« Wokisme » : le délire conservateur qui annonce la fin du monde (et rate la cible)

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
jeudi 20 mars 2025

Un mot claque comme un fouet dans les bouches conservatrices : "wokisme". Une hydre moderne, un cancer idéologique prêt à dévorer l’humanité, à en croire leurs prophéties enflammées. Mais derrière ce cri de guerre, que trouve-t-on ? Une peur hystérique, un fantasme gonflé à bloc par des croisés autoproclamés.

 

D’un réveil militant à un épouvantail bien commode

Remontons le fil. Années 60, États-Unis : des gamins noirs, lassés des coups et des chaînes, sifflent "woke" entre deux manifs. Être éveillé, c’est voir le racisme qui tue, comme l’écrit William Melvin Kelley en 1962 dans le New York Times ("If you’re woke, wou dig it" - "Si vous êtes réveillé, vous pigez"). 2013, Trayvon Martin tombe sous les balles, Black Lives Matter jaillit, et "Stay woke" devient un uppercut. Kimberlé Crenshaw dégaine l’intersectionnalité en 1989 : les oppressions ne s’empilent pas, elles s’entrelacent. Simple, brutal, efficace.

 

 

Puis ça dérape. Les années 2010 transforment ce poing levé en catch-all : féminisme, droits queer, climat, tout y passe. Les conservateurs flairent le filon. Douglas Murray (The Madness of Crowds, 2019) dégaine son pamphlet : c’est une secte moralisatrice qui censure et saigne l’Occident. En France, Mathieu Bock-Côté (La Révolution racialiste, 2021) enfonce le clou : une importation yankee qui dynamite la République. Sauf que ce "wokisme" qu’ils vomissent, c’est leur créature. Un mot vidé de sens, un punching-ball pour leurs angoisses de vieux monde rance.

L’histoire rigole dans son coin. Ce n’est pas une révolution, c’est une évolution. Mais les croisés préfèrent hurler au loup que lire Crenshaw ou Kelley. Ils veulent un démon, ils l’ont fabriqué. Et pendant qu’ils braillent, la vraie question – qu’est-ce qu’on fait des injustices ? – prend la poussière.

 

Les gladiateurs du ring : militants sincères contre Cassandre en costard

D’un côté, les "wokes". Patrisse Cullors, qui co-fonde Black Lives Matter, n’a pas inventé la roue : elle cogne sur un système où les Noirs crèvent 2,5 fois plus sous les flingues des flics. Robin DiAngelo (White Fragility, 2018) balance un miroir : les Blancs, checkez vos privilèges. Ce n’est pas sexy, mais c’est documenté. Ces têtes brûlées veulent fissurer les murs, pas les raser.

En face, les chevaliers du statu quo. Jordan Peterson (12 Rules for Life, 2018) joue les psys prophètes : le "wokisme", c’est le chaos, point. En France, Jean-Michel Blanquer dégaine son "Laboratoire de la République" en 2021 pour sauver la nation d’une horde de sauvageons imaginaire. Mathieu Bock-Côté, lui, pleure l’universalisme dans CNews, pendant que Zemmour éructe contre les "médiocres" qui osent parler. Leur point commun ? Ils adorent leurs dragons, même en carton-pâte.

 

 

Mais qui gagne ? Personne. le "wokisme", c’est pas un bloc, c’est un bordel de causes : les minorités ethniques, les personnes LGBT+, les femmes, les identités et les expressions de genre, l'écologie, etc. Les conservateurs, eux, en font un Satan sur mesure, recyclant les vieilles peurs du "politiquement correct". Ces gladiateurs d'opérette s’épuisent dans une arène vide, pendant que le public se demande pourquoi on s’enflamme pour un mot que 86 % des Français ne pigent pas.

 

 

Armageddon ou pétard mouillé ?

Les anti-wokes ont leur film d’horreur : la "cancel culture" qui scalpe J.K. Rowling pour un tweet jugé transphobe, des statues qui valdinguent comme celle de Colston à Bristol en 2020. André Larané, fondateur du site "Herodote.net" pleurniche comme un môme : "Le wokisme torpille notre grandeur". Leur scénario ? Une civilisation qui s’effondre sous les hurlements des minorités. Ça fait frissonner, mais ça tient pas du tout la route.

Romuald Sciora (Faut-il avoir peur du wokisme ?, 2023) démonte le mythe : c’est pas une guerre, c’est une discussion musclée. Déboulonner une statue, c’est pas brûler l’histoire, c’est la regarder en face. Et les chiffres cognent : 14 % des Français savent ce que "woke" veut dire (Ifop, 2021). Pendant qu’on s’engueule sur des symboles, les riches s’en mettent plein les poches, comme d'hab.

Le vrai enjeu, c’est politique. Ron DeSantis, gouverneur républicain de Floride, sort son "Stop WOKE Act" en 2022 pour flinguer les profs qui osent parler racisme. En France, les Républicains et le RN surfent sur la vague. Le "wokisme" ? Un os à ronger pour électeurs flippés et malléables. Mais une menace mortelle ? Foutaises. C’est une tempête dans un verre d’eau, agitée par des mains qui tremblent de perdre le pouvoir ou leurs précieux privilèges.

 

Apocalypse now ou bad trip collectif ?

Les Cassandre en ont plein la bouche : un monde où on ne peut plus rien dire, où l’histoire s’efface, où les "wokes" règnent en despotes. Brice Couturier voit une "dictature des minorités". Zemmour, sur CNews, crache sur ces "nuls" qui veulent le bâillonner. Leur prédiction ? L’Occident à genoux, l’humanité kaput. Ambiance Mad Max, mais sans le sable.

Sauf que ça coince. David A. Graham (The Atlantic, 2021) ricane : le "wokisme", c’est le nouveau punching-ball de la droite, après le communisme. Les excès ? Réels, mais rares. La "cancel culture" touche 0,1 % des twittos. Sylviane Agacinski, virée d’une conf’ à Bordeaux en 2019, c’est moche, mais c’est pas la norme. Ce mot, c’est du vent, une grenade rhétorique pour faire taire.

Le vrai dégât, c’est le grand écart. Les anti-wokes montent des barricades, les militants s’enferment en non-mixité et tout le monde s’égosille. Pendant ce temps, le climat crève, les pauvres trinquent et les puissants rigolent à se péter les côtes. La fin du monde ? Elle ne viendra pas des "wokes", mais de notre talent légendaire à gueuler dans le vide.

 

Quand les conservateurs jouent les pyromanes

C’est un classique. Années 1980 : le "politiquement correct" fait trembler. 2000 : l’"islamo-gauchisme" prend le relais. Aujourd’hui, le "wokisme" est le monstre du jour. Alex Mahoudeau (Cairn.info, 2023) le voit clair : ça tourne en boucle, une panique qui se nourrit d’elle-même. On adore se faire peur avec des fantômes. Le "wokisme" coche tout : flou, tabou, jeune.

Mais ça vole pas haut : le peuple s’en fout. C’est la trouille des dominants qui sentent le vent tourner. #MeToo, Black Lives Matter, les gamines qui bloquent les lycées : ça dérange, alors on crie au loup. Sauf que le loup, c’est eux. Leur peur irrationnelle, c’est du carburant pour la haine, pas pour la fin du monde.

Et si on ouvrait les yeux ? Les "wokes" veulent réparer, pas raser. Les conservateurs veulent figer, pas sauver. Entre les deux, on perd du temps. La vraie apocalypse, elle est ailleurs : dans les chiffres du GIEC, dans les gosses qui crèvent de faim. Mais ça, faut du courage pour le voir.

 

 

Le "wokisme" des conservateurs, c’est une farce tragique et pitoyable. Un mot noble, tordu en cauchemar par des peurs rances et des calculs électoraux. Les militants tapent dans le mille parfois, souvent maladroitement. Les anti-wokes tapent dans le vent, toujours bruyamment. Résultat ? On s’étripe pour des miettes pendant que le monde flambe. Oubliez leurs délires de fin du monde : le vrai danger, c’est qu’on reste endormis face aux vrais coups durs. Réveillez-vous, bordel ! Alors, on se bouge enfin ? 


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