Magnifique mais invasive : la griffe de sorcière

par Fergus
lundi 9 septembre 2024

De son nom scientifique Carpobrotus – du grec "karpos" (fruit) et "brota" (comestible) –, cette plante grasse aux fleurs magnifiques prolifère en France dans un nombre croissant de zones littorales au détriment des espèces végétales endémiques. Dangereuse pour la biodiversité, la griffe de sorcière est considérée comme « invasive » par les experts botanistes...

Parfois jaunes, plus souvent d’un rose intense allant vers le pourpre, les fleurs à multiples pétales linéaires de la griffe de sorcière sont un régal pour les yeux du début du printemps à la fin de l’été dans nos contrées. Et cela d’autant plus qu’elles s’épanouissent sur une plante auxquelles les spectaculaires feuilles charnues incurvées à section triangulaire confèrent une apparence exotique qui contraste fortement avec les végétaux voisins. Il n’y a pourtant rien d’étonnant à cette apparence : la griffe de sorcière est en effet originaire de zones arides d’Afrique du Sud où elle est également connue sous les noms de figuier des Hottentots ou figue de mer. Deux appellations qui font référence à ses fruits comestibles à l’odeur légèrement sucrée ; des fruits auxquels on prête également des vertus laxatives.

En France, la griffe de sorcière (carpobrotus edulis, carpobrotus acinaciformis et leurs hybrides) a, depuis le début de sa naturalisation dans la première moitié du 19e siècle*, progressivement conquis de nombreux territoires en zone littorale, initialement sur les côtes de la Méditerranée et de l’Atlantique, puis sur celles de la Manche, en Bretagne et en Normandie. Et cela sans que personne ne s’émeuve durant des décennies de sa progression constante. Pour une raison simple qui a longtemps séduit les observateurs : la remarquable aptitude de cette plante à fixer les dunes ; une qualité très appréciée sur certaines portions de nos rivages, exposées aux mouvements dunaires. Le problème est que la griffe de sorcière s’adapte à tous les types de sols, et pas seulement aux supports sableux.

Dès lors, celle que l’on nomme également ficoïde**, a commencé à proliférer, non seulement dans les espaces dunaires, mais également sur les côtes rocheuses ou les zones littorales d’accumulation de sédiments et de galets, en mettant à profit sa remarquable adaptabilité à toutes les natures de terrain. Dotée de tiges rampantes à croissance rapide, la griffe de sorcière est capable, à partir d’un seul pied, de coloniser 10 à 20 m² en une année, grâce notamment à l’enracinement de stolons ! Sans compter les quelques centaines de graines contenues dans chaque fruit, disséminées par le vent ou par les déjections des rongeurs et des oiseaux qui en sont friands. Résistante à la sécheresse et aux embruns salés, la griffe de sorcière n’a qu’un ennemi naturel, le froid : la plante est en effet gélive dès -2 à -5°.

Peu fréquent en zone côtière, le gel ne suffit pas à endiguer la colonisation lorsqu’elle devient trop envahissante. Une colonisation qui menace d’autant plus la pérennité des espèces autochtones que la griffe de sorcière, originaire de régions arides, appartient aux végétaux succulents. Une caractéristique qui la rend capable d’absorber à son profit les ressources en eau des sols où elle prospère, ce qui accélère le dépérissement puis la disparition des espèces locales. Seul moyen de lutte pour les habitants des communes concernées : l’arrachage manuel, organisé localement par des élus municipaux avec le concours d’habitants volontaires. Mais il s’agit là d’un pis-aller, insuffisant pour endiguer la progression territoriale de cette plante invasive que certains qualifient de « peste écologique ».

La griffe de sorcière continue donc de progresser le long de nos côtes, aidée par le réchauffement climatique qui facilite de facto sa colonisation. Elle modifie en outre la composition chimique des sols conquis en les acidifiant par la décomposition de ses feuilles. Et cela au grand dam des botanistes et des militants engagés dans la protection des espaces naturels. Malgré les actions entreprises ici et là, tous constatent dans les zones côtières impactées le recul de nombre d’espèces autochtones maritimes comme l’armérie, l’euphorbe, l’immortelle, le panicaut, le pourpier ou le silène, pour ne citer que celles-là. Les biotopes littoraux y perdent en diversité, tant végétale qu’animale. Seuls les photographes peu informés du caractère invasif de la griffe de sorcière prennent sans réserve plaisir à la contempler.

Initialement, la griffe de sorcière a été introduite en Europe à la fin du 17e siècle, au Jardin botanique de Leyden (Pays-Bas), célèbre pour ses collections de plantes subtropicales, notamment importées des Indes et d’Afrique du Sud.

** D’autres espèces de plantes grasses, généralement de plus petit développement, sont également connues sous le nom de ficoïdes.

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