Piano à quatre mains : RAVEL, GERSHWIN...
par rosemar
vendredi 19 juillet 2024
Deux pianistes de talent pour ce spectacle musical dans le cadre des Jeudis de Nîmes : Muriel Bonijol, et Cosima Guelfucci...
On écoute d'abord plusieurs pièces extraites de Ma Mère l'Oye de Ravel.
Pour mémoire :
Maurice Ravel a composé cette oeuvre d'après des contes de Charles Perrault (La Belle au bois dormant et Le Petit Poucet extraits des Contes de ma mère l'Oye, 1697), de Madame Leprince de Beaumont (La Belle et la Bête, 1757) et de Madame d'Aulnoy (Le Serpentin vert, 1697). Il existe trois versions principales de cette suite : la première, à l'origine de l'œuvre, est écrite pour piano à quatre mains (entre 1908 et 1910), la deuxième est une partition pour orchestre symphonique (1911), la dernière, plus étoffée, est une adaptation pour ballet, avec une chorégraphie de Jane Hugard. Le compositeur cite d’ailleurs les passages qu’il a précisément illustrés sur la partition. Ravel dédia Ma Mère l’Oye à deux enfants, Jean et Marie Godebski, enfants de ses fidèles amis d’origine polonaise Cipa et Ida.
Thierry Guelfucci présente, au début du spectacle, la Pavane de la Belle au bois dormant avec un extrait du conte de Perrault :
"Il était une fois un Roi et une Reine, qui étaient si fâchés de n'avoir point d'enfants, si fâchés qu'on ne saurait dire. Ils allèrent à toutes les eaux du monde ; voeux, pèlerinages, menues dévotions, tout fut mis en oeuvre, et rien n'y faisait. Enfin pourtant la Reine devint grosse, et accoucha d'une fille : on fit un beau Baptême ; on donna pour Marraines à la petite Princesse toutes les Fées qu'on put trouver dans le Pays (il s'en trouva sept), afin que chacune d'elles lui faisant un don, comme c'était la coutume des Fées en ce temps-là, la Princesse eut par ce moyen toutes les perfections imaginables. Après les cérémonies du Baptême toute la compagnie revint au Palais du Roi, où il y avait un grand festin pour les Fées. On mit devant chacune d'elles un couvert magnifique, avec un étui d'or massif, où il y avait une cuiller, une fourchette, et un couteau de fin or, garni de diamants et de rubis. Mais comme chacun prenait sa place à table, on vit entrer une vieille Fée qu'on n'avait point priée parce qu'il y avait plus de cinquante ans qu'elle n'était sortie d'une Tour et qu'on la croyait morte, ou enchantée. Le Roi lui fit donner un couvert, mais il n'y eut pas moyen de lui donner un étui d'or massif, comme aux autres, parce que l'on n'en avait fait faire que sept pour les sept Fées. La vieille crut qu'on la méprisait, et grommela quelques menaces entre ses dents. Une des jeunes Fées qui se trouva auprès d'elle l'entendit, et jugeant qu'elle pourrait donner quelque fâcheux don à la petite Princesse, alla dès qu'on fut sorti de table se cacher derrière la tapisserie, afin de parler la dernière, et de pouvoir réparer autant qu'il lui serait possible le mal que la vieille aurait fait. Cependant les Fées commencèrent à faire leurs dons à la Princesse. La plus jeune lui donna pour don qu'elle serait la plus belle personne du monde, celle d'après qu'elle aurait de l'esprit comme un Ange, la troisième qu'elle aurait une grâce admirable à tout ce qu'elle ferait, la quatrième qu'elle danserait parfaitement bien, la cinquième qu'elle chanterait comme un Rossignol, et la sixième qu'elle jouerait de toutes sortes d'instruments dans la dernière perfection. Le rang de la vieille Fée étant venu, elle dit, en branlant la tête encore plus de dépit que de vieillesse, que la Princesse se percerait la main d'un fuseau, et qu'elle en mourrait. Ce terrible don fit frémir toute la compagnie, et il n'y eut personne qui ne pleurât. Dans ce moment la jeune Fée sortit de derrière la tapisserie, et dit tout haut ces paroles : "Rassurez-vous, Roi et Reine, votre fille n'en mourra pas ; il est vrai que je n'ai pas assez de puissance pour défaire entièrement ce que mon ancienne a fait. La Princesse se percera la main d'un fuseau ; mais au lieu d'en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fils d'un Roi viendra la réveiller." Le Roi, pour tâcher d'éviter le malheur annoncé par la vieille, fit publier aussitôt un Edit, par lequel il défendait à toutes personnes de filer au fuseau, ni d'avoir des fuseaux chez soi sur peine de la vie."
On est alors séduit par une douce mélodie : Pavane de la Belle au bois dormant, une magnifique invitation à la rêverie... Cette pavane, danse ancienne, noble et lente, nous présente la fée Bégnine berçant de contes le sommeil de la princesse et évolue sur une mélodie transparente. Magnifique !
Puis, c'est le Petit Poucet qui nous est conté par Thierry Guelfucci :
"Il était une fois un Bûcheron et une Bûcheronne qui avaient sept enfants tous Garçons. L'aîné n'avait que dix ans, et le plus jeune n'en avait que sept. On s'étonnera que le Bûcheron ait eu tant d'enfants en si peu de temps ; mais c'est que sa femme allait vite en besogne, et n'en faisait pas moins que deux à la fois. Ils étaient fort pauvres, et leurs sept enfants les incommodaient beaucoup, parce qu'aucun d'eux ne pouvait encore gagner sa vie. Ce qui les chagrinait encore, c'est que le plus jeune était fort délicat et ne disait mot : prenant pour bêtise ce qui était une marque de la bonté de son esprit. Il était fort petit, et quand il vint au monde, il n'était guère plus gros que le pouce, ce qui fit que l'on l'appela le petit Poucet. Ce pauvre enfant était le souffre-douleur de la maison, et on lui donnait toujours le tort. Cependant il était le plus fin, et le plus avisé de tous ses frères, et s'il parlait peu, il écoutait beaucoup. Il vint une année très fâcheuse, et la famine fut si grande, que ces pauvres gens résolurent de se défaire de leurs enfants. Un soir que ces enfants étaient couchés, et que le Bûcheron était auprès du feu avec sa femme, il lui dit, le coeur serré de douleur :
Tu vois bien que nous ne pouvons plus nourrir nos enfants ; je ne saurais les voir mourir de faim devant mes yeux, et je suis résolu de les mener perdre demain au bois, ce qui sera aisé, car tandis qu'ils s'amuseront à fagoter, nous n'avons qu'à nous enfuir sans qu'ils nous voient."
Plus tard :
"Le Petit Poucet croyait trouver aisément son chemin par le moyen de son pain qu’il avait semé partout où il avait passé ; mais il fut bien surpris lorsqu’il n’en put retrouver une seule miette : les oiseaux étaient venus et avaient tout mangé."
On écoute alors la musique de Ravel pleine de mélancolie... Les enfants du bûcheron errent dans le soir tombant. On reconnaît les pas dans l’accompagnement musical du début. Leurs hésitations sont illustrées par des changements de mesures constants (2/4, 3/4, 4/4, 5/4…) et leurs angoisses sont décrites par un dessein sinueux de tierces...
Thierry Guelfucci évoque alors une autre histoire moins connue : Laideronnette, Impératrice des Pagodes, d’après le conte Le Serpentin vert (1697) de la comtesse d’Aulnoy.
Laideronnette raconte l'histoire d'une princesse chinoise tombée sous une malédiction qui la transforma en une petite fille laide. Embarrassée par son apparence, Laideronnette s'exile elle-même de sa famille et de son pays. Lors de son voyage, elle est sauvée par un serpent vert. Comme leur amour grandit l'un pour l'autre, la malédiction est levée, et ils vécurent ensuite heureux sur l'île des Pagodes.
" Il était une fois une grande reine qui donna naissance à deux filles jumelles. Toutes les fées du voisinage se retrouvèrent autour du berceau pour les doter de toutes les qualités possibles. Malheureusement Magotine arriva ; c’était la sœur de Carabosse, aussi méchante qu’elle. Elle s’approcha du berceau et dit à l’une des petites filles :
« Tu seras parfaite, mais en laideur ».
« Nous ne pouvons pas changer ce mauvais sort, dirent les autres fées à la reine, mais nous pouvons vous assurer qu’elle sera très heureuse ». La reine appela donc une de ses filles Laideronnette et l’autre Bellotte. Laideronnette était si affreuse qu’il était impossible de la regarder.
Quand elle eut douze ans, elle voulut partir dans un château éloigné, le cœur rempli de tristesse. Dans la forêt, elle rencontra un gros serpent vert qui lui dit : « Laideronnette, tu n’es pas seule malheureuse, vois mon horrible figure ».
Un soir, elle se promenait au bord de la mer, quand elle vit une barque toute dorée s’approcher du bord. Elle y monta, perdit la terre de vue et bientôt, une tempête se leva. Le serpent vert réapparut et lui proposa de la sauver.
Laideronnette s’évanouit et se réveilla dans un merveilleux palais en entendant de la musique.
Les jardins étaient remplis de fleurs, de fontaines, d’arbres rares. Elle vit venir à elle de petits personnages couverts d’or et de pierres précieuses pour la divertir et la servir. Tous les jours à son lever, elle avait de nouveaux habits, de nouvelles dentelles. Elle se déshabillait le matin pour aller au bain. Aussitôt Pagodes et Pagodines se mettaient à chanter et à jouer des instruments. Tels avaient des théorbes faits d’une coquille de noix... tels avaient des violes faites d’une coquille d’amande, car il fallait bien proportionner les instruments à leur taille."
Ce conte inspire à Ravel une page séduisante aux sonorités raffinées et surprenantes... Fasciné par l’Orient, Ravel recrée ici une ambiance exotique en composant un thème bâti sur 5 sons (qui correspondent aux touches noires d’un piano). Ces sons génèrent un mode dit "pentatonique", très fréquent dans les musiques d’Extrême-Orient. Cette couleur particulière fera peut-être dire aux enfants qu’ils ont l’impression d’entendre une musique "chinoise".
Thierry Guelfucci et Muriel Bonijol nous lisent ensuite un passage de Conte mis en musique par Maurice Ravel : Entretiens de la Belle et la Bête...
"Premier entretien :
La Belle : Quand je pense à votre bon cœur, vous ne me paressez pas si laid.
La Bête : Oh, dame oui, j’ai le cœur bon mais je suis un monstre.
La Belle : Il y a bien des hommes qui sont plus monstres que vous.
La Bête : Si j’avais de l’esprit je vous ferais un grand compliment pour vous remercier, mais je ne suis qu’une bête. La Belle, voulez-vous être ma femme ?
La Belle : Non, la bête !
Deuxième entretien :
La Bête : Je meurs content puisque j’ai le plaisir de vous revoir encore une fois.
La Belle : Non, ma chère bête, vous ne mourrez pas, vous vivrez pour devenir mon époux…
La Bête avait disparu et elle ne vit plus à ses pieds qu’un prince plus beau que l'Amour qui la remerciait
d'avoir fini son enchantement." Mme Leprince de Beaumont
C'est sans doute le moment le plus poétique et le plus descriptif de l’œuvre, Ravel y fait s’entretenir sur un
rythme de valse lente, un dialogue amoureux au cours duquel la Belle finit par céder aux supplications de la Bête, et se laisse séduire...
Enfin, le Jardin Féerique de Maurice Ravel est l’une des plus belles œuvres classiques inspirées par la nature... pour la dernière pièce de ce conte musical où se mêlent les personnages de la Belle et la Bête, d’une impératrice chinoise et du Petit Poucet, il nous faut imaginer un matin de printemps où la nature triomphe...
Maurice Ravel a décrit lui-même la scène qui se joue dans nos oreilles :
"Petit jour. Chants d’oiseaux. Entre le prince charmant, guidé par un Amour. Il aperçoit la princesse endormie. Elle s’éveille en même temps que le jour se lève. Tous les personnages se regroupent autour du prince et de la princesse unis par l’Amour. Apothéose.
D’un baiser, le Prince Charmant a réveillé la princesse, le couple est béni par la fée devant tous les personnages…"
Le Jardin Féérique n’est autre qu’un lent et admirable crescendo interrompu par un palier central. Ravel semble y avoir mis toute sa nostalgie secrète d’un monde de féerie enfantine…
Dans une deuxième partie du spectacle, les deux pianistes interprètent la célèbre Rhapsodie in Blue de George GERSHWIN : on se laisse alors emporter par cette mélodie qui combine des éléments de musique classique et de jazz... une musique emplie de lyrisme, entraînante, envoûtante qui nous emmène dans un monde de rêves... un beau moment d'évasion et de pur bonheur...
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2024/07/piano-a-quatre-mains-ravel-gershwin.html
https://pad.philharmoniedeparis.fr/0933850-ma-mere-loye-de-maurice-ravel.aspx?_lg=fr-FR
https://www.orchestredijonbourgogne.fr/downloads/pdf/ODB_DP_Ma-m%C3%A8re-l-oye_Thierry-Weber.pdf
Vidéos :