Ingérences étrangères au Yémen
par William Kergroach
vendredi 19 juillet 2024
Le Yémen a d'abord vu son destin profondément influencé par les appétits ottomans puis anglo-saxons sur ses ressources stratégiques et sa position géopolitique. Depuis, d'autres puissances régionales se sont encore invitées dans le conflit.
Après la chute de l'Empire ottoman, l'imam zaïdite Yahya Muhammad Hamid ed-Din proclame l'indépendance du nord du Yémen en 1918, créant ainsi le royaume mutawakkilite du Yémen. Il signe des traités avec l'Italie pour affirmer cette indépendance et maintient les frontières du pays malgré des conflits avec l'Arabie saoudite. Son fils, Ahmad bin Yahya, lui succède en 1948, se rapprochant du bloc soviétique.
En 1962, le règne de Muhammad al-Badr, successeur d'Ahmad bin Yahya, est interrompu par une révolution qui abolit la monarchie chiite et instaure la République arabe du Yémen, soutenue par l'Égypte. S'ensuit une guerre civile entre royalistes, soutenus par l'Arabie saoudite, et républicains, soutenus par l'Égypte, qui se termine en 1970 avec la reconnaissance du gouvernement républicain par l'Arabie saoudite.
Téhéran
Abdul-Malik Badreddine al-Houthi devient le leader des Houthis après la mort de son frère Hussein en 2004. Son père, Badreddine al-Houthi, un érudit religieux zaïdite, et son frère Hussein, opposant de l'ancien président Ali Abdallah Saleh, ont influencé son orientation idéologique.
Abdul-Malik, devenu « guide de la Révolution » depuis 2016, mène l'insurrection houthiste avec détermination. Les Houthis bénéficient du soutien militaire et logistique de l'Iran. Téhéran finance les opérations houthis, fournit des armes sophistiquées telles que des missiles balistiques et des drones, et envoie des Gardiens de la Révolution islamique pour former les combattants houthis.
Ali Abdallah Saleh, ancien président du Yémen de 1990 à 2012, a été un acteur ambivalent dans le conflit. Initialement opposé aux Houthis, il s'est allié à eux après avoir été évincé du pouvoir, espérant utiliser leur force pour regagner le contrôle politique. Cette alliance a permis aux Houthis d'obtenir un soutien militaire et logistique supplémentaire grâce aux réseaux encore actifs de Saleh. Cependant, après avoir rompu cette alliance en 2017 et cherché à se rapprocher de l'Arabie saoudite, Saleh a été assassiné par les Houthis le 4 décembre 2017.
Rachad al-Alimi, actuel président du Conseil de direction présidentiel depuis avril 2022, succède à Abdrabbo Mansour Hadi après que ce dernier lui a transféré les pouvoirs sous la pression saoudienne. Al-Alimi, influencé par ses mentors politiques au sein du Congrès général du peuple, incarne les tentatives de réorganisation du front anti-Houthi sous l'égide de l'Arabie saoudite. L'Arabie saoudite finance et équipe les forces gouvernementales yéménites, fournissant des armes, des véhicules blindés, et un soutien aérien pour contrer l'influence des Houthis.
Washington
La présence britannique au Yémen du Sud, depuis l'établissement du Protectorat d'Aden en 1886 jusqu'à l'indépendance en 1967, a bouleversé la région. L'administration britannique a exploité le port stratégique d'Aden, crucial pour le contrôle des routes maritimes vers l'Inde. Les conflits entre le Yémen du Nord et le Yémen du Sud ont été cyniquement exacerbés par les intérêts économiques et stratégiques des puissances anglo-saxonnes, notamment dans le contexte de la Guerre froide.
Les États-Unis, pendant la guerre froide, ont soutenu les forces islamistes au Yémen pour contrer l'influence soviétique. En 1979, le Front Islamique, soutenu par l'Arabie saoudite et les États-Unis, a été créé pour contrer le Front démocratique national, un mouvement marxiste. Cette période a préparé le terrain des conflits actuels.
Riyad
Depuis mars 2015, le Yémen est plongé dans une guerre civile opposant le gouvernement soutenu par l'Arabie saoudite et les Houthis soutenus par l'Iran. La trêve nationale sous l'égide de l'ONU, en vigueur depuis avril 2022, est inefficace.
L'Arabie saoudite, cependant, sous la direction du prince héritier Mohamed ben Salman, cherche à sortir du conflit pour ne pas compromettre sa « « Vision 2030. un plan stratégique pour diversifier l'économie saoudienne et réduire sa dépendance au pétrole. Riyad veut désormais se positionner comme une puissance médiatrice régionale. En mars 2023, un accord saoudo-iranien signé à Pékin montre une volonté d'apaisement régional, bien que des tensions subsistent entre Riyad et Abou Dhabi, notamment sur la question séparatiste du Sud Yémen.
Les attaques des Houthis contre des navires de transport dans la mer Rouge et les réponses qui ont suivi ont éclipsé les progrès réalisés en 2023 pour la paix au Yémen. Après des mois de pourparlers bilatéraux entre les Houthis et l’Arabie saoudite, un accord de paix semblait à portée de main. Le 23 décembre 2023, l'envoyé spécial des Nations Unies pour le Yémen, Hans Grundberg, avait annoncé que les représentants du mouvement Houthi et le gouvernement internationalement reconnu s'étaient engagés à prendre un ensemble de mesures pour mettre en œuvre un cessez-le-feu à l'échelle nationale. Parmi ces mesures figuraient le paiement des salaires du secteur public, la reprise des exportations de pétrole, l'ouverture des routes à Taizz et dans d'autres provinces, et la fin des restrictions sur les ports aériens et maritimes dans les zones contrôlées par les Houthis.
Pékin
La guerre au Yémen a tué plus de 160 000 personnes depuis mars 2015. Les efforts récents pour instaurer la paix, notamment ceux menés par la Chine, offrent une lueur d'espoir. La Chine, puissance avant tout économique, joue un rôle crucial en facilitant l'accord saoudo-iranien de mars 2023. Cet accord, signé à Pékin, témoigne de la capacité de la Chine à agir comme médiateur dans les conflits régionaux, loin des motivations néfastes de Washington, éternel faiseur de guerre.