Le pape François à Marseille (1) : ne pas légiférer sur l’euthanasie

par Sylvain Rakotoarison
mardi 26 septembre 2023

« Le véritable mal social n'est pas tant l'augmentation des problèmes que le déclin de la prise en charge. » (pape François, le 23 septembre 2023 à Marseille).

Je consacrerai plusieurs articles sur la venue du pape François à Marseille les 22 et 23 septembre 2023, une venue historique à bien des égards qui rappelle aux chrétiens que la foi déplace toujours des montagnes, que l'émotion qui était au rendez-vous n'est pas sans rapport avec une communion très large, rappelons que catholique veut dire universel, et qui rappelle aussi aux aigris de droite comme de gauche qu'un message de foi n'a pas grand-chose à voir avec un message politique ; vouloir mélanger les deux, c'est confondre ce qui est du temporel et ce qui est du spirituel. Rends à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.

Le pape est venu pour un jour et demi sur le sol français, c'est bien peu et en même temps, il a eu le temps de parler publiquement à près d'une dizaine d'occasions. Trois temps forts : le recueillement œcuménique à Notre-Dame de la Garde le vendredi après-midi, la clôture des Rencontres Méditerranéennes le samedi matin et, enfin, la grande messe au stade Vélodrome, une fierté des Marseillais, le samedi après-midi.

Impossible de parler du pape sans évoquer quelques aspects politiques : le Président de la République Emmanuel Macron était là le 23 avec le pape ; la veille, la Première Ministre Élisabeth Borne l'a accueilli à l'aéroport de Marignane. La clôture des Rencontres Méditerranéennes se faisait en présence non seulement du couple présidentiel, mais aussi du maire de Marseille Benoît Payan (PS), de son prédécesseur Jean-Claude Gaudin, qui avait tant voulu accueillir le pape lorsqu'il était en fonction, aussi du président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur Renaud Muselier, etc. À la messe étaient présents également le couple présidentiel (Emmanuel Macron a tenu à ne pas communier, et il a tenu à le faire savoir), la présidente de la BCE Christine Lagarde, et beaucoup d'autres responsables politiques dont Gérald Darmanin, Muriel Pénicaud, Sabrina Agresti-Roubache, François-Xavier Bellamy, Valérie Boyer, etc.

J'évoquerai ultérieurement les propos du pape sur les réfugiés et leur accueil, ainsi que sur la laïcité. Le message du pape sur l'immigration n'est pas nouveau mais a hystérisé la classe politique française, parfois à contre-sens : le bouffe-curés Jean-Luc Mélenchon applaudissait tandis que certains identitaires d'extrême droite qui se revendiquent une supposée origine chrétienne nient la légitimité du pape puisqu'il ne va pas dans leur sens ! Quelle paradoxe de devoir admettre que le chef de l'Église catholique, institution doublement millénaire, va à l'inverse d'une pensée supposée catho... mais d'extrême droite.

Le message du pape n'a jamais varié sur l'accueil des réfugié, même du temps de Jean-Paul II. Les identitaires (je les appelle comme ça) sont ainsi face à leurs propres contradictions et ils ont beau affirmer que le clergé est gauchiste (voire bobo), c'est bien mal connaître nos évêques (et notre pape) dont la neutralité politique est aussi sensible que la neutralité religieuse chez les politiques.

Le message du Christ a toujours été dérangeant, en particulier pour les institutions. Tant qu'existeront la misère humaine et l'horreur humaine, les pouvoirs seront malmenés par ceux qui défendent les humains et en particulier les plus faibles, les plus démunis.

Ce qui faut bien noter aujourd'hui, et c'est un vrai signe d'évolution idéologique depuis une trentaine d'années (je ne saurai dire si c'est positif ou négatif), c'est que si la venue du pape en France a toujours été un sujet à discussion politique, voire à polémiques, les thèmes sensibles ont assurément changé de rives. Dans les années 1990, on reprochait à Jean-Paul II d'être contre l'avortement mais aussi contre la peine de mort, et le mariage des prêtres, les femmes prêtres restaient des marronniers qui faisaient le succès des médias, même si cela représentait une toute petite part des messages du pape. Aujourd'hui, ces sujets (qui n'ont pas varié) sont relégués derrière le sujet du moment (qui était pourtant déjà d'actualité dans les années 1970), l'immigration. À aucun moment le pape François n'a voulu donner des leçons de morale, il a simplement donné des leçons de bonté et de bienveillance. Le contraire de la haine si présente aujourd'hui dans le débat public.

La présence du Président Emmanuel Macron avait son intérêt : certes, pour sa communication personnelle, il était évident, surtout lorsque le pape l'a publiquement placé parmi les personnes de bonne volonté qui recherchent la paix (parmi d'autres, donc), mais cela permettait aussi au pape de s'adresser directement à lui en marquant date.

Si l'immigration était le thème majeur de ces Rencontres Méditerranéennes, c'est bien sûr qu'elle est l'un des sujets majeurs de cette mer cimetière, mais cela ne signifiait pas que d'autres messages ne pouvaient pas être transmis. En particulier sur la fin de vie et l'euthanasie.

Dans son discours de clôture de ces Rencontres, le pape François a évoqué implicitement d'autres sujets qu'il considère comme majeurs sans pour autant les développer. Évoquant les trafics et les mafias dans une des villes les plus "torrides", François a constaté : « Là où il y a précarité il y a criminalité : là où il y a pauvreté matérielle, éducative, professionnelle, culturelle, religieuse, le terrain des mafias et des trafics illicites est déblayé. L'engagement des seules institutions ne suffit pas, il faut un sursaut de conscience pour dire "non" à l'illégalité et "oui" à la solidarité, ce qui n'est pas une goutte d'eau dans la mer, mais l'élément indispensable pour en purifier les eaux. ».



C'est à cette solidarité que le pape a appelé pour accompagner les personnes, nos aînés généralement, en fin de vie. Sa question (laissée sans réponse et sans développement) n'en est pas moins crûe : « Qui écoute les gémissements des personnes âgées isolées qui, au lieu d'être valorisées, sont parquées dans la perspective faussement digne d'une mort douce, en réalité plus salée que les eaux de la mer ? ». Une critique à peine "voilée" des conditions souvent scandaleuses des personnes âgées dans les EHPAD et la volonté majoritaire d'une société à vouloir les faire disparaître jusqu'à physiquement.

Ce thème de la fin de vie et de l'euthanasie est majeur et aujourd'hui, le risque est grand que l'équilibre fragile mais précieux de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 soit cassé définitivement par une nouvelle loi plus démagogique que sage.



Car l'euthanasie est d'abord une demande de gens bien-portants. En effet, les personnes malades en fin de vie demandent rarement (il en existe, mais c'est rare) d'en finir avec la vie, il suffit de se renseigner auprès des médecins qui vivent ces moments douloureux de leurs patients, d'autant plus qu'aujourd'hui, il y a des solutions, principalement chimiques, pour empêcher ce qui doit être à tout prix évité, la souffrance.

C'est même plus que cela : les personnes en fin de vie qui sont aimées, accompagnées par des proches, n'invoquent jamais cette volonté d'être aidées à mourir parce qu'elles se sentent aimées, et donc, en quelque sorte, utiles. L'euthanasie, c'est quand on arrive à la conclusion, monstrueuse, que la vie ne vaut plus d'être vécue. À quel moment, à quel seuil une vie ne doit plus être vécue ? Dès lors qu'on fixe un seuil, les abus afflueront parce que c'est la loi humaine de dériver : la levée des interdits, c'est une digue qui s'ouvre et qui ensuite lâche, malgré toutes les précautions juridiques ou sociales qu'on inventera.

La loi interdit la souffrance et l'obligation de soins : depuis plus de vingt ans, le patient n'est soigné que s'il a donné son accord. Et la loi oblige les médecins à traiter la souffrance ; la plupart du temps, celle-ci peut être traitée.

Il existera toujours des cas où ce n'est pas possible d'éviter la souffrance. L'euthanasie peut s'avérer une solution ultime et si elle est choisie, elle doit se faire dans le secret des consciences, pas seulement de la famille et des soignants, mais cela arrive même que dans la "boucle", il y ait aussi un prêtre.

Pourquoi dans le secret des consciences et pas dans la loi ? C'est là, je crois, l'enjeu du choix de société. Le secret des consciences serait une hypocrisie ? Certains lobbyistes de l'euthanasie vont même jusqu'à dire que légiférer éviterait les dérives. Mais quelles dérives ? Celles que connaît aujourd'hui la Belgique où des personnes atteintes de déficience mentale, sans leur avis, sont euthanasiées parce que "ne servant plus à rien" (l'utilité d'une vie, un sujet à méditer), ou alors des enfants en pleine dépression ?

Les dérives existent et aujourd'hui, lorsque c'est illégal, cela passe par la justice. Il n'y a pas de généralité à faire sur la mort : il y a autant de fins de vie que d'humains, toutes sont différentes et légiférer, c'est de faire des généralisations qui ne doivent pas avoir lieu. Comment éviter l'infirmière meurtrière qui "aidait" ou plutôt accélérait ses patients à mourir pour des questions d'héritages et de legs si la loi le permettait officiellement ? L'illégalité de l'euthanasie permet un retour à la justice lorsque les situations ne sont pas claires, lorsqu'un proche s'étonne voire s'y oppose : aucun juge n'a condamné un soignant qui avait fait preuve d'humanité en précipitant la mort d'un patient en situation très difficile. Le juge, par son enquête approfondie, peut apprécier la sincérité de l'acte, le désintéressement aussi des personnes en cause, car une légalisation ouvrirait une boîte de Pandore sur l'économique : les héritiers pressés, comme les assureurs, les caisses de retraites, les caisses d'assurance maladie, toute la société ferait des économies énormes si les gens mouraient six mois plus tôt !

Les fins de vie dans la douleur, ce n'est pas de supprimer la personne qui souffre, c'est de supprimer la douleur. C'est cela la solidarité et l'accompagnement, au sens de ce que disait le pape ce samedi. Ne pas laisser les personnes âgées isolées, dans leur torpeur du couloir de la mort, les remettre dans le cercle des vivants, et heureusement, certains établissements le font et ce sont des initiatives très encourageantes, notamment lorsqu'on demande aux personnes âgées de s'occuper des petits enfants... et réciproquement.

En évoquant en outre la fausse dignité (« faussement digne »), le pape s'offusque également de cette expression pourrie de "mourir dignement", comme si, en laissant l'heure arriver à son terme, on n'était pas digne, plus digne, que des personnes en vie n'étaient plus dignes de vivre et que leur dignité se résumait à les faire mourir.

Oui, ce pape, comme tous les papes, du moins depuis qu'ils communiquent au monde grâce à leurs voyages et aux technologies, secoue les consciences parce que son job, ce n'est pas de rechercher des voix, de faire du clientélisme, de brosser dans le sens du poil toutes nos petites lâchetés. C'est de rappeler les fondamentaux (le fondamental, c'est "aimez-vous les uns les autres"), et dans un monde en crise multiple, où l'inquiétude du lendemain l'emporte souvent sur la sagesse et l'optimisme, un référent est un point d'ancrage salutaire pour une société à la dérive.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 septembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le pape François à Marseille (1) : ne pas légiférer sur l'euthanasie.
Le voyage du pape François à Marseille (22 et 23 septembre 2023).
Mgr Jacques Gaillot.
Mgr Albert Decourtray.
Maurice Bellet.
Lucile Randon (Sœur André).
François : les 10 ans de pontificat du pape du bout du monde.
Santé et Amour.
Le testament de Benoît XVI.
Célébration des obsèques du pape émérite Benoît XVI le 5 janvier 2023 (vidéo).
L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Sainte Jeanne d'Arc.
Sainte Thérèse de Lisieux.
Hommage au pape émérite Benoît XVI (1927-2022).
Les 95 ans du pape émérite Benoît XVI.
L’Église de Benoît XVI.
Saint François de Sales.
Le pape François et les étiquettes.
Saint Jean-Paul II.
Pierre Teilhard de Chardin.
La vérité nous rendra libres.
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Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Le ralliement des catholiques français à la République.
L’abbé Bernard Remy.


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