Pensée Mythique et Pensée Scientifique
par JPCiron
lundi 3 mars 2025
La pensée MYTHIQUE est souvent associée à des concepts liés à la légende, à l’archaïsme, à l’ignorance, à l’erreur…
La pensée SCIENTIFIQUE, par contre, est souvent associée au réel, au moderne, à l’exactitude, au vérifiable, au savoir, au vrai…
Deux visions distinctes, tranchées, semble-t-il. Cependant, nous autres qui sommes dotés de la pensée Scientifique, ne sommes-nous pas en même temps ‘perclus’ de pensées-certitudes mythiques ?
Shiva
https://hive.blog/shiva/@charutyagi/is-shiva-the-god-particle-and-vishnu-the-gravity
https://www.worldhistory.org/hinduism/
Dans cette perspective, j’ai trouvé intéressante une lecture transversale des vues nuancées que deux Anthropologues de renom exposent, directement ou non, dans divers ouvrages, sur le sujet du degré de contraste entre Pensée Mythique et Pensée Scientifique.
L’analyse de Maurice Godelier souligne qu’ « à la différence de la pensée scientifique, qui est un processus historique ouvert de production de connaissances vérifiables donc infirmables, la pensée mythique apparaît comme « intemporelle », tout comme le sont les religions, révélées ou non. » (Maurice Godelier dans son livre d’analyse de l’œuvre de Lévi-Strauss »)
Claude Lévi-Strauss pense, quant à lui, que « la différence tient moins à la qualité des opérations intellectuelles qu’à la nature des choses sur lesquelles portent ces opérations (…) et la même logique est à l’œuvre dans la pensée mythique et dans la pensée scientifique. » (ref. : The Structural Study of Myths)
Y a-t-il une réelle contradiction entre ces deux affirmations ? C’est la question qui mérite un détour.
L’une met l’accent sur le processus que « déroule » la pensée scientifique moderne.
L’autre met l’accent sur la logique qui « habite » les deux types de pensée.
Les FINALITES des démarches Mythiques et Scientifiques
sont-elles si différentes ?
Il semble bien que non.
Les mythes servent « (…) à expliquer pourquoi (…) les choses sont devenues ce qu’elles sont et pourquoi elles ne peuvent être autrement. » (Lévi-Strauss « De près et de Loin »)
Similairement, Godelier dit que les mythes servent « fondamentalement à expliquer l’origine de l’univers, des hommes, de la société et des raisons de l’ordre qui y règne et doit y régner (…). »
En fait, la finalité des Mythes et de la Science se rejoignent pleinement.
Alors, MÊME LOGIQUE ?
Lévi-Strauss l’a martelé : la qualité des opérations intellectuelles est similaire dans la pensée mythique et dans la pensée scientifique. Mais ces opérations ne portent pas sur les mêmes ‘objets’ :
1- Dans ‘Mythologiques’, Lévi-Strauss précise que « les croyances mythiques ne s’en tiennent pas aux données de l’observation. Sur le résultat de la déduction empirique (…) elles greffent une déduction transcendantale qui s’emploie à engendrer toute une imagerie qu’elle incorpore au réel (…) »
2- Lévi-Strauss poursuit en disant que l’erreur serait « de croire que les phénomènes naturels sont ce que les mythes cherchent à expliquer : alors qu’ils sont plutôt ce au moyen de quoi les mythes cherchent à expliquer des réalités qui ne sont pas d’ordre naturel, mais logique. »
J’assimile la différence décrite au niveau des ''objets conceptuels'' traités (d’une part par les mythes et d’autre part par les sciences modernes) à une différence de méthodologies, qui visent, on l’a vu, une même finalité.
Cette différence de méthode qu’utilisent les mythes est tout-à-fait pertinente puisque les mythes doivent combler un énorme déficit de connaissances positives sur le monde et les hommes (ref. : Lévi-Strauss – ‘Histoire de Lynx’).
Dans ces circonstances, que faire de mieux que de faire appel à l’imagination ?
D’ailleurs, dans un passé pas si lointain, les sciences ne présentaient-elles pas elles aussi un énorme déficit de connaissances positives ? Et n’ont-elles pas puisé sans retenue dans la pensée mythique de telle ou telle religion pour y prélever des éléments, qu’ils ont utilisés comme autant de ‘béquilles’ pour arriver à leurs conclusions « scientifiques » ? Conclusions aujourd’hui pour l’essentiel infirmées par la science moderne.
Je pense aux Sciences Médicales et Psychologiques, aux Sciences Astronomiques, aux Sciences Biologiques, aux Sciences Géologiques, etc
La Pensée Scientifique d’hier a utilisé les mêmes artifices, la même méthodologie, au fond donc la même logique que la Pensée Mythique.
Et que dire de la Pensée Scientifique d’aujourd’hui ?
« En s’aventurant dans des domaines plus proches de la sensibilité, nouveaux pour elle (…) la science recouvre, s’intègre et en un sens légitime des formes de pensée d’abord tenues pour irrationnelles et rejetées. » (Lévi-Strauss – ‘Mythologiques’)
Et quid du PROCESSUS TEMPOREL
absent de la Pensée Mythique ?
Conceptuellement, la pensée scientifique est effectivement insérée dans un processus historique (=dimension temporelle), puisqu’une connaissance vérifiée à un moment ‘t’ peut effectivement se trouver être infirmée plus tard. Cela n’est pas je crois contestable, et personne ne le conteste (?).
Cependant, la connaissance scientifique vérifiée à un moment ‘t’ est vécue comme « Vraie » à ce moment-là. Et une Vérité est toujours intemporelle. Ce n’est qu’à partir du moment où cette vérité est infirmée par une autre qu’apparaît la dimension temporelle du processus.
Ce n’est que dans la très récente période moderne que l’on s'applique à utiliser le terme ‘hypothèse’ pour parler d’une connaissance qui aura pourtant été vérifiée par plusieurs équipes de scientifiques.
Maurice Godelier clarifie comment s’exprime l’aspect ‘intemporel’ de la pensée mythique : « Les mythes et la pensée mythique fonctionnent (…) comme des ‘machines à supprimer le temps’ et à neutraliser l’histoire. »
Et sur ce point, Lévi-Strauss ne dit pas autre chose dans ‘Mythologiques’.
Là encore, l’aspect intemporel est très net tant que le mythe « tient toute sa place » parmi les autres mythes du groupe social considéré, pour former le « tout » cohérent de la pensée mythique.
Pourtant, il me semble bien que, pris globalement, les mythes suivent eux aussi leur propre processus historique.
2 exemples :
1- Les mythes, comme les vérités scientifiques, peuvent disparaître. Godelier explique la vision que Lévi-Strauss présente dans ‘Comment meurent les Mythes’ : ils disparaissent « non pas au cours du temps mais en se propageant de société en société, de culture en culture, de langue en langue dans l’espace. » Pendant ces voyages ‘dans l’espace’, les contenus des mythes peuvent se trouver affectés, et les significations perdues ou dénaturées.
Et un nouveau mythe ne chasse pas immédiatement un mythe précédent : il entraîne une modification de l’articulation des mythes entre eux, puisque, pour le groupe social, l’ensemble de ses mythes forme un tout.
2- Mais un mythe peut aussi ‘se désagréger’ sur place : Avec de nouveaux arrivants, de nouvelles problématiques ont été historiquement rencontrée par les Indiens d’Amérique du Nord. Ainsi, de nouveaux mythes opposant ‘le nu et le vêtu’ apparaissent, qui amoindrissent le poids central de certains anciens mythe (par exemple ceux opposant ‘le cru et le cuit’). Plus tard, avec l’apparition de l’économie de marché, apparaissent des mythes ‘révolutionnaires’ qui opposent non plus des choses mais des maximes : opposition entre le ‘donnant donnant’ et le ‘chacun pour soi’. ‘Le cru et le cuit’ se trouve alors relégué près des oubliettes du fait du changement radical des activités et priorités de la communauté. L’articulation des mythes entre eux s’ajuste par étapes pour intégrer l’évolution historique.
Mentionnons aussi nombre de mythes des Indiens d’Amérique Centrale ont, eux, été proprement ‘assassinés’ par la violente domination de l’Occident et par le Christianisme de l’époque.
La pensée Mythique et la pensée Scientifique parcourent chacune leur propre processus historique ; processus qui sont cependant de nature distincte, en cohérence avec la différence des ‘objets’ que ces pensées étudient.
En CONCLUSION,
Il me semble que là où les connaissances objectives font défaut pour arriver à une hypothèse explicative vérifiable, l’humain ne peut s’empêcher de néanmoins chercher une compréhension qui lui permet d’anticiper sur le cours des choses, et d’agir sur lui.
L’intuition peut aider. Mais si l’on veut convaincre, il convient, consciemment ou non, d’intégrer des éléments explicatifs non vérifiés.
Tant la pensée Mythique que la pensée Scientifique ont utilisé honorablement cet ‘artifice’.
Ces deux modes de pensée représentent une adaptation sociale face au niveau de connaissances objectives disponibles.
Avec les siècles, la Pensée Scientifique devrait (voeu pieux ?) progressivement prendre la place (ou influencer) la Pensée Mythique, à mesure que la connaissance objective progressera dans la population.
Les ‘grands réservoirs de pensée mythique’ freineront néanmoins ce processus.
Par contre, une réforme hardie pourrait favoriser l'émergence d'une spiritualité plus épurée : moins de récitation, plus de réflexion et d' intégration Vivant-Humain-Au-delà.
Néanmoins, la croissance exponentielle (quantité / qualité / fiabilité) des informations disponibles renforceront l’usage de ‘’raccourcis’’ plus ou moins biaisés.
En tout cas, beaucoup de confusion est à venir.
Dont certains tireront profit. Certainement.
Car la pensée scientifico-mythique, jointe à la désormais classique pratique de l'information massive & partielle-biaisée, renforcent ceux, minoritaires, qui sauront gérer ce monde de post-vérité pour manipuler les pensées des populations, manœuvrer ces dernières, et en tirer avantages et profits... au détriment du plus grand nombre.
Et au détriment de l'ensemble du vivant.
JPCiron
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