Le rail, encore une privatisation ratée ?

par TDK1
mercredi 10 janvier 2024

La presse économique se fait l'écho, en ce début d'année 2024, de l'ouverture de la ligne TGV Paris-Lyon-Marseille à la concurrence, en l'occurrence, la Renfe, la compagnie espagnole. Un pas de plus vers la privatisation des chemins de fer en France...

La privatisation du rail est-elle encore une question ?

A la question (bidon ?) de savoir s'il faut ouvrir les chemins de fer français à la concurrence, nous savons tous, consciemment ou non, que cela est impératif. Non pas parce que Bruxelles l'impose, en particulier avec son quatrième paquet ferroviaire applicable depuis décembre dernier, car cela ne saurait être une raison suffisante, mais parce que la situation du rail français l'impose.

Alors que le transport individuel, pour des raisons multiples, certains diront "écologiques", d'autres "économiques", d'autres aussi "de bon sens", est appelé à refluer, la SNCF s'entête dans une logique qui voit chaque année des kilomètres de voies fermer, des gares fermer, des coûts de transport exploser, une qualité de service se dégrader. La politique du "tout TGV", du "gain de temps" a pour conséquence une désertification de zones entières de notre territoire, une conception du service de rail socialement centrée sur les urbains. Il est facile d'aller d'une grande ville à une autre, d'une grande ville aux lieux de villégiature estampillés "bobo compatibles", mais tout ceci, comme toujours, au détriment de la "France périphérique".

Alors qu'il n'y a pas si longtemps toutes les communes françaises étaient desservies, alors que quelques anciens racontent encore comment, en campagne, ils conduisaient leur cheptel à la gare locale pour être transporté par train à l'abattoir, alors qu'il suffit de regarder dans les gares restantes ou abandonnées le nombre de quais et de voies qui étaient utilisées et qui gisent aujourd'hui, envahies par les mauvaises herbes comme autant de témoignages de notre déclin, alors qu'on transforme d'anciennes voies ferrées en "voies vertes" ou pistes cyclables, vous devez, désormais faire 15 ou 20 km pour vous rendre à une gare ou un ou deux ou au maximum trois trains dans la journée sont susceptibles de vous conduire à Paris, charge à vous de changer de gare pour prendre une correspondance afin de rejoindre votre destination finale. Le tout avec une ponctualité approximative qui vous conduit à prendre une marge d'erreur pour être à peu près sûr d'arriver au moment voulu. Bref, le "gain de temps" affiché d'une ville à une autre a pour conséquence une augmentation considérable de la durée des trajets et une augmentation considérable de leur coût.

Vous remarquerez que je n'ai pas évoqué les grèves, les trains qui ne démarrent pas, qui tombent en panne en plein milieu du trajet, les passages à niveaux qui ne se ferment pas et bloquent la circulation, les "antisociaux" qui démontent les fils en cuivre et mettent en panne la signalisation, les rames qui ne savent pas freiner lorsqu'il y a des feuilles mortes sur les rails, les sangliers qui traversent parce que les clôtures ne sont pas entretenues, le dernier train de la journée supprimé au dernier moment, etc etc....

Faut-il revoir de fond en comble notre politique ferroviaire ? Oui. La SNCF est-elle en mesure de le faire ? Non.

Alors pourquoi hurler quand la Renfe obtient un droit de circuler sur PLM ?

Parce que, encore une fois, nos technocrates raisonnent comme des comptables, pas comme de grands commis de l'Etat en charge du bien commun. Multiplier les opérateurs sur les lignes hyper rentables ne va jamais, au grand jamais, permettre de développer le rail sur le territoire de la France. Au contraire. En affaiblissant les recettes de la SNCF sur ces lignes et en laissant celle ci seul gestionnaire des lignes locales et secondaires, c'est le meilleur moyen pour que ces dernières finissent soit par crever définitivement, soit par ne plus vivre que sous perfusion d'argent public (régions, départements...). Le principe de privatisation n'est ni bon ni mauvais en soi. Ce sont les conditions de sa réalisation qui en font un bon ou un mauvais choix.

Mais, allez-vous me dire, la privatisation des lignes secondaires est en route aussi, et les région de PACA et de Normandie ont déjà engagé le processus. Oui, mais avec toutes les chances réunies de plantage.

D'abord parce qu'aucun plan directeur de développement du rail n'est élaboré ou en cours d'élaboration (je parle bien de "développement"). Ensuite parce que nous nous dirigeons tranquillement vers une privatisation sur le mode concessionnaire et non "open access". Or, quel enseignement pouvons nous tirer de l'expérience britannique ? Le modèle concessionnaire, choisi par nos voisins d'outre manche, malgré toutes les réussites de la privatisation, n'a pas permis de diminuer la charge qui pèse sur les finances publiques ni fait baisser les tarifs pour les passagers (rapport McNulty) ! Logique, le système concessionnaire remplace un monopole par un autre. D'ailleurs, c'est bien le modèle "open access" que la France semble avoir choisi pour les lignes à fortes rentabilité comme PLM, alors pourquoi s'arrêter en si bon chemin et ne pas appliquer ce même modèle aux lignes secondaire, voire locales ?

Parce que l'état des infrastructures et la rentabilité théorique sont de nature à faire peur à d'éventuels acteurs privés ?

Quelques pistes de réflexion pour imaginer une privatisation intelligente...

  1. Un schéma national de développement de l'infrastructure du rail afin d'atteindre à terme (échéance de 10 à 15 ans) un maillage de la quasi totalité des agglomérations françaises. L'exécution et la gestion de cette infrastructure (réseaux et gares) étant confiées à une entité unique, nationale. Cette société serait renforcée sur la plan capitalistique par l'apport de capitaux privés (ce que les statuts de "SNCF gares et connexions" permet), y compris et surtout de la part des société privées qui souhaitent être présentes sur le marché du rail. La majorité devant rester aux mains de l'Etat français pour des raisons stratégiques. L'économie de cette entité étant assurée par les droits de passage versés par les exploitants pour la partie fonctionnement et l'argent public et les actionnaires privés pour l'investissement.
  2. Diversifier les matériels utilisés. Certaines dessertes peuvent être assurées par des matériels plus légers nécessitant des investissements moins lourds (Bluetram par exemple pour la réouverture de lignes locales dont les rails ont été démontés) ou des matériels anciens reconditionnés (cf Transdev sur la ligne Carhaix-Paimpol).
  3. Imposer de manière progressive le ferro-routage, réduisant à terme l'usage du camion à un rayon de 100km. Cette mesure, outre la diminution de la pollution qu'elle engendrerait (les camions sont la première source de rejets de microparticules et de gommes), le désengorgement des infrastructures routières, le ralentissement de l'usure des infrastructures routières, la diminution des accidents routiers, créerait un marché du fret ferroviaire propice à son développement et donc à la baisse de ses coûts. Le développement de ce marché participerait à la rentabilisation de "SNCF gares et connexions".
  4. Conditionner l'octroi de droits d'exploitation des lignes à fortes rentabilité à l'exploitation de lignes locales et régionales et à une prise de participation à "SNCF gares et connexions". On peut même imaginer que l'exploitation ou la réouverture de lignes locales permettent l'octroi de plus ou moins de "droits" (en fonction du niveau de non-rentabilité à court, moyen et long terme) sur les lignes TGV à forte rentabilité ; "droits" pouvant être négociables.

Un tel dispositif permettrait non seulement de développer le rail, mais garantirait le principe de continuité territoriale tout en soulageant les finances publiques. Ces dernières n'étant, comme il se doit, engagées que dans les investissements et non le fonctionnement.


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