Rancœur

par C’est Nabum
jeudi 15 juin 2023

 

Le mal qui ronge

 

C'est un mal sournois tout autant qu'insidieux dont il est bien délicat de se départir. Pour un petit grief ou une grosse incompréhension, la rancœur a distillé son venin : un poison certes qui n'est pas violent ni même mortel, mais un inexpugnable sentiment qui ne cesse de vous ronger le cœur.

Une fois qu'elle a choisi sa cible, qu'elle s'est nourrie d'un prétexte qui se suffit à lui-même, sans qu'il soit désormais nécessaire de le nourrir d'autres désagréments, elle règne en maîtresse absolue sur une relation qui ne peut plus se concevoir sans acrimonie ni ressentiment, sans rejet ni propos acerbes.

La communication est rompue, les ponts sont coupés, le lien à jamais déchiré laisse derrière lui un monceau de cendres et de pensées noires. La rancune fait terril dans le paysage, elle se plaît à accumuler sans arrêt des monceaux de reproches, des rumeurs et des accusations, toutes plus méchantes et souvent infondées.

Elle se grime en manifestations physiques : des battements du cœur, les mâchoires qui se serrent, le ventre qui se noue tandis que la respiration se fait plus courte. La vue de l'ennemi, de cet autre à jamais rayé des cadres vous met en transe ou plus exactement dans un état où vous perdez tout contrôle sur vous-même.

Quant à l'autre, cet individu à jamais voué aux gémonies, il serait bien qu'il partage les mêmes affres sinon vous en seriez Gros Jean comme devant. Le partage s'impose en amitié comme dans lors de cette exécration sublime qui vient couronner une relation qui un jour, a pris le plus terrible travers qui soit.

Peut-on comparer la rancœur au désamour ? La question pour simpliste qu'elle soit, impose des nuances. Il me semble que la rupture amoureuse, pour violente qu'elle puisse parfois être, ouvrira immanquablement de nouveaux horizons. La brisure acceptée, le temps fait son œuvre, la vie reprend ses droits et le hasard vous remet sur un autre chemin.

Mais une amitié trahie, une relation de confiance honteusement trompée, restera à jamais une plaie ouverte, une faille qui ne se refermera pas. Rien ni personne ne comblera cette blessure. Elle se moquera des nouvelles rencontres, des relations amicales qui sont venues s'ajouter aux précédentes. Celle-là demeure la référence absolue de la trahison, du coup de poignard dans le dos.

La rancœur fossilise, la rancœur cristallise, la rancœur diabolise tout ce qui touche de près ou de loin cette relation qui a cessé pour toujours. Dans son terrible tsunami des sentiments, elle réclame des victimes collatérales, elle exige que chacun choisisse son camp, prenne position pour l'un, contre l'autre.

Elle se fait juge et partie, procureur et bourreau. Elle réclame une impérieuse franchise. Pas de faux-semblant, de demi-mesure, de gens qui ménagent la chèvre et le chou. Il faut choisir et s'y tenir. Les jeux sont faits, ce sera noir ou blanc, les nuances n'ont plus leur place dans ce qui prend des allures de manichéisme du cœur.

Seule une catastrophe, un séisme ultérieur, pourra éventuellement mettre du miel ou un cautère le temps des larmes et des condoléances. Mais, même en faisant bonne figure, bon gré mal gré, tout ceci ne sera que façade et convenance le temps de la confrontation forcée, de la réconciliation feinte. Puis, le masque retiré, la rancœur réclamera à nouveau ses droits, se faisant comme toujours maîtresse exclusive. La haine ne se mue jamais en eau tiède quand le mal est fait.

Même en ayant lu ces lignes, elle demeurera à jamais cette rancune tenace, indestructible, ineffaçable plus solide et plus permanente que n'importe quel sentiment humain.

À contre-cœur


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