EDF ou l’infantilisme de la politique française

par Jean-Michel Aphatie
mardi 25 octobre 2005

Dire des choses que l’on ne pourra pas faire après revient, en politique, à assurer le triomphe des démagogues. On l’a vu en 2002, et on pourrait le revoir en 2007. La preuve, avec le dossier EDF et le droit de vote des étrangers.

Mardi 25 octobre. A la une, le journal Les Échos écrit ceci : EDF entrera en Bourse dans quatre semaines. Ce titre est une évidence, une banalité presque depuis que le gouvernement a annoncé son intention d’ouvrir à des capitaux privés le capital de l’entreprise publique.

Pourtant, même dans sa banalité, ce titre surprend. C’est qu’il contrarie le ton du discours dominant. Qui entend-on, en effet, sur EDF ? D’abord, des syndicalistes de l’entreprise qui assurent qu’il faut tout faire, qu’ils feront tout, pour s’opposer à cette opération. Ensuite, des responsables politiques, de gauche, de toute la gauche, qui disent de même. Seulement voilà : le Parlement a voté une loi, il y a de cela plusieurs mois, autorisant l’ouverture de capital de la société publique. C’est cette loi que le gouvernement utilise pour augmenter le capital d’EDF d’environ 7 milliards d’euros, une des opérations boursières les plus importantes des dix dernières années, en France. Dès lors, personne, sauf comportement quasi insurrectionnel, ne peut empêcher, ou même différer, ce que la majorité politique a décidé de réaliser.

Le seul discours à disposition de l’opposition politique concerne ses projets, si elle retrouvait le pouvoir, à l’issue des élections de 2007. Tous ses responsables l’affirment : en cas de victoire de la gauche, l’entreprise serait renationalisée, c’est-à-dire que son capital redeviendrait public à 100%.

Il faut toujours avoir à l’esprit que l’action politique n’est harmonieuse dans une démocratie que si elle s’appuie sur la crédibilité, source de confiance des électeurs envers les candidats à l’élection. Est-il crédible, dès aujourd’hui, de promettre une renationalisation d’EDF ? On peut en douter. D’abord, sauf miracle miraculeux, la situation des finances publiques sera telle en 2007 qu’un tour de vis est beaucoup plus probable que des largesses. Où un nouveau pouvoir trouverait-il les milliards nécessaires au rachat d’actions d’EDF possédés par les particuliers ? Franchement, on ne voit pas.

Pour contourner la difficulté, certains responsables socialistes, Laurent Fabius par exemple, François Hollande ou Marie-George Buffet aussi, assurent qu’ils puiseront dans les bénéfices de la société pour racheter ses propres actions. Là encore, l’affirmation paraît hâtive.Le programme d’investissement d’EDF est lourd, 40 milliards en cinq ans. Des chantiers seront engagés, des contrats passés. Perturber cet ordre-là pourrait être très préjudiciable à l’équilibre de l’entreprise, donc à l’intérêt de la collectivité. Il y a fort à parier que le réalisme inhérent à l’exercice du pouvoir ne conduise de nouveaux gouvernants à différer une promesse formulée dans l’émotion du débat, creusant encore un peu plus le fossé avec des citoyens, qui pourraient retirer le sentiment d’avoir été bernés, une fois encore. C’est sans doute dans ce genre de dossier que se remarque le mieux la part prédominante de l’idéologie dans notre débat public, au détriment du réalisme dont personne, parmi les principaux responsables politiques de ce pays, n’assure ou n’assume la promotion.

Un autre débat illustre ce travers. Profitant d’un entretien au journal Le Monde, Nicolas Sarkozy vient de se dire favorable, à titre personnel, au vote, lors des élections locales, des immigrés régulièrement présents depuis dix ans sur le sol français. Le ministre de l’Intérieur formule cette proposition en sachant très bien que s’il accède à la présidence de la République en 2007, jamais la majorité qui le soutient ne lui permettra de voter cette réforme. L’annonce est donc vaine, suggérée peut-être par des soucis tactiques, embarrasser la gauche, modifier son image, alimentée, pourquoi pas, par une sincérité personnelle, mais totalement déphasée de l’action politique elle-même.

Il y a quelque chose d’irréductiblement infantile dans le débat public français. Distinguer à ce point la proclamation des possibilités de la réalisation alimente les frustrations et les incompréhensions. Si c’est bien ainsi qu’un enfant se construit et qu’il découvre, dans la souffrance, le champ du possible, qu’il accepte alors, parvenu à l’âge adulte, de faire le deuil de ses rêves, il en va tout autrement dans le champ de la politique.

Ceux qui disent et qui ne font pas se décrédibilisent. Ils perdent l’écoute d’un nombre croissant de leurs concitoyens, qui se tournent alors vers d’autres, encore plus irréalistes, qui les entretiennent dans la part de rêve et de magie qu’ils continuent d’espérer de la politique. A-t-on bien conscience que c’est ainsi que se construisent les résultats électoraux ? S’ils nous tombent dessus comme des surprises, ils n’en ont pas moins des racines.

On pourrait paraphraser ici les mauvaises bandes annonces du cinéma : vous avez aimé le premier tour de l’élection présidentielle de 2002... Vous adorerez celui de 2007...


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