

Pour ce faire, je propose deux volets :

I – LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS D'UN MYTHE

VIENNENT D'AUTRES MYTHES.

II – LES ÉVOLUTIONS DES SOCIÉTÉS INFLUENT SUR

LE CONTENU ET SUR LE SENS DES MYTHES.

Tout d’abord, un petit résumé très synthétique du mythe De Saint Georges :

Celui qui deviendra Saint Georges est né en Cappadoce (actuelle Turquie), dans une famille chrétienne. Il sera plus tard militaire dans l’armée romaine. Il est connu sous le nom de Saint Georges de Lydda (actuelle Lod, en Israël).

Vers l’an 1265, à Gènes, le dominicain Jacques de Voragine consolide les informations de nombreux manuscrits du Moyen Âge : les textes relatifs à Georges de Lydda en font partie. Voici un résumé de sa synthèse :

Un jour, alors qu’il traverse une contrée de Libye sur son cheval blanc, il sauve une princesse, avec l’aide du Christ, en tuant un dragon qui persécutait les habitants de la région.

Plus tard, toujours sous le règne de Dioclétien, commence la persécution des chrétiens. Georges en sera victime, et il finira décapité le 23 avril 303.

I – LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS D'UN MYTHE

VIENNENT D'AUTRES MYTHES.

Quatre paragraphes : > « A » > « B » > « C » > « D »

(1B) - ''St Georg'' – Cathédrale de RIBE – Danemark

Quels sont les principaux « éléments constitutifs » du mythe de Saint Georges, daté vers l’an 300 après JC ?

- une princesse (qui a été promise et livrée à un monstre)

- un monstre

- une lance

- un cavalier

- un cheval

- le cavalier qui terrasse le monstre (le Mal est vaincu par le Bien)

>> A – '' Une princesse, qui était offerte en sacrifice

à un monstre, est sauvée par le héros.''

Cet élément du mythe ressemble beaucoup à des mythes plus anciens :

(1C) Persée, Andromède et le monstre marin. (vers 575 avant J.C.)

> Mythe de Persée de la mythologie grecque :

La princesse Andromède, qui, par l’imprudence de sa mère, était destinée à être dévorée par un monstre marin, est sauvée de justesse par Persée, qui tue le monstre avec son glaive.

(1D) Héraclès et le monstre marin

> Le mythe grec d’Hésione a probablement été véhiculé par les Phéniciens, dont l’influence est notoire dans la région, de 1200 à 300 avant J.C.

Un monstre marin, envoyé par le dieu des mers, menaçait de ravager la ville de Troie. La princesse Hésione a été offerte en sacrifice pour apaiser le monstre, mais Héraclès la sauva, et tua le monstre.

>> B – Obéissance, acceptation de son triste sort,

promesse d’être sauvé(e) in fine

Dans les trois mythes ci-dessus, on trouve ces mêmes éléments :

Une personne est injustement destinée à être sacrifiée.

Cette personne se trouve à chaque fois être une femme.

Elle sera sauvée par un héros.

Il y a dans ces mythes des messages annexes mais centraux :

> La nécessité d’obéir aux décisions du groupe social,

> l'idée que, plus tard, l’injustice serait de quelque manière réparée.

> L'idée que le Mal est plutôt extérieur à notre groupe social.

(1E) St Georges par Paolo Ucello – vers 1470

Dans toutes ces représentations du mythe, la dame se trouve en retrait, passive.

Elle est un personnage central mais pourtant « annexe », qui attend en quelque sorte de découvrir/subir ce que sera son sort.

Je pense en particulier à l’œuvre de Paolo Ucello.

Pendant le combat, on y voit la princesse, calme, avec un lien qui la relie au dragon.

Ce lien semble symboliser le fait qu’elle a été livrée au démon, qu’elle est une « chose » du démon, que c’est son sort, que par son calme, elle montre accepter/subir une situation imposée, et que cette situation ne peut changer que par l’intervention d’un tiers étranger.

La princesse est en tout cas étrangère aux événements, et son sort dépend de décisions ou événements qui lui sont étrangers ; que ce soit pour le fait d’être livrée au dragon, ou pour le fait d’être délivrée par le héros étranger.

>> C – le groupe

« monstre – lance - cavalier – cheval »

Dans l’Égypte ancienne, il y avait -parmi d’autres- deux Dieux importants : Horus et Seth.

Le puissant Seth était alors représenté par un hippopotame, que Horus (reconnaissable à sa tête de faucon) combattait à pied, avec une lance.

Horus sortait vainqueur de ce combat mythique.

(1F) Combat de Horus et de Seth-Hippopotame

Puis, le temps a passé, et Seth a été plus souvent représenté par un crocodile. Dans cette Égypte ancienne, les animaux « impurs » étaient les serpents et les crocodiles.

Quelques siècles plus tard, les Perses ont combattu les Égyptiens avec des chars tirés par des chevaux. Les chevaux étaient des animaux nouveaux pour les Égyptiens. Ils ont appris à les utiliser à leur tour pour les combats.

Puis, les Grecs et les Romains ont aussi eu leur influence, de même que les Chrétiens.

Et nous voici au IVième siècle après JC, en pleine période de l’Égypte Chrétienne …

Une pièce exceptionnelle d’art « Copte » est conservée au Louvre-Paris :

(1G) le combat Horus Seth – Copte

L’art « Copte » s’approprie le mythe de Horus et Seth en l’adaptant à un monde « moderne » :

Seth est bien là, sous les traits d’un crocodile

La position de la lance montre qu’il est vaincu par

le cavalier Horus,

paré d’un habit de légionnaire Romain,

monté sur un cheval.

L’on retrouve évoqué et rassemblé sur une seule pièce :

le mythe Grec de Persée tuant le monstre marin,

le mythe Égyptien du combat de Horus et Seth,

Le cheval introduit en Égypte par les invasions Perses,

Le cavalier Égyptien portant un habit Romain.

La Dame n'est pas dans le Mythe, dont le sens est autre. Néanmoins, l’image de l’ensemble évoque irrésistiblement notre mythe de Saint Georges.

>> D – la lutte du BIEN contre le MAL

La croyance en la lutte (et la future victoire) du BIEN sur le MAL est une très vieille histoire, que je vais essayer d'évoquer succinctement.

(1H) Représentation du Dieu unique Ahura Mazdâ (Avesta)-

Le Zoroastrisme originel est très probablement la première religion explicitement monothéiste au monde : le Dieu Ahura Mazdâ est le créateur de l’univers et annonce la vie éternelle (via jugement) et l'accès au 'Royaume' de Dieu. C'est une religion uniquement spirituelle, sans statues, sans rites, sans clergé.

L’écriture des Gathas, le livre sacré, remonte à bien avant l' Avesta qui, lui, intègre des syncrétismes issus du Mazdéisme polythéiste. Bien plus tard encore, arriveront les livres des trois religions dites 'du livre', qui se sont en outre nourries de nombre d' apports-emprunts fondamentaux de Sumer, Égypte, Indus, Bactriane, Anatolie (notons en passant que tous ces peuples sont d'expression non-sémitique).

Platon, Plutarque, Pline, Diogène citent Zoroastre et avancent des dates très anciennes pour la rédaction des Gathas : autours de 6000 ans avant notre ère… Plus réalistiquement, la langue antédiluvienne utilisée dans les Gathas permet aux érudits actuels d'estimer une date de leur rédaction aux alentours de 1700 avant Christ.

Le Zoroastrisme originel prêche le respect des six idéaux spirituels (2). Ces idéaux, du temps de l'Avesta, sont symbolisés par une étoile à six branches (Xvarnah) du centre de laquelle surgit la lumière divine. Cette forme d'étoile s'est inspirée d'une étoile antérieure (Shatkona) (3) issue de l’Hindouisme antique. Cette forme sera bien plus tard aussi reprise par le Judaïsme (Étoile de David).

Shiva

https://hive.blog/shiva/@charutyagi/is-shiva-the-god-particle-and-vishnu-the-gravity

https://www.worldhistory.org/hinduism/

Le Zoroastrisme originel (Gathâs) raconte la création par Dieu du libre-arbitre. Puis, il créa deux esprits, qui vinrent à s'opposer. L'un est ''le bon choix'', l'autre ''le mauvais choix''. Le Zoroastrisme dit que ces deux esprits coexistent dans chaque être vivant, mais que le mauvais choix finira par s'épuiser.

Plus tard, avec l'Avesta, apparaît le dualisme Bien/Mal , Lumière/Ténèbres : il y a un « Esprit Saint » et un « Esprit Mauvais », qui sont deux êtres indépendants.

L' architecture de l'eschatologie zoroastrienne, de la Création au Royaume de Dieu, a été reprise par les Chrétiens (4).

Côté Égyptien, l'idée de l'unité du divin est fort ancienne. Ce dernier se manifestant à travers de nombreuses entités.

(1I) Horus et Seth entourant Ramses II … Et Ramsès III

Parmi elles, il y a Horus et Seth mentionnés au point C : dans l’Égypte ancienne, ils sont proches parents.

Horus a hérité de la bonté de son créateur surnaturel : les Dieux le considèrent « juste de voix », il défend l’ordre et est le protecteur de l’Égypte. Horus incarne le BIEN

Seth quant à lui est brutal et grossier. Seth incarne le MAL

Le Bien et le Mal sont en conflit permanent. Mais Horus est toujours représenté vainqueur.

Cette histoire Égyptienne se situe aussi aux origines mythologiques de la création du monde. Sans doute le Zoroastisme a-t-il eu connaissance de certains mythes Egyptiens. Rappelons que des Lapis-Lazuli provenant des montagnes de l'Indus (proches de la Bactriane) ont été retrouvés dans des tombes simples des premiers royaumes Égyptiens.

Pour ce qui concerne notre 'civilisation' occidentale, depuis deux millénaires, que d'injustices et d'abominations ont été/sont perpétrées avec Bonne Conscience (feinte) sous la (fausse) Bannière du Bien !

Car on ne se réfère plus à tel ou tel Saint : le mythe du Bien et du Mal se suffit à lui-même. Étant par définition du côté du Bien, nous devons sans cesse nous défendre contre les manifestations et les porteurs du Mal. Au besoin en les assujettissant ou en les agressant par tous les moyens directs ou indirects.

Le Général De Gaulle le disait avec ses mots en expliquant que les Résistants à l'injustice sont bientôt dépeints comme Terroristes, et seront traités comme tels en toute légalité.

La Bible nous sert aussi tel verset, citant Dieu, qui décrit telle ou telle population comme 'ennemis', les désignant ainsi comme suppôts du Mal.

Souvent, on fait mine de comprendre que tel verset, qui parle d'un peuple 'élu' ou 'choisi', parle de nous-mêmes, et que tel autre verset ordonne à ce peuple de répandre l'idée du Bien partout sur Terre.

Encore, le mythe biblique de la 'terre promise' permet de mettre en œuvre cette (pseudo) promesse, à travers le Politique ; en toute légalité donc, éliminant les indigènes résistants, et poussant les autres dans des Réserves ou dans des Camps.

Tout cela se retrouve, peu ou prou, dans l' Histoire des Amériques, de l'Afrique et du Moyen Orient. D'hier, d'aujourd'hui, et de demain.

Aujourd'hui, l'idée de la Lutte du Bien contre le Mal est devenue celle de 'Nous' contre le Reste du Monde qui, nécessairement, nous agresse en contrariant la mise en œuvre de notre Mission (sacrée) à travers les décisions & actions adossées à nos décisions Politiques qui ont, nécessairement, valeur universelle à nos yeux. (5)

II – LES ÉVOLUTIONS DES SOCIÉTÉS INFLUENT SUR

LE CONTENU ET SUR LE SENS DES MYTHES.

Les représentations des mythes dépendent aussi des standards de l’époque/lieu et des destinataires du message.

(1J) St Georges - Peinture de Paris Bordon 1525 c. – Musée du Vatican

Le dragon est bel et bien un MONSTRE EFFRAYANT habité par un démon.

(1K) Statue de St Théodore érigée en 1329 - place Saint Marc à Venise.

Le dragon est représenté sous forme d’un ANIMAL (ici un crocodile ?)

On s’éloigne d’un monde imaginaire effrayant, et le symbole prend le pas.

Note : la statue provient de l’île grecque de Paros : elle représentait initialement Saint Georges…

(1L) Statue de St Michel par F-J Duret – 1860 c. - Quartier latin – Paris

Ici, il est clair que le démon habite un corps HUMAIN.

Quelques attributs traditionnels du dragon ont été cependant ajoutés, pour clarifier que c'est bien le Mal qui habite ce corps...

… une idée dangereuse qui ouvre nombre de sombres perspectives...

(1M) St Michel / Maestro di Castelsardo – vers 1500

Ici aussi, un Démon habite un corps humain.

Le Bien vainc le Mal.

(1N) Saint Michel – Église de Hauteluce – France

Y a-t-il une ÉVOLUTION linéaire-chronologique dans la représentation du Mal ? Monstre >> Animal >> Humain.

Car toujours, c'est la Mal que l'on tue.

Lequel habite ''aussi'' un corps.

Au final, on ne doit plus voir l'humain quand on tue le Mal qui l'habite.

En outre, on n'a plus besoin d'une représentation symbolique ! L'affirmation que le Bien doit vaincre le Mal se suffit à elle-même. Il ne reste qu'à désigner le Mal.

La version Académique soutiendra que tout cela est symbolique. C'est aussi vrai. Mais le premier message fort est une incitation à vaincre/ dominer/ et au besoin tuer quand l'on veut croire que s'y cache le Mal. Et c'est exactement ce qui se passe à notre époque. Médias et Politiques aidant.

L'humain compte peu/pas car nous sommes devenus fondamentalistes par les actions (ou non-actions) des contrées que nous habitons. Peu importe comment la chose est habillée (en termes de bonnes raisons ou de bonnes intentions) car le résultat témoigne.

III – MYTHES :

CULS-DE-SAC et NOUVELLES BRANCHES

(1O) Sainte Marguerite

Une femme, Ste Marguerite d’Antioche (vers l’an 300), elle aussi, terrassa le dragon. Après que le dragon l’eut avalée, elle se servit de sa croix pour lui ouvrir le ventre…

L'idée de voir une femme qui terrasse le Dragon n'a pas prospéré... c'est semble-t-il un cul-de-sac dans la diversification de ce genre de Mythes.

Cependant, ce type de Mythe poursuit sa route dans le monde, en évoluant au fil du temps, des lieux et des circonstances. Et, pour chaque population-cible, 'son' mythe a une valeur qui lui parle au cœur.

(1P) Ogoun Féraillé

Ogoun Féraillé (aussi appelé Papa Ogou) est associé à Saint Jacques Majeur ou à Saint Georges dans le Vaudou Haitien. On le sollicite pour lutter contre les forces du démon, qu’il écrase, monté sur son « chwal ». Ogun protège la communauté. Avec son sabre, il dégage la voie et montre le chemin.

JPCiron

( début 2015)

°°°°°°°°°°°°°° NOTES °°°°°°°°°°°°

1A – Le légionnaire Saint Georges

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Agios_Georgios_icon.jpg

1B St Georg / Cathédrale de Ribe / DK

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:RibeDom-StGeorg.jpg

1C – Persée, Andromède, et le Monstre marin Cétos (Ancien vase corinthien)

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Corinthian_Vase_depicting_Perseus,_Andromeda_and_Ketos.jpg

1D – HerculesHesione

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:HerculesHesione.jpg

1E – St George et le Dragon / Paolo Uccello