7 juin 1942, le port de l’étoile jaune obligatoire pour les Juifs : l’infamie cousue sur la France
par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
samedi 7 juin 2025
Paris, 7 juin 1942. Dans la lumière pâle d’un dimanche matin, une fillette de huit ans, Rachel Jedinak, fixe l’étoile jaune cousue sur son manteau. "Je ne veux pas que tu couses cela !" hurle-t-elle à sa mère, la voix tremblante d’une révolte enfantine. Sur les boulevards, les passants détournent les yeux, certains par honte, d’autres par indifférence. Ce jour-là, l’étoile à six branches, imposée par une ordonnance nazie, devient un sceau d’infamie pour les Juifs de la zone occupée. Comment un simple morceau de tissu a-t-il pu devenir le symbole d’une persécution méthodique ?
Une ordonnance promulguée par l'occupant nazi
Le 29 mai 1942, dans les bureaux froids du commandement militaire allemand à Paris, le général Carl-Heinrich von Stülpnagel, Militärbefehlshaber in Frankreich (commandant en chef des troupes d’occupation en France), signe la huitième ordonnance. Publiée le 1er juin dans Le Matin et placardée sur les murs de la capitale, elle ordonne : "Il est interdit aux Juifs, dès l’âge de six ans révolus, de paraître en public sans porter l’étoile juive". Cousue sur le côté gauche de la poitrine, cette étoile à six branches, jaune, bordée de noir, portant l’inscription "Juif" en caractères imitant l’hébreu, n’est pas un simple insigne. Elle est une arme psychologique, conçue pour isoler, humilier et signaler. Imprimée à 400 000 exemplaires, distribuée dans les commissariats contre un point de carte textile, elle vise 100 455 personnes, françaises ou étrangères, recensées comme juives.
La mise en œuvre est méthodique. Dès le 2 juin, les Juifs affluent dans les commissariats de la Seine, où 92 600 étoiles sont distribuées en quelques jours. Les autorités françaises, sous la férule de Vichy, collaborent activement. Les fonctionnaires, parfois mal à l’aise, remettent trois étoiles par personne, souvent avec un silence pesant. À Paris, l’odeur d’encre des tampons administratifs se mêle à celle des rues humides, où la foule observe, curieuse ou hostile, ces nouveaux marquages. L’ordonnance précise que tout contrevenant risque prison, amende, ou internement dans un "camp de Juifs".
Cette mesure n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un cortège de discriminations : recensements de 1940, interdictions professionnelles, couvre-feu de 20h à 6h, confiscation des postes TSF. Mais l’étoile jaune, visible, immédiate, change la donne. Elle transforme les Juifs en cibles ambulantes, facilitant les contrôles et les rafles, comme celle du Vél’ d’Hiv, six semaines plus tard. À Berlin, Adolf Eichmann, orchestrateur des déportations, avait planifié cette synchronisation avec la Belgique et les Pays-Bas après la conférence de Wannsee, le 20 janvier 1942.
Une marque d’infamie au quotidien
Dans les rues de Paris, le 7 juin 1942, l’étoile jaune apparaît comme une blessure ouverte. Hélène Berr, étudiante de 21 ans, note dans son journal, le 8 juin : "Mon Dieu, je ne croyais pas que ce serait si dur. J’ai porté la tête haute, et j’ai si bien regardé les gens en face qu’ils détournaient les yeux. Mais c’est dur. Le plus pénible, c’est de rencontrer d’autres gens qui l’ont". Son témoignage, vibrant de dignité blessée, révèle l’impact psychologique de cette mesure. Chaque regard, chaque murmure dans le métro, où les Juifs sont relégués dans la dernière voiture, devient une épreuve.
Pour beaucoup, coudre l’étoile est un acte de soumission forcée. Rachel Jedinak, alors enfant, se souvient de sa colère : "J’ai fait un scandale à ma mère pour ne pas mettre cette étoile. C’était terrible". À 10 ans, Zizi Lichtenstein conserve encore la sienne, un carré de tissu jauni, comme une relique de l’opprobre. D’autres, comme le poète Max Jacob ou le professeur Robert Debré, refusent de la porter, risquant l’arrestation. Max Jacob, dans une lettre datée de 1943, compare l’étoile à une "étiquette" qui l’empêche de voyager librement : "Je vis comme je veux, mais sans étiquette, c’est être en faute, donc en péril". Il sera arrêté en 1944 et mourra à Drancy.
Pourtant, des gestes de défi émergent. Certains Juifs, comme une avocate au Barreau de Paris, portent l’étoile avec une fierté provocante, "fièrement campée sur les marches de la Cour d’appel," rapporte Le Cri du Peuple le 11 juin 1942, avec un mépris collaborationniste. Des non-Juifs, eux, arborent des étoiles détournées, portant des inscriptions comme "zazou," "swing," ou "Auvergnat." Entre le 6 et le 10 juin, trente-cinq personnes sont arrêtées pour ces actes de solidarité, certaines internées à Drancy sous l’étiquette "Amis des Juifs".
Résistances et Solidarités
L’étoile jaune, conçue pour humilier, suscite parfois des réactions inattendues. Dans les commissariats, certains fonctionnaires distribuent les étoiles avec réticence, murmurant des excuses à voix basse. À Paris, des passants, émus, offrent des sourires ou des mots de réconfort. Une anecdote raconte qu’un pasteur, le 7 juin, aurait prêché à l’Oratoire du Louvre : "Depuis ce matin, nos compatriotes israélites sont assujettis à une législation qui froisse dans leur personne et dans celle de leurs enfants, les principes les plus élémentaires de la dignité humaine". Cette indignation, portée par le pasteur André-Numa Bertrand, est confirmée par une lettre remise au maréchal Pétain le 27 juin 1942, où il dénonce une "humiliation gratuite".
Le Consistoire, affaibli par la création de l’Union générale des israélites de France (UGIF), appelle à "porter l’insigne dignement". Mais certains Juifs, comme Georges Svartz, 16 ans, choisissent la dérision : arrêté le 7 juin pour avoir porté un papillon où il était écrit "on nez comme on est" il transforme le stigmate en acte de résistance. À Vichy, le refus d’étendre l’étoile en zone libre, par crainte de troubles, n’empêche pas l’apposition d’un tampon "Juif" sur les cartes d’identité dès décembre 1942, une mesure tout aussi discriminatoire.
Ces gestes de solidarité, bien que rares, marquent les esprits. Une photographie, conservée à Yad Vashem, montre une famille juive posant fièrement avec l’étoile lors d’un mariage, retournant le symbole contre ses bourreaux. Mais la répression est implacable : les rafles s’intensifient, et l’étoile facilite les arrestations. Le 16 juillet 1942, lors de la rafle du Vél’ d’Hiv, plus de 13 000 Juifs sont arrêtés, beaucoup identifiés par leur insigne.
Un symbole éternel de la persécution
L’étoile jaune, au-delà de son rôle pratique, est une arme de propagande. Les journaux collaborationnistes, comme Le Progrès de la Côte d’Or, la saluent comme une "étoile révélatrice" pour protéger les "Aryens" des supposés pièges juifs. Pourtant, elle devient rapidement un symbole universel de la Shoah. Dès 1949, un ouvrage intitulé L’Étoile Jaune fixe son image dans la mémoire collective. Aujourd’hui, son détournement, comme lors des manifestations anti-passe sanitaire en 2021, suscite l’indignation générale, preuve de sa charge émotionnelle.
Pour les victimes, l’étoile reste une blessure vive. Francine Christophe, déportée à 8 ans, se souvient : "C’est gros, une étoile jaune, sur une enfant de 8 ans". Les exemptions, rares, ne concernent que quelques privilégiés, comme l’épouse de Fernand de Brinon, ou quatre proches de Pétain, mais les demandes, comme celle de la veuve de Fernand Widal, sont presque toujours rejetées. La rumeur selon laquelle le roi Christian X du Danemark aurait porté l’étoile en solidarité reste une légendemais elle illustre parfaitement le besoin d’espoir dans une époque sombre.
Huit décennies plus tard, l’étoile jaune demeure un avertissement. Elle rappelle comment un simple bout de tissu peut devenir l’instrument d’une idéologie meurtrière. À Paris, le 7 juin 1942, sous un ciel d’été naissant, des milliers de Juifs ont marché, marqués, mais beaucoup ont relevé la tête, défiant l’opprobre. Leur courage, consigné dans des journaux, des lettres, des silences, résonne encore.