Changer le forfait

par C’est Nabum
vendredi 12 janvier 2024

 

Coupez !

 

Il est curieux qu'un mot qui revient dans nombre de conversations des enfants aux adultes sans laisser sur le bord de la route des adolescents toujours prompts à prendre à rebrousse sens le vocabulaire usuel, puisse avoir à ce point changé de sens sans vraiment, au fond, abandonner ses origines douteuses. Ce « FORFAIT » qui vous pousse à la consommation, à la recherche permanente du moins coûtant n'avait pas bonne réputation.

À la fin du X° siècle, un verbe permettait de qualifier la coupable transgression de celui qui commet un délit. « Forfaire » signifiait qu'un tiers avait fait du tort à quelqu'un. On peut aisément prétendre que cette idée demeure en arrière-plan dans ce forfait téléphonique qui a brisé le lien social et inauguré l'ère de la muflerie intégrale.

Le mot a fait son petit bonhomme de chemin pour désigner la violation du serment d'un individu ayant autorité. La forfaiture, le délit des responsables politiques et des hauts fonctionnaires qui manquent cruellement de loyauté et agissent pour des intérêts particuliers. Vous pouvez mesurer qu'on pourrait aisément accoler ce terme à nos indignes représentants qui n'écrivent des lois qu'au seul profit des groupes de pression dans le mépris des citoyens. Une autre forme de goujaterie dont ce maudit forfait se fait le chantre.

L'évolution mena alors notre mot sur d'autres territoires obscurs en changeant d'orthographe. Le « Forfeit » ne se priva pas de pousser l'odieux plus loin encore en désignant le crime qui consiste à priver un quidam de quelque chose, y compris de sa vie. Nous pouvons affirmer que son descendant nous prive bien souvent de notre tranquillité, qu'il nous rend la vie sociale impossible. Il demeure dans son univers initial.

Par la suite, le terme glissa vers la notion de perte. Perdre quelque chose par la faute d'un tiers. Le crime s'éloignait pour tomber dans l'arnaque, ce qui va si bien à cette pratique commerciale douteuse. Le sport s'est alors emparé de ce mot pour désigner l'équipe qui perdait faute d'avoir pu se présenter sur le terrain. Serait-ce là la métaphore du « Sans fil », l'émancipation du cellulaire qui curieusement ne vous envoie pas en cellule mais ailleurs, en toute liberté ?

Le « Forfait » téléphonique a pris des allures de contrat, de clause commerciale pour définir en bloc une prestation en venir. C'est la porte ouverte aux excès, à l'explosion des usages de cette chose qui va nous faire perdre beaucoup de temps, nous rendre absents à ceux qui sont à nos côtés pour nous tourner vers les lointains sans respect pour les proches. C'est plus encore, le meilleur agent du consumérisme pour mener par le bout du portefeuille ses adeptes compulsifs.

Mais revenons aux origines puisque les plateformes téléphoniques se jouent avec délectation du refus de nos gouvernants de réguler l'usage de ce maudit engin. C'est ainsi que nombre d'usagers déclarent forfait avec leur ligne fixe, celle-là même qui par l'entremise de l'annuaire, permettait de garder un lien avec ceux qu'on perdait de vue.

La quête du meilleur forfait provoque une frénésie de changements, un éparpillement des numéros de vos anciennes connaissances que vous ne parviendrez plus jamais à retrouver. Briser le lien social est véritablement le projet des concepteurs de cette nouvelle forme de communication qui au lieu de favoriser les échanges, les placent dans une logique contraire en dépit des apparences.

C'est ainsi que la grande majorité d'entre nous a été forfaitisée : placée sous le régime contractuel du Forfait, rentrant dans une logique d'hyper-communication ou les broutilles brouillent les esprits et font perdre les messages essentiels. C'est alors la meilleure manière d'expliquer de FOR(T) qui exprime l’altération. On peut en conclure qu'il s'agit de la courtoisie et des bonnes manières qui sont gravement altérés par ces forfaits illimités.

Illustrations

Ferdinand Georg Waldmueller

 


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