Les problèmes des hélicoptères NH-90 et Tigre (4/5). Une affaire de coopération peu efficace ?

par Laurent Simon
vendredi 23 septembre 2022

Loin d'avoir raté ses hélicos militaires Tigre et NH-90, l'Europe dispose de deux plate-formes exceptionnelles, avec le Tigre mk3 et le NH-90 corrigé de ses problèmes de corrosion (plus une troisième avec le H160 + dérivé militaire HIL, successeur du best seller Dauphin). A condition de prendre les avertissements actuels au sérieux, et de remédier à ces faibles disponibilités dans les flottes européennes. Mais aussi d'éviter les différents travers constatés. Or pour comprendre les importants retards du NH-90, il convient de se poser des questions sur ce qui s'est passé pendant le développement (notamment jusque 2007, où le management d'Eads était bicéphale). Cet article traite des difficultés de la coopération, et de comment les éviter.

Cette 4e partie de l’article complète la série d’articles sur les leçons tirées de la coopération aéronautique européenne (1, 2, 3 et 4). Elle est centrée sur le NH-90 Caïman (et le Tigre), prolongeant les parties précédentes de l'article sur la faible disponibilité constatée de cet hélicoptère militaire :

Mais revenons déjà sur ce que reproche le gouvernement norvégien à ces NH90, après les avoir sélectionnés pour ses garde-côtes et sa lutte anti sous-marine. D‘abord, le trop faible nombre de ces NH90 entièrement à jour en termes de standard, alors même que le contrat prévoyait une livraison définitive en 2008. « A ce jour, seuls huit ont été livrés dans une configuration pleinement opérationnelle », précise le gouvernement sur son site internet.

« Au sein de NHIndustries, on soutient que le NH90 est un bon produit, mais qu’il existe de réelles difficultés au niveau de sa maintenance, rendue d’autant plus délicate que chaque pays demande des standards spécifiques en fonction de ses besoins. « Un plan de transformation comprenant 22 mesures a été lancé en avril 2021  », rappelle un porte-parole, soulignant au passage qu'un pays comme la

Drapeau de Nouvelle Zélande

Nouvelle-Zélande prouve qu'une exploitation satisfaisante est possible. Meilleure gestion des pièces détachées, révision de la durée des visites, réduction des délais de mise à jour technique des appareils, renforcement des capacités au niveau de la chaîne de fournisseurs… De quoi améliorer de manière significative le taux de disponibilité des NH90, selon NHIndustries. » ( La Norvège inflige un camouflet à Airbus Helicopters, Leonardo et Fokker en annulant son contrat de 14 hélicoptères NH90 )

Comme nous n’avons pas les pouvoirs de la Cour des Comptes (« enquêter sur place et sur pièces » notamment), et comme peu d’articles existent sur le sujet, nous en sommes réduit à poser des questions (voir ci-dessous), et à donner des éléments de réponse possibles. Sans pouvoir formuler d’affirmations définitives, si ce n’est au niveau de risques accrus, du fait des critères défavorables constatés.

Mais cette partie de l’article déborde en fait largement les questions liées à la faible disponibilité des NH-90 : nous passons en revue les difficultés déjà relevées dans les parties précédentes de l’article, et pointons des dysfonctionnements, liés à la coopération entre entreprises européennes. Ou même des aberrations managériales conjoncturelles que les problèmes de l’A400M ont fait apparaître au grand jour, et liées à la fusion des entreprises qui constituaient le GIE Airbus pour créer le groupe EADS.

Et nous élargissons le questionnement à d'autres sujet de coopération européenne, pour faire des comparaisons très utiles.

Quatrième piste : la coopération entre plusieurs entreprises pour concevoir et fabriquer un modèle

Comme mentionné précédemment, la Norvège et l’Australie ont décidé d’annuler la commande de NH-90 (voir encadré ci-dessous), plus de 15 ans après leur commande. Ceci est rarissime dans le milieu aéronautique, et cela semble même difficile à croire.

Mais tout d’abord ne soyons pas naïfs : n’excluons pas que les décisions norvégienne et australienne puissent utiliser la faible disponibilité des NH-90 comme prétextes. Voir l’affaire AUKUS, de la commande australienne de sous-marins français, annulée l’année dernière, en faveur de sous-marins états-uniens et britanniques (voir par exemple : Sous-marins australiens : les six ans en eaux troubles du « contrat du siècle », et récemment : Sous-marins australiens : un an après, la France surnage, l’Australie doute ). D’ailleurs n’est-il pas troublant qu’il s’avère maintenant que ni le Royaume Uni, ni les Etats Unis ne seront en mesure de fournir l’Australie en sous-marins nucléaires avant 2040, au mieux, alors que les sous-marins français auraient été disponibles dès 2030 ? L’argument de « l’alliance entre l’Australie, le Royaume Uni et les Etats Unis » ne serait-il pas en fait un prétexte ?

Logo de Leonardo

Voir aussi l’article de Michel Cabirol, dans La Tribune, Norvège la décision d'annuler le contrat NH90 interpelle y compris chez les Norvégiens : « … En Norvège, NHIndustries aurait donc dû se préoccuper de façon plus efficace de ce problème de disponibilité, qui traîne depuis des années. Mais la complexité du MCO du NH90 est renforcée par le fait que ce programme réunit deux industriels, au sein de NHIndustries, qui sont en concurrence sur les marchés du NH90. Ainsi, Leonardo, qui a en charge le MCO des appareils norvégiens (6 NFH/ASW pour la marine royale norvégienne et 8 NFH pour les Garde-Côtes) n’aurait pas vraiment joué le jeu à fond, estime-t-on. On prête d’ailleurs à l’industriel italien l’arrière-pensée de vouloir vendre des l’AW101 Merlin à la place du NH90 et de rééditer un nouveau coup en Norvège. En 2013, le AW101 Merlin, qui était en compétition contre le NH90 pour le remplacement des 12 Sea King Mk-43, a été choisi par la marine norvégienne. Un dossier complexe et explosif si le retour d’expérience montre que certains n’ont pas fait le job… ».

Et le journaliste de faire des citations troublantes, norvégiennes, incitant effectivement à penser que la Norvège n’aurait pas tout fait pour améliorer le soutien de ses hélicoptères : par exemple, « le dirigeant syndical Torbjorn Bongo, du Syndicat norvégien des officiers a été surpris par l’annonce du ministre de la Défense. Torbjorn Bongo avait été toujours sceptique sur la résiliation du contrat car il estimait qu’une partie importante du problème réside en interne dans les forces armées. « On ne peut pas s’attendre à avoir des pièces de rechange en stock si personne ne les a commandées ou n’a l’agent pour cela » a-t-il expliqué concrètement. … Ce qui laisse à penser que le ministre souhaitait se débarrasser des NH90 quoi qu’il arrive, en rejetant exclusivement la faute sur NHIndustries. »

Que cela s'avère vrai ou non, cela pose une question : n’aurait-il pas été préférable au préalable de ne pas donner des verges pour se faire battre ?

Cela fait des années que l’Australie et la Norvège se plaignent, et la Norvège vient de décider de renvoyer les NH-90 NFH à la société NHIndustries, tout en demandant un remboursement de cinq milliards de couronnes norvégiennes [soit environ 500 millions d’euros].

« Nous avons tenté à plusieurs reprises de résoudre les problèmes liés au NH90 en coopération avec NHI, mais plus de 20 ans après la signature du contrat, nous n’avons toujours pas d’hélicoptères capables d’accomplir les missions pour lesquelles ils ont été achetés, et sans que NHI soit en mesure de nous présenter des solutions réalistes », a déploré Gro Jære, la directrice de la Forsvarmateriell [FMA, l’équivalent norvégien de la DGA française, ndlr].

Le ministère norvégien de la Défense avait signé, en 2001, une commande de 14 NH-90 NFH pour les missions de sa garde-côtière et la lutte anti-sous-marine, avec des premières livraisons prévues en 2008. Or, à ce jour, précise-t-il, « seuls huit été livrés dans une configuration pleinement opérationnelle ». Et, ces dernières années, ajoute-t-il, ces appareils n’ont effectué, en moyenne, que 700 heures de vol par an contre les 3900 heures attendues.

Cette décision concernant les NH-90 NFH a été prise après un examen capacité assuré par la FMA et l’état-major norvégien. Examen qui a conclu qu’il ne serait « pas possible d’amener les performances et la disponibilité » de cet hélicoptère « à un niveau pouvant répondre aux exigences norvégiennes ». Et cela, « même avec des investissements financiers supplémentaires ».

La première conséquence de cette résiliation du contrat est que toutes les opérations impliquant des NH-90 norvégiens sont annulées… »

Et l’Australie vient de décider à son tour de tirer un trait sur le programme MRH90, en raison de sa faible fiabilité. (L’Australie se sépare également de ses hélicoptères MRH90 )

De toute façon, s’agissant de la Norvège : au-delà des difficultés spécifiquement rencontrées sur la maintenance, les problèmes NH-90 semblent sérieux, avec des retards importants au niveau de la livraison, et/ou de la mise à jour (seulement 8 hélicoptères livrés, entièrement à jour en termes de standard, alors même que le contrat prévoyait une livraison définitive en 2008, sur les 14 commandés).

Ces retards (sans surcoûts apparents, selon la Cour des Comptes) sont très significatifs, et cela accrédite l’hypothèse de sérieuses difficultés rencontrées lors du développement de l’hélicoptère.

Parcourons les différentes causes déjà envisagées jusqu’à présent, dans nos articles antérieurs, et développons-les.

1. Les 23 variantes, et l’absence d’une maîtrise d’œuvre unique 

Nous avons vu (en Partie 2 ) que deux causes très probables, pour expliquer ces retards très importants du NH-90, sont :

Ces deux facteurs explicatifs sont d’ailleurs plus que cumulatifs, leurs effets se renforçant potentiellement de façon très importante : l’existence de très nombreuses variantes impose que différentes équipes travaillent en parallèle sur ces variantes différentes, alors que cela complexifie encore les objectifs et complique la façon de travailler.

Heureusement, NHI a simplifié la production, en créant une version de base modifiable pour la personnalisation ("NH Industries plans 'simplified' NH90 for future customers." Archived), et le temps moyen pour produire un appareil est passé entre 2004 et 2016 de 18 mois à 7.5 mois ("NH90 production winds down globally." Archived)

2. Une façon de travailler s’approchant des méthodes agiles, mais sans bénéficier de la rigueur du cadre ‘agile’

Les éléments publiés par Eurocopter (page web du constructeur) au sujet du NH-90 font référence à la complexité organisationnelle et à la façon de travailler « en joint ». Par exemple :

Stand-up meeting Agile

« For technical aspects, joint design offices (JDO) have been created. The formation of these new work groups is decided by the partners’ chief engineers. The JDOs are each assigned a critical design duty and are tasked with achieving a technical goal within a specified deadline. The JDOs report to the program management monthly and they have accelerated the qualification process for each critical issue. The JDOs are now working on all the critical qualification points for the tactical transport helicopter (TTH) and the NATO frigate helicopter (NFH) versions. ». 

Cette façon de travailler, avec des équipes pluri-disciplinaires, peut être extrêmement efficace et efficiente, elle a fait ses preuves dans le « Management de projet agile ». Mais par exemple il n’est pas sûr que les raisons des décisions prises lors de la conception aient été suffisamment documentées, à mesure que les travaux avançaient, pour les très nombreuses variantes ; ni que les principes de base de la méthodologie ‘agile’, qui demande encore plus de rigueur que les méthodes classiques, aient été pleinement respectés. (Voir par exemple : Méthode agile)

D’ailleurs Eurocopter (avant d’être renommé Airbus Helicopters) conclut cette page Web sur des délais de livraison respectés, alors que c’est complètement contradictoire avec les résultats constatés un peu plus tard.

Tout ceci nous fait penser que ce programme a fait travailler les ingénieurs et concepteurs de façon très nouvelle, s’approchant des méthodologies agiles, à la fois très efficace (obtention des objectifs) et efficiente (avec une excellente utilisation des ressources), quand elles sont complètement appliquées. Mais l’expérience montre aussi que ces modes de travail doivent être rodés sur une période assez longue pour que ce soit le cas, surtout si les personnes ont été habituées à travailler de façon très différente auparavant, et si les ingénieurs sont initialement plutôt spécialisés, ce qui doit être le cas ici. (Voir par exemple : Limitations et extensions des méthodes agiles)

3. L’absence d’un pays leader, et d’une forte délégation à une agence comme l’OCCAR

Il est d’ailleurs possible qu’une bonne partie des 4 pays aient voulu contourner la NAHEMA et éviter qu’elle joue son rôle de Maîtrise d’ouvrage déléguée en demandant une variante spécifique (une multitude de variantes pouvait faire croire à l’inutilité de devoir établir des priorités) …

Logo Cour des Comptes

En effet, « les décisions au sein de la NAHEMA sont prises à l’unanimité de ses membres, ce qui est une procédure assez lourde, notamment dans le cas de l’Allemagne qui requiert une validation législative. … La NAHEMA constitue donc une singularité, liée à l’histoire d’un programme de l’OTAN, devenu européen à la suite du retrait des alliés nord-américains. Elle n’a pas vocation à porter d’autres programmes d’armement, et son fonctionnement est considéré comme plus rigide que celui de l’OCCAR. La DGA cherche à obtenir des évolutions vers une plus grande souplesse de la gouvernance, en promouvant le concept de« coalition de volontaires » (« coalition of willing »), permettant à certains États d’avancer sans l’accord des autres, concept qui trouverait à s’appliquer à la variante de l’hélicoptère NH90 destinée aux forces spéciales, en cours de discussion avec l’Australie. » (rapport –avril 2018- de la Cour des Comptes, page 36)

Un des avantages de l’OCCAR est qu’il a été créé pour faciliter la prise de décision, en n’exigeant pas l’unanimité, un autre est de ne pas rechercher un retour géographique strict, programme par programme, très pénalisant car faisant fi des compétences nécessaires à chaque programme : le ‘retour géographique’ débouche souvent sur l’attribution d’un marché à une entreprise, pour la seule raison qu’elle a la nationalité souhaitée, alors qu’elle n’a pas les compétences nécessaires à la réalisation du marché. Ce qui retarde alors les travaux, et en augmente le coût et les risques de ne pas atteindre les spécifications choisies. C’est pourquoi l’Occar recherche un « retour équilibré » sur un périmètre beaucoup plus large (plusieurs programmes, comme avec le « deal » initialement prévu en 2017 entre la France et l’Allemagne sur les programmes de char MGCS et de Système de Combat Aérien du Futur –SCAF- et d’avion de combat de nouvelle génération NGF).

Logo de l’OCCAR

Comme le note la Cour des Comptes (rapport 2018, page 39) : « Le recours à l’OCCAR constitue le mode de conduite le plus apte à tirer avantage des coopérations. Cette organisation multilatérale dispose de deux décennies d’expérience dans la conduite de programmes en coopération. Elle est dotée de règles d’association souples pour intégrer des partenaires, programme par programme, sur la base de la cooptation, ce qui permet d’échapper partiellement aux lourdeurs des agences obéissant aux règles de l’Alliance atlantique. Un meilleur usage de sa compétence pour organiser au profit des industries nationales un « retour équilibré » sur un périmètre large d’un ensemble de programmes permettrait d’échapper aux strictes compensations, programme par programme, souvent exigées par les États mais très contraignantes », et surtout de telles strictes compensations mènent directement à des dysfonctionnements majeurs, au niveau de la gestion de projet. Voir par exemple Eurofighter, les effets désastreux d’une gestion de projet déraisonnable (1) et Les leçons tirées des coopérations internationales (en aéronautique) (3/4) ).

Bref, cette absence de pays leader, ou de la pleine valorisation du recours à la NAHEMA –ou OCCAR- comme Maîtrise d’ouvrage déléguée, a donc dû gêner ou empêcher la simplification des travaux, autour d'un nombre raisonnable de versions notamment.

4. La concurrence entre Airbus Helicopters et Leonardo, le conflit d’intérêt chez Leonardo

De plus, la coopétition (coopération avec un concurrent -compétiteur-) à l’intérieur de l’entreprise commune NHI crée deux séries de difficultés :

Chacune de ces deux séries de difficultés tend à diminuer la disponibilité des hélicoptères NH-90. Et cela oblige aussi à rechercher un seul contrat de maintenance avec la société commune NHI, plutôt que des contrats séparés avec AH et Leonardo, pour éviter que les deux constructeurs ne se renvoient la balle.

Inversement, cela suppose qu’une organisation spécifique à la maintenance existe chez NHI, ou soit créée le cas échéant, pour éviter cette possible dilution de responsabilité chez NHI. (voir partie 1 de l’article, sur la dilution de responsabilité). Sinon c’est s’exposer à des situations très difficiles, économiques mais pas seulement, comme celles que NH Industries vit actuellement, avec l’annulation des contrats NH 90 par l’Australie et la Norvège, même si, ou surtout si de faibles disponibilités ne sont que des prétextes.

5. La dispersion des énergies

Nous avons vu aussi (Partie 2) que l’acceptation de très nombreuses variantes, en réponse inappropriée à la demande des pays clients, crée des conditions très favorables à une dispersion des énergies. Qui est très pénalisante pour l’avancement des travaux, puisqu’il faudrait à l’inverse focaliser les énergies sur l’essentiel.

Or une telle dispersion est également facilitée en cas de conflit d’intérêt (Leonardo à l’intérieur de NHI), ou d’intérêts divergents (au sein d’Eurofighter gmbh, du fait des volontés allemande et espagnole d’augmenter leurs compétences, au détriment de l’avancement des travaux (voir Les leçons tirées des coopérations internationales (en aéronautique) (3/4) et 4/4 ) ).

Et nous avons vu également (partie 2) que cette dispersion renforçait elle-même les difficultés liées à la complexité organisationnelle (société commune à 3 ou pire, à 4 entreprises).

 

Un nouveau tableau pour récapituler les difficultés constatées

Reprenons ces différents aspects, pour les différents programmes européens que nous avons déjà analysés :

Nous obtenons alors un nouveau tableau, également très instructif :  

Tableau1 Société commune-Pas de pays leader

Remarque 1 : les problèmes rencontrés avec l’Eurofighter étaient aussi dus en grande partie à des problèmes de compétences (l’Allemagne et l’Espagne souhaitant rattraper leur retard par rapport à l’Italie et au Royaume Uni). L’Eurofighter et le NH-90 partagent donc la même combinaison très dangereuse.

Remarque 2 : le Tigre a rencontré également des retards, mais principalement pour la version UHT qui était destinée à l’Allemagne : « Lutz Bertling, patron allemand d’Eurocopter, a rejeté une partie de la faute sur l'administration allemande. "Il est important de dire que la responsabilité des retards dans le programme sont des responsabilités conjointes". Depuis 2006, nous avons connu de retards dans le programme en raison du manque de souplesse du côté des responsables". Il a notamment évoqué le manque de personnel dans les administrations concernées et des retards de certification en comparaison de ce qui se passe en France et ailleurs. Il a souligné que la flotte française de Tigre était déjà opérationnelle avec un haut degré de fiabilité en Afghanistan. » (Le patron (allemand) d'Eurocopter défend le programme Tigre).

Il y eut aussi des retards pour le premier matériel (voir plus loin), du fait de l’absence d’une plate-forme commune (au contraire de ce qui sera fait pour l’A400M, et aussi pour le NH-90, sur le tard, voir plus haut), ce que nous attribuons à la non désignation d’un pays leader.

Remarque 3 : parmi les nombreux problèmes rencontrés par l’A400M, de nombreux sont liés à des questions d’ordre managérial (les entreprises qui constituaient le GIE Airbus fusionnaient à cette période pour créer le groupe EADS, avec des flottements), et à l’inexpérience de ce groupe pour gérer un programme militaire d’une telle ampleur et d’une telle complexité.

Voir La saga de l'A400M 2001-2009 (1/2) : le temps du pilotage à vue, dont voici quelques extraits : « des rivalités entre les dirigeants d'EADS et d'Airbus, qui ont laissé l'A400M longtemps en complète déshérence » ; « beaucoup d'incompétences, dont celle de la filiale espagnole EADS CASA, sous-dimensionnée pour gérer techniquement et industriellement un programme aussi ambitieux mais à qui pourtant la direction d'EADS a confié les clés du programme  » ; en février 2009 un rapport parlementaire pointait : « EADS s'est engagé à réaliser un type d'avion qu'il n'avait jamais construit sans se doter de la meilleure organisation pour le faire  » ; «  à quoi s'ajoute une expérience très (trop ?) limitée d'Airbus en matière d'intégration de systèmes militaires. » « Dans le groupe, on confirme qu'effectivement "il n'y a eu personne aux commandes de l'A400M pendant très longtemps". Après les retards de l'A380 et la valse-hésitation du lancement de l'A350 à cette époque, EADS montre une nouvelle fois à cette époque son incapacité à bien gérer la maîtrise d'œuvre de grands programmes aussi bien civils et militaires. Car ce qui est vrai pour l'A400M l'est aussi alors pour l'hélicoptère de transport NH90 et les drones Harfang et Talarion. » « Bref, un programme sans gouverne, ni pilote. »

Au passage, relevons la mention du programme NH-90, qui n’a pas bénéficié du meilleur contexte pour être géré correctement.

Logo d’EADS

Rappelons d’ailleurs que EADS était une construction politique, avec des travers désastreux, ce qui a conduit à une crise très importante (voir par exemple Crise chez EADS : pourquoi le nouveau président fait l'unanimité ) : il ne s’agissait pas d’une fusion classique (déjà périlleuse), mais il avait par exemple été décidé de respecter une stricte parité entre la France et l’Allemagne, avec deux PDG à la tête, deux directeurs (également allemand et français) à la tête de filiales, et la même chose encore à un niveau inférieur ! Il a fallu attendre plusieurs années, avec l’accident industriel de l’A380 (déjà signalé dans la partie 2, au sujet des problèmes de câblage) pour que cette direction bicéphale soit abandonnée (en juillet 2007).

Tout ceci nous fait placer l’A400M dans la ligne « société commune à 3 ou 4 entreprises + problème de compétences », alors qu’EADS aurait dû, sur le papier, se comporter comme une entreprise intégrée, et gérant correctement la maîtrise d’œuvre d’un tel programme.

A380

Ces péripéties managériales au niveau d’EADS expliquent très bien comment l’accident industriel de l’A380 a été rendu possible, et pourquoi ses conséquences financières ont été aussi importantes : 1. la personnalisation des cabines A380 n’avait pas dû être étudiée, au niveau des risques que cela créait. 2. il avait été autorisé que les ingénieurs allemands et français utilisent deux versions différentes du logiciel de CAO Catia 3. il a fallu attendre de nombreux mois pour que la Direction d’EADS découvre que les fuselages A380 défectueux continuaient d’arriver dans la ville rose, alors qu’il faudra tout décâbler puis recâbler, pour 16 fuselages, avec 2000 compagnons allemands déplacés à Toulouse. Ces défaillances majeures ont fait l'objet du plan Power 8 pour parvenir à une entreprise intégrée. (Voir Airbus, la revanche de Hambourg)

Si nous rappelons cet épisode, c’est pour montrer l’ampleur des dégâts que des dysfonctionnements managériaux peuvent avoir (y compris des milliards d'euro de perte), et pour donner une idée des autres conséquences que cela a dû avoir pour les programmes A400M et NH-90. Faut-il alors s’étonner des importants retards de ces programmes ?

Complétons cette analyse, et dressons un autre tableau pour caractériser les différentes coopérations civiles et militaires constatées, selon la forme de la coopération (accord avec répartition du travail, fusion d’entreprise, société commune), et selon le type d’accord (ponctuel, avec conflit d’intérêt ou intérêts divergents, ou porteur de nombreux modèles d’aéronef ou de moteur).

Le conflit d’intérêt est rarissime (un seul cas répertorié ici, avec cette SAS NHIndustries), mais il a des conséquences proches de celles résultant d’intérêts divergents, rencontrées avec l’Eurofighter)

Tableau2 accord ponctuel-société commune

Les coopérations (civiles ou militaires) qui ont le mieux fonctionné sont celles dans le coin haut à gauche (militaires : MBDA METEOR, ASTER, et encore plus depuis la rationalisation industrielle effectuée chez MBDA par application des accords franco-britanniques de Lancaster House), alors que celles qui ont été le moins efficaces sont dans le coin opposé : société commune militaire à 3 ou 4 entreprises (réacteur EJ200 pour l’Eurofighter, ou réacteur TP400 pour l’A400M), avec conflit d’intérêt (NH-90) ou intérêts divergents (Eurofighter).

Les accords les plus productifs sont constatés :

A contrario, les accords ponctuels sont par exemple ceux créés pour réaliser un réacteur spécifiquement pour un avion donné (EUROFIGHTER ou A400M), avec le risque que l’entreprise correspondante inclue un conflit d’intérêt ou ressemble à une « coquille vide ». Inversement, l’expérience du nEUROn montre qu’il est possible de réussir une coopération à 7 pays, en tenant le périmètre, les coûts et délais, même pour un accord ponctuel.

Dans l’aéronautique militaire, l’hélicoptère TIGRE est en position intermédiaire. Les retards ont été en grande partie dus à de la bureaucratie en Allemagne, voir un peu plus loin). Les autres difficultés ont été principalement dues à l’absence d’un pays leader (voir tableau précédent).

Un des deux moteurs MTR-390 du Tigre

Le cas de l’A400M est assez particulier, du fait des problèmes managériaux constatés au début des années 2000 au sein d’EADS, ce qui a créé des difficultés inhabituelles, avec des conséquences négatives majeures (retards et surcoûts très importants) ; alors qu’à l’inverse le réacteur MTR 390 pourrait (d’après le tableau) sembler problématique, ce qui ne semble pas avoir été le cas.

Conclusion partielle : ce tableau montre où se trouvent les risques majeurs, mais sans automaticité que ces risques se transforment en problèmes très significatifs. Mais il fournit des facteurs qui expliquent très bien les risques croissants qu’il y ait des dérives importantes en matière de délais, coûts et spécifications.

Nous le voyons avec les deux tableaux précédents, les critères sont nombreux, et c’est souvent la conjonction de certains de ces critères qui aboutit à des risques très élevés de dérives en délais, coûts voire spécifications (périmètre du programme).

C’est pourquoi nous reprenons ces résultats avec un 3e tableau récapitulatif, ci-après, avec de nombreuses colonnes, chaque programme étant caractérisé par une zone plus ou moins étendue : plus le rectangle dessiné couvre de colonnes et plus le programme se révèle problématique.

Ce tableau prolonge celui déjà publié dans Les leçons tirées des coopérations internationales (en aéronautique) (4/4), avec des lignes et colonnes plus nombreuses.

Tableau3 Colonnes nombreuses

Quelques commentaires sur ce tableau récapitulatif

1. Hélicoptères Tigre et NH-90. Leur faible disponibilité a des causes différentes : pour le Tigre, retards notamment administratifs en Allemagne, pas de pays leader (et retards à la livraison de ‘subconfigurations’, voir Airbus Tiger (EC665) ) ; pour le NH-90, 23 variantes et absence de pays leader, société commune SAS (avec conflit d’intérêt), organisation complexe et manque de compétences (anti-corrosion) (note : nous avons fait un peu déborder le rectangle vers le bas, pour signaler les surcoûts actuels du NH-90, du fait de l’annulation par la Norvège et l’Australie).  

Tigre effectuant un looping

Le Tigre, réussite technique exceptionnelle, s’est montré très utile dans les conflits récents où la France a été engagée, « donnant satisfaction en opérations », selon la Cour des Comptes. « Le TIGRE assure un saut qualitatif par rapport à la génération précédente d’hélicoptères de combat, au point de devenir, au sein des armées françaises, indispensable pour la conduite de certaines opérations. »

Le Tigre, comme d’ailleurs le NH-90, résulte d’études et travaux menés depuis très longtemps, d’avant la Chute du Mur. Ce sont des exceptions, car les autres hélicoptères militaires européens dérivent d’appareils civils. Et ces deux programmes ont beaucoup souffert d’une forte réduction des cibles d’acquisition, après la fin de la Guerre Froide. Pour la France, de 215 à 71 (Tigre), de 160 à 101 (NH-90 Caïman), avec de ce fait une augmentation substantielle du coût unitaire global. Mais dans quelques années (2029), "le Tigre mk3 n'aura pas d'équivalent mondial", en termes de connectivité (man machine teaming), connectivité tactique et d'échange de données sur le champ de bataille et ce capacités de feu det d'armement.

Pour le Tigre, les articles Historique détaillé et Airbus Tiger (EC665) précisent les nombreuses péripéties du programme franco-allemand, depuis 1975, dont l’évolution des versions souhaitées, différentes de part et d’autre du Rhin. Le nombre de versions a oscillé entre deux et trois, avec une version de base commune pour le véhicule, puis une variante créée pour l’Australie, mais on est très loin des 23 variantes du NH-90.

Retard du premier Tigre livré

Les retards de livraison du premier Tigre (voir le rapport de la Cour des Comptes, page 53, d’où est extrait le graphique ci-contre) sont probablement dus à l’absence d’une plateforme commune, entre les spécifications allemandes -UHT- et françaises -HAP-, contrairement à l’A400M, qui « est le programme le plus harmonisé de ceux que la Cour a étudiés puisque les spécifications définissent une plate-forme commune (Common Standard Aircraft – CSA), sur laquelle l’industriel adapte des matériels optionnels à la demande des États, et parfois même assemble des équipements fournis par eux (par exemple, l’autodéfense des avions anglais)  ».

Ainsi, sans cette méthodologie CSA utilisée un peu plus tard pour l’A400M, les deux versions UHT et HAP très différentes ont dû compliquer les développements, pour arriver à 85 % de l’hélicoptère TIGRE commun à la France et à l’Allemagne. Nous voyons dans cette absence méthodologique un effet du non choix d’un pays leader, dont les premières tâches auraient été de définir cette plate-forme commune.

2. Le cas particulier de l'A400M

Nous avons classé l’A400M dans la ligne « retards et surcoûts importants », et non « très importants » pour trois raisons :

a) le programme A400M avait été manifestement sous-estimé, y compris en délais, un programme d’avion militaire prenant habituellement au moins 10 ans ; il n’était donc pas réaliste de prévoir une mise en service avant 2013. Cette sous-estimation résulte directement de décisions politiques, pour parvenir à lancer ce programme emblématique pour l’Europe, mais pour lequel il semblait difficile d’aboutir à un accord entre les pays concernés.

Alors que par exemple pour l’Eurofighter il n’y a pas eu sous-estimation des difficultés : le contre-exemple en France du Rafale montre qu’il était possible de tenir les coûts et délais, et même d’obtenir un périmètre nettement plus étendu (avion de supériorité aérienne et d’attaque au sol, disposant d’une variante navale, par exemple, voir Eurofighter, les effets désastreux d’une gestion de projet déraisonnable (2/2))

Moteurs de l’A400M

b) une grande partie des problèmes provenaient de ces moteurs TP 400, classés également ici, dans les retards et surcoûts importants. Ces difficultés résultent aussi directement de décisions politiques en Europe, en faveur de moteurs européens, au lieu de se satisfaire de moteurs canadiens Pratt & Wittney. (Voir Le moteur de l'A400M est un choix politique et industriel). A l'inverse, ce choix de réacteurs spécifiques à l'A400M a permis ou facilité un sens inverse de rotation des hélices sur chaque demi-aile, ce qui offre de nombreux avantages, dont l'allègement de la structure, réductionde la taille de la dérive, la plus grande distance franchissable ou l'emport d'une charge utile plus importante pour une quantité de carburant donnée.

c) une autre grande partie des problèmes rencontrés avec l’A440M sont être d’ordre managérial, au sein du groupe EADS dans ses premières années, comme déjà mentionné plus haut. Ce qui traduisait alors des défaillances managériales majeures, et conjoncturelles, que nous souhaitons distinguer fortement des lacunes de compétences techniques qui ont pu être constatées sur différents programmes.

Tout ceci fait que l’étendue des difficultés est moins large pour l’A400M que pour les moteurs TP400, au niveau du rectangle sur le tableau.

Remarque très importante au sujet de l’A400M. Les deux articles La saga de l'A400M 1/2 et 2/2 rappellent bien le rôle décisif qu’a joué le Ministre de la Défense français, Hervé Morin, pour sauver le programme en 2009, puis pour obtenir un accord des pays partenaires en mars 2010… mais aussi le délai incroyable pour obtenir une signature du fameux avenant au contrat sur le nouveau financement de l'A400M par les pays, puisqu’il faut attendre le 7 avril 2011, soit plus d’un an !

Tout ceci montre, s’il en était encore besoin, l’extrême importance d’avoir un pays leader pour un tel programme  : en l’absence d’un tel rôle officiel, Hervé Morin a bien réussi à relancer le programme en 2009 et à arracher un accord oral en 2010, mais il n’a pu obtenir la signature de l’avenant en moins de 13 mois

Ceci rejoint d’ailleurs les constats que l’on peut tirer de l’expérience, dans les programmes gérés avec l’OCCAR : il fallait souvent plusieurs mois à cet organisme pour obtenir des réponses à ses questions, de la part des pays impliqués dans le développement. Tout ceci illustre bien que les difficultés de ces coopérations se nichent souvent dans des détails… qui s’avèrent être très importants en fait. Avec l’accusation classique de la part des responsables que les retards sont le fait des autres…

Et l’on retrouve aussi un grand classique en matière de construction européenne : de nombreux pays et responsables politiques ont pris la mauvaise habitude d’affirmer que quand ça va bien, c’est grâce à eux, et quand ça va moins bien, c’est de la faute de l’Europe (et de la Commission européenne en particulier), ou d’un autre pays. Alors que les décisions sont le fait du Conseil européen, donc des dirigeants des pays, et souvent elles sont prises à l’unanimité, ce qui signifie que ces responsables politiques étaient d’accord !

Satellites GALILEO

3. Les retards (très importants) de GALILEO sont en grande partie des retards politiques, avec de nombreuses péripéties (en particulier les essais britanniques d’empêcher puis retarder le projet, puis de demander qu’il soit privé et non financé par l’Union Européenne). Il y eut aussi les péripéties avec la PME OHB, allemande, qui a remporté l’appel d’offre pour réaliser les satellites, alors qu’elle n’avait pas toutes les compétences nécessaires. Ce qui est apparu clairement un peu plus tard, les entreprises Thales Alenia Space et Astrium (Airbus) étant rappelées "pour tenter d’accélérer ce programme" Galileo, et alors que "les satellites coûteront au final le double du prix convenu" (avec OHB) selon les syndicats CFE CGC d'Astrium et Airbus. (Astrium et Thalès volent au secours de Galileo).

Ces retards et surcoûts sont très significatifs, mais il ne faut pas perdre de vue l'essentiel (c'est une exception, étant donnée l'ampleur des enjeux) : GALILEO reste un fantastique succès, technique mais aussi commercial, malgré un coût jusqu'à présent de 13 milliards d'euros. « L’ajout réussi [en décembre 2021] des satellites 27-28 au système de positionnement le plus précis du monde représente une étape très importante pour nos utilisateurs, qui sont plus de 2 milliards aux quatre coins du monde. (La constellation Galileo s’agrandit après la réussite du « lancement 11 »). "Placé sous contrôle civil (et non pas militaire, comme ses concurrents), cet ambitieux programme européen, dont les premiers services ont démarré en décembre 2016, offre une précision de géolocalisation de l'ordre du mètre, pour sa version gratuite, et du centimètre pour sa version commerciale. Contre une dizaine de mètres pour le GPS américain." "Preuve indirecte du succès de Galileo, celui-ci fait l'objet de vives discussions entre le Royaume-Uni et la Commission européenne dans le cadre de la préparation du Brexit" (Pourquoi Galileo, le concurrent européen du GPS américain, arrive à point nommé).

C'est tellement vrai que " pour confirmer ce succès et renforcer l'indépendance de Galileo face à ses concurrents, la Commission européenne a déjà prévu un budget de 9,7 milliards d'euros pour la période 2021-2027." (Le GPS européen Galileo est désormais utilisé sur un milliard de smartphones, 17 septembre 2019) "De fait, enjeu de souveraineté et de sécurité pour l’Europe, Galileo est aussi un atout économique dans son jeu. En pleine transition numérique mondiale, le poids des activités liées à la géolocalisation ne cesse de grandir. Evaluées entre 7 % et 10 % du PIB européen par la commission de Bruxelles, elles pourraient atteindre 30 % en 2030, chiffre le CNES" (Géolocalisation : Galileo met enfin l’Europe sur orbite)

Cocarde de Eurofighter gmbh

4. Le pire des cas est obtenu avec l’Eurofighter Typhoon, puisqu’il y eut des retards et surcoûts très importants, qui ont entraîné des réductions de cible (moins d’avions commandés), et aussi une faible disponibilité des aéronefs, en particulier du fait d’une grande variété des pièces de rechange. Tout ceci se traduit sur le tableau par un rectangle encore plus large que le NH-90, couvrant en fait toutes les colonnes du Tableau3.

 

Des conclusions nombreuses :

Nous avons élargi la problématique à tout ce qui concerne la coopération en Europe, et avons retrouvé des analogies entre les programmes NH-90 et EUROFIGHTER, même si ce dernier a montré encore plus de problèmes, du fait d’un fort écart de compétences entre les partenaires développant le Typhoon, et d’une volonté de rattrapage au détriment de l’avancement des travaux.

NH-90, Armée de Terre française

En ce qui concerne les hélicoptères militaires TIGRE et NH-90, nous avons trouvé beaucoup de différences, qui contribuent à expliquer la disponibilité encore plus faible des NH-90, et leur coût de MCO encore plus élevé que pour le Tigre. Les trois tableaux réalisés font tous apparaître des différences très importantes entre ces deux programmes d’hélicoptère militaire.

L’avenir dira si la ‘verticalisation’ en France des contrats de maintenance aura autant de bénéfices au sujet des NH-90 que pour les TIGRE, et même plus de bénéfices, avec des ratios plus raisonnables, puisque les coûts de MCO des NH-90 étaient près du double de ceux du Tigre.

La question du conflit d’intérêt chez Leonardo est majeure, elle reste posée. Et là aussi l’avenir permettra probablement d’avoir des réponses, notamment à la question de savoir si cela a eu un impact important sur la faible disponibilité des NH-90, en Norvège (jusqu’à maintenant) et ailleurs.

Quant à la disponibilité des autres hélicoptères militaires dans les flottes françaises, elle devrait s'améliorer notablement à partir de 2027 avec le remplacement prévu de plusieurs modèles très anciens par le seul Hélicoptère Interarmées Léger (HIL), ravitallable en vol. 174 appareils, de 5 flottes ( Fennec, Gazelle, Panther, Alouette III et Dauphin) seront remplacés par 180 HIL (Guépard) à terme.

HIL H160 Marine

Du fait que cet hélicoptère dérive du nouvel hélicoptère civil H160, et qu'il sera commandé en nombre significatif par un seul pays (la France), il n'y a pas un impératif besoin de développer ses fonctionnalités militaires en coopération avec d'autres pays européens. Et la DGA devrait jouer son rôle, pour éviter un trop grand nombre de variantes, alors qu'il couvrira des besoins assez différents (reconnaissance armées, infiltration de forces spéciales, appui-feu et appui au commandement, destruction de cibles faiblement protégées, infiltration, appui logistique, évacuation sanitaire ; combat aéromaritime, protection et soutien de la force navale, opérations spéciales et action de l’État en mer ; surveillance et défense de l’espace aérien [mission MASA], recherche et sauvetage, renseignement). Et il pourra donc être exporté, sans nécessiter de coûteuses adaptations. De plus, la verticalisation des contrats de maintenance devrait permettre une excellente disponibilité opérationnelle. Bref, les inconvénients constatés sur les programmes mené en coopération de façon inappropriéene devraient pas se retrouver pour cet hélicoptère HIL.

Au-delà de la faible disponibilité des hélicoptères Tigre et NH-90 (et des Eurofighter), les problématiques de la délicate coopération (militaire essentiellement) entre pays européens ont été approfondies, par rapport à nos articles antérieurs (notamment : Les leçons tirées des coopérations internationales (en aéronautique) (4/4) ). Les 3 tableaux réalisés ont prolongé la réflexion et les comparaisons faites, sur des programmes majeurs, en ajoutant des critères.

Quant à l'emblématique A400M, sa très grande polyvalence, et sa conception autour d'une base commune (CSA) devrait permettre d'obtenir une version 'low cost' pour l'exportation, ainsi probablement qu'une version pouvant servir à la fois pour des besoins humanitaires et pour contribuer à éteindre des feux de forêts. Et plus tard, un nouvel avion réutilisant une partie des pièces de l'A400M pourrait être développé, en réponse au besoin de 'Futur Cargo Tactique Militaire (FCTM)'.

Sinon, pour des considérations générales : en dehors des cas les plus problématiques (Eurofighter et NH-90, ainsi que Galileo pour des raisons plus politiques), des difficultés similaires sont constatées. Et la synthèse de Charles Edelstenne reste extrêmement pertinente : " un maître d'oeuvre unique [et pas de conflit d'intérêt], une organisation simple et claire [et un nombre limité de variantes], un seul interlocuteur [un pays leader, une maîtrise d'ouvrage déléguée unique, pas de bureaucratie], ainsi que des apports des partenaires basés sur leurs compétences, et non sur celles qu'ils auraient pu acquérir aux frais du programme et donc du contribuable européen". Le PDG de Dassaut Aviation pensait évidemment à l'Eurofighter, versus le Rafale.

Et cette formulation explique le succès du nEUROn et de MBDA (METEOR, ASTER), et aussi, a contrario, les graves difficultés rencontrées sur tous les autres exemples analysés ici.

Drone de combat, Dassault nEUROn

Pour le nEUROn, Dassault Aviation a reformulé sur une page un schéma de coopération européenne efficace  : « En fonction des objectifs fixés par la DGA, Dassault Aviation, a confié environ 50 % de la valeur des travaux à des partenaires européens, choisis à l’issue d’une sélection sévère, basée sur les critères suivants : l’excellence et les compétences, la compétitivité et l’engagement budgétaire de chaque gouvernement »

En attendant de faire mieux avec les prochains développements, beaucoup mieux qu'avec les exemples cités ici, il convient de corriger au plus tôt les très faibles disponibilités, dans les flottes européennes, des hélicoptères Tigre et NH-90 Caïman, grâce aux contrats 'verticalisés' (voir Partie 1).

Nous verrons dans la 5e partie ce qu'il est possible de faire pour remédier aux difficultés issues des mauvaises décisions prises, dans les exemples cités ici.

Quant au Tigre Mark3, nouveau standard que la France et l'Espagne ont décidé de financer pour les Tigre HAD, il conviendrait qu'il y ait un pays leader, et que ce soit la France, puisqu'elle représente la dépense majeure (sur 4 Milliards envion, 2.8 pour la France, soit 70%, pour moderniser 42 des 67 appareils français, et 18 espagnols) (Défense : la France et l'Espagne n'attendent pas l'Allemagne pour la modernisation des hélicoptères Tigre), avec la DGA comme maîtrise d'ouvrage déléguée.

Maquettes d’effecteurs déportés du SCAF

Et pour le NGF (avion de combat de nouvelle génération), inclus dans le SCAF (système de combat aérien du futur), il convient à la France de rappeler à l'Allemagne son accord pour que la (pleine) maîtrise d'oeuvre du NGF soit Dassault Aviation, puisque s'agissant du Char MGCS la maîtrise d'oeuvre a été accordée aux industriels allemands (et aussi puisque c'est aussi le cas pour l'eurodrone MALE RPAS).Voir Eurofighter, les effets désastreux d’une gestion de projet déraisonnable (1) et (2).


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