Théâtre : Platonov & Le chant du cygne de Anton Tchekhov
par Theothea.com
jeudi 1er décembre 2005
En osant ajouter à la version courte du Platonov (3h30), la demi-heure du Chant du cygne auquel succède un entracte de durée équivalente, Alain Françon, le directeur du Théâtre de la Colline, propose en quelque sorte une soirée thématique, où la notion scientifique de "trou noir" pourrait servir de "toile de fond" à une mise en scène métaphorique.
La fascination tchekhovienne va pouvoir s’y développer ad libitum en se laissant absorber par son principe de contradiction intrinsèque, garantissant tout loisir au concept d’insignifiance pour se construire un solide statut formel en creux.
Cependant la longue plongée dans l’obscurité grandissante pouvant s’apparenter aux descentes vertigineuses vers les profondeurs du "grand bleu" ne s’accompagnera pas nécessairement des sensations de griserie et d’euphorie censées imprégner l’attention du spectateur en proie davantage par moments au sentiment primitif d’abandon dans le "noir complet".
C’est pourtant en rebondissant sur ces contraintes aveugles que le premier et le dernier tableau du Platonov sauront créer l’antidote propre à se laisser séduire par la dégénérescence d’une société trouvant dans les exploits de son antihéros l’inanité dont elle a peut-être toujours rêvé secrètement.
Ainsi répondant à Platonov (Eric Elmosnino), le champion vaincu dans la lumière torride de la steppe après sa brillante représentation de toutes les potentialités avortées de l’être humain, voici dans la nuit silencieuse du théâtre déserté Svetlovidov (Jean-Paul Roussillon) qui marmonnerait la désillusion du "cygne" s’identifiant à la déchéance du spectacle vivant mais qui, dans un sursaut salutaire, rendrait néanmoins un hommage éternel à Shakespeare, Pouchkine et consorts.
Retourné alors comme un gant, le comédien désabusé sur le sort de l’humanité en perdition pourrait ainsi se requinquer en donnant un sens ultime au "verbe".
Là où le critique dramatique Philippe Tesson perçoit en Platonov "un démiurge révélateur des faiblesses humaines", l’un des protagonistes le considère tel "un Platon miniscule", alors que le metteur en scène conçoit en moraliste après Paul Ricoeur : "Platonov est le seul à savoir que la douleur de l’autre peut lui être imputable".
Aussi, quel que soit le point de vue adopté sur le personnage, il semblerait qu’Anton Tchekhov ait légué en cette première oeuvre de jeunesse non formatée, un vaste constat clinique des temps contemporains.
PLATONOV& LE CHANT DU CYGNE ** de Anton Tchekhov - mise en scène : Alain Françon - avec Jean-Paul Roussillon, Gilles Segal, Hélène Alexandris, Eric Berger, Carlo Brandt, Jean-Yves Chatelais, Irina Dalle, Eric Elmosnino, Alexandra Flandrin, Pierre-Félix Gravière, Guillaume Lévêque, Sava Lolov, Julie Pilod, Samuel Réhault, Alain Rimoux, Régis Royer, Dominique Valadié, Abbès Zahmani - Théâtre de la Colline -