Le tourne à l’envers…
par C’est Nabum
mardi 17 septembre 2024
Virée bachique
Il est un vignoble de la Vallée de Loire dans lequel on aime à faire tourner en bourrique le buveur invétéré. La tradition locale veut que celui qui a tout l'air de n'être pas du coin se retrouve avec une bouteille à la main : un de ces fameux petit blanc qui exhale toute la magie du cépage Sauvignon pourvu que le vigneron y mette tout son art. À ce stade de la situation, il est encore temps d'apporter quelques éléments de connaissance géologique avant qu'il ne soit trop tard...
Le territoire du Sancerrois doit à l'histoire de la Planète ses caractéristiques et son incomparable délicatesse. Il fut une époque antédiluvienne au cours de laquelle, l'océan baignait les terres ce qui laissa des sédiments qui font notamment l'extraordinaire qualité des vins des Monts Damnés du côté de Chavignol. Nous sommes alors sur des nuances minérales qui enchantent les connaisseurs.
Plus à l'Est, en-deçà de ce qu'on nomme la faille de Sancerre et qui est la résultante de la sortie du Jura de Terre, nous découvrons des vins plus sûrs - adjectif tombé dans les oubliettes de saveur même si le sureau fait encore de la résistance - que les spécialistes qualifient de saponique tandis que les gens du cru évoquent une certaine nostalgie dans la bouche, « pipi de chat » sans qu'il faille y percevoir de nuances péjoratives.
Dans tous les cas et dans bien des vigneries que l'on qualifie désormais pompeusement de chais, le vigneron taquin attend de verre à pied ferme son client. Pousser le bouchon trop loin n'est certes pas le genre de la région tandis qu'on aime faire tourner en bourrique les clients au point de leur proposer un petit crottin ou une fromagée pour déguster le vin.
Nous sommes donc au point crucial de la petite plaisanterie qui amuse tant les autochtones. Le vert n'est pas encore dans le fruit tandis que le godet ne demande qu'à devenir le réceptacle de cette liqueur divine. Les gosiers sont tout disposés à se délecter et l'impatience se fait sentir dans les rangs des touristes en goguette.
Le vigneron tend alors le témoin à son hôte, lui faisant l'indigne honneur de déboucher lui-même cette bouteille qui sera sacrifiée sur l'autel de la dégustation. Les calices attendent eux-aussi leur heure. La fièvre monte dans le sellier, chacun piaffe d'impatience. Mais avant de procéder au sacrifice, l'officiant désigné doit jouer du tire-bouchon.
Le récipiendaire, fort d'une pratique régulière et d'une maîtrise parfaite de l'outil essentiel à tout amateur de vin digne de ce nom, se prépare à donner le la, cette note cristalline qui émane du divorce du bouchon et de la bouteille. D'autres rechignent à utiliser la technologie du pas de vis, les manières de libérer le vin de sa protection en liège sont multiples mais là n'est pas l'objet de ce récit. Revenons à nos larrons en foire…
C'est alors le clou du spectacle. En dépit des efforts du malheureux, la vrille se refuse à pénétrer le liège. C'est la consternation parmi les assoiffés tandis que le bouchon s'effrite et que l'opérateur se décompose sous le regard goguenard du vigneron. L'homme, taquin comme le sont tous les viticulteurs de ce charmant coin du Berry, lui a tendu un tourne à l'envers, le fameux tire-bouchon de Sancerre.
Une fois le pot aux roses découvert, le cours normal de la virée peut reprendre et ceci alors, ne vous regarde pas. Chacun peut alors boire sa tournée pourvu que ce soit dans le bon sens avant que les têtes se mettent toutes à l'envers.