Alors que M. Sarkozy propose la « rupture » pour 2007, quel est son bilan et celui de sa majorité ?

par Nicolas Cadène
mardi 11 avril 2006

Le ministre de l’Intérieur, président de l’UMP, rappelle régulièrement son désir de « rupture » et de profond changement s’il devenait président de la République française en 2007.
A l’inverse des réactions en France, cela surprend facilement à l’étranger. Comment un ministre d’Etat « Premier ministre bis », qui préside le parti de la majorité gouvernementale, peut-il promouvoir la rupture ? Cette rupture serait donc la rupture d’avec sa propre politique ?
Certains avanceront que la « rupture » se fera avec la politique « chiraquienne » et distingueront cette dernière de la « sarkozyste ». Sans doute, sauf que les « sarkozystes » ont toujours tenu des rôles de premier plan dans chacun des gouvernements UMP depuis 2002.
Alors, si l’on veut avoir une idée des politiques que proposent Nicolas Sarkozy et sa majorité, il est bon, dans un premier temps, de faire le bilan de leur action depuis 2002.

1. On s’en souvient, la première des préoccupations de notre majorité était, en arrivant au pouvoir, la sécurité (l’on peut d’ailleurs s’interroger sur la pertinence de cette priorité, en comparaison du problème, plus en amont, de l’emploi et de la précarité).

N. Sarkozy a donc pris ses fonctions place Beauvau dans la foulée d’une campagne présidentielle essentiellement fondée sur la promotion de la « tolérance zéro ». Lors de ses innombrables déclarations surmédiatisées, M. Sarkozy a voulu signifier aux Français que la majorité précédente ne faisait rien contre l’insécurité. La gauche n’a jamais su poser les vrais problématiques, telles que les racines de la délinquance. N. Sarkozy a donc surfé sur la vague de l’insécurité et a théâtralisé ses actes pour se mettre en valeur dans la perspective d’un destin qu’il voudrait élyséen, tout en occultant des résultats en réalité plus que mitigés :


Parlons ensuite de la sécurité routière, qui est clairement la meilleure action de M. Sarkozy. Pourtant, elle est loin d’être bien nette, et pour certains spécialistes de la sécurité routière, les bilans des accidents sont en dessous de la réalité :
Laquelle hausse aurait touché les gouvernements précédents, mais on appréciera ici la volonté du ministre de faire jouer l’impact du chiffre, masquant une réalité statistique commune à nos voisins ; la communication avant tout.

2. La seconde préoccupation était censée être l’emploi :

Selon les statistiques d’Eurostat (Institut européen de statistiques, que l’on ne peut pas accuser d’être « partisan » ni même de gauche) :


Le taux de chômage en France depuis fin 2001 :
Puisque l’UMP considère que sa mauvaise prestation s’explique par la mauvaise conjoncture économique, internationale ou européenne, établissons des comparaisons au niveau de l’Union :
En prenant donc en compte la conjoncture internationale ou européenne, l’on constate aisément que la droite a fait nettement moins bien que la gauche : cette dernière a fait beaucoup mieux que la moyenne de ses partenaires, la droite a fait bien pire. Et ceci, malgré l’atout nouveau que constitue l’effet démographique, qui induit une diminution statistique automatique du chômage.

3. Etudions désormais un domaine plus large qui, un temps (mars à novembre 2004), fut dirigé par M. Sarkozy, l’économie.

Tout d’abord, étudions le PIB par habitant en standard de pouvoir d’achat (UE = 100) :

Là encore, si l’on fait une comparaison avec la moyenne de l’UE à 15 (celle à 25 servant de base = 100), on constate que la France fait moins bien que ses partenaires depuis 2002 (baisse supérieure de 0,4 point) alors qu’elle faisait mieux entre 1997 et fin 2001...

La dette publique, quant à elle, était de 59,3% du PIB en 1997 :



La majorité explique encore, cinq ans après, qu’elle paie les réformes socialistes. Or, on constate qu’à son arrivée aux affaires, la gauche lui a laissé des comptes sains et équilibrés, ce qui depuis les années 1980 n’a jamais été le cas après un gouvernement de droite. Les derniers gouvernements à avoir le plus augmenté la dette sont les gouvernements d’Edourd Balladur, d’Alain Juppé et aujourd’hui l’ensemble des gouvernements de Jacques Chirac.
Selon la théorie traditionnelle, la gauche profiterait des réformes de la droite, quand la droite assumerait les réformes de la gauche. La durée des politiques examinées invalide bien évidemment ce genre d’analyse, qui brille surtout par son absence de sens des responsabilités, en mettant toujours la faute sur les autres.

La croissance de l’emploi total sous le gouvernement de la majorité précédente était de 1,5% en 1998, de 2% en 1999, de 2,7% en 2000 et de 1,7% en 2001.
Le taux a été successivement en 2003 et 2004 de -0,1 et de 0% alors qu’il oscillait en moyenne entre 0,3 et 0,6% en Europe.

Dans ce volet économique, on ne peut omettre la promesse de campagne de Jacques Chirac en 2002 :

En réalité, les impôts ont augmenté globalement. L’impôt sur le revenu a certes accusé une baisse d’environ 8%, mais l’augmentation des impôts locaux (désistement sans compensation crédible, contrairement à ses promesses, de l’Etat), fonciers, de la TVA ont largement balayé cette baisse. Les prélèvements sociaux se sont quant à eux alourdis, passant à 21,8% du PIB en 2003. Cette même année, la France connaissait la première baisse du pouvoir d’achat depuis cinq ans...

4. Concernant le bilan social :

Commençons par la cohésion sociale, si chère à notre président :


On le sait, la droite a « gelé » de nombreux crédits aux associations et aux organismes sociaux.

La droite a de plus limité l’accès à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Ce dispositif introduit par l’ancienne majorité avait représenté une avancée significative par rapport aux dispositifs de la prestation spécifique dépendance (PSD) créée par la loi du 24 janvier 1997. Le dispositif de l’APA a en effet permis l’élargissement du champ de prise en charge de la dépendance. La suppression des recours en récupération sur succession et donation explique à elle seule le succès de l’APA par rapport à l’ancienne PSD. Les parlementaires de droite ont introduit un délai de carence de deux mois, dans l’ouverture des droits à l’APA à domicile, tandis que le gouvernement a abaissé, par décret, le seuil de ressources en dessous duquel les allocataires sont exonérés de toute participation aux frais : de 949 à 623 euros par mois.
Désormais, de nombreuses personnes âgées dépendantes se retrouvent ainsi sans allocations...

5. Concernant la culture désormais :

Dès 2002, le gouvernement de la majorité actuelle a profité de la cagnotte constituée par les crédits d’investissement non déboursés sur le budget 2002 (pour cause de « gel républicain ») pour combler ses dépenses du budget 2003, au titre du fonctionnement du ministère de la culture.


Les choix budgétaires du gouvernement se sont traduits par un gel des crédits de la recherche scientifique.

On pourrait également parler de la loi DADVSI, très contestable dans son principe même... Mais de nombreux articles, ici même, en parlent de façon très précise.

6. Le bilan de la santé n’est pas meilleur.

Tout d’abord, il est juste de rappeler que tous ne sont pas égaux devant l’accès aux soins.

On perçoit ici l’aspect totalement idéologique de la politique gouvernementale qui est complètement invalidé par les professionnels médicaux ou sociaux et par le simple bon sens, sans même parler de l’aspect « humain » qui rebute bien des gens à la générosité « franco-centrée ».

Les personnes âgées n’entrent pas dans les attentions du gouvernement. Le gel des crédits publics pour la rénovation des maisons de retraites fut très rapide.


De plus, nous ne saurions oublier la catastrophique gestion de la crise de la canicule... Pour s’en souvenir et mesurer le degré de responsabilité de l’équipe dirigeante, on rappellera que le ministre en charge de la santé pendant cette triste désertion publique a été, sous pression notamment de Mme Chirac (qui prend souvent la France pour son domaine personnel) « recasé » à la tête d’une Croix-Rouge qui est en train, en France, de piétiner tous ses principes fondateurs, comme je l’ai rappelé dans un autre article.

7. Le bilan de la justice est quant à lui particulièrement inquiétant, mais je n’en parlerai pas ici, un de mes articles lui étant déjà consacré.

8. Il est également essentiel de traiter du volet institutionnel.
Chacun a en effet pu le constater, nous vivons par certains côtés une crise de régime.

Nous avons donc un candidat déclaré à l’élection présidentielle qui est ministre de l’intérieur (donc ministre des élections, c’est une première dans l’histoire de la Ve république), président de conseil général, et chef de la majorité... Cela éclaire assez le peu de cas que fait ce monsieur de la chose publique. À moins qu’il ne considère que la fonction de ministre de l’intérieur soit un travail à mi-temps...

De plus, les rapports entre gouvernement et Parlement n’ont plus de sens. Ce dernier s’est progressivement transformé en « chambre d’enregistrement ». La droite y a largement contribué :

  1. En prenant des ordonnances (article 38) dans des circonstances injustifiées.
  2. En usant de l’article 45 (procédure d’urgence) sans concertation et sans motif légitime. Cet article autorisant l’adoption d’une loi après une lecture au lieu de deux et qui empêche la recevabilité d’amendements.
  3. En imposant un nouveau texte au Parlement lorsque ce dernier a voté un précédent projet qui ne va pas exactement dans le sens souhaité par le pouvoir exécutif (voir la loi DADVSI).
  4. En ayant recours à l’article 49-3 qui est désormais totalement dénaturé. L’engagement de responsabilité du gouvernement (pour l’adoption rapide d’une loi) prévu par cet article n’a plus aucun sens. Comment, en effet, un ministre d’Etat et chef de parti pouvait-il laisser la possibilité à son propre groupe politique au Parlement de voter une motion de censure à l’encontre de son propre gouvernement ?

Dans ce volet, il est intéressant de se pencher sur un domaine dont on parle assez peu : la loi.
En la matière, un récent rapport du Conseil d’Etat déplore l’inflation législative, véritable source d’instabilité et d’insécurité juridique, et suggère une modification constitutionnelle afin de réduire cette dérive. Les faits sont à reprocher à la gauche également.
Mais le rapport montre que notre majorité actuelle semble accentuer ce danger (lois votées mais non appliquées en hausse, projets de loi de plus en plus longs et complexes, etc.).
Cette prolifération, qui menace l’Etat de droit et qui peut s’expliquer par des raisons « objectives » (transposition du droit communautaire, apparition de nouveaux, la décentralisation), est aujourd’hui aggravée par d’autres facteurs, « plus politiques et sociologiques que juridiques ».
Les propositions du Conseil d’Etat pour ralentir cet emballement n’ont pour le moment reçu aucun écho concret auprès de la majorité.
On rappellera pour mémoire que c’est un sujet sur lequel la droite n’hésite pas à se répandre dans des médias « amis » en disant qu’il y a trop de lois alors même qu’elle bat en la matière tous les records, ce que personne ne lui rappelle. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes.

9. Enfin, nous devons finir par le bilan de la politique européenne de la majorité : un repli sur soi évident, et une absence de politique européenne d’envergure déplorable (sans parler de la nomination d’un ministre des affaires étrangères -M. Douste-Blazy- dont tout le monde se « moque » à l’étranger. Nomination qui n’a été faite par M. Chirac que dans le but de satisfaire M. de Villepin et de garder la main)...
L’analyse de cette politique mériterait un article spécifique. Ce qui se fera.
C’est pourquoi je ne citerai que ces très justes phrases (dont les destinataires comprenaient le gouvernement français) de J. M. Barroso, président de la Commission européenne, de tendance libérale (donc censé être proche du gouvernement français) parfois assez brillant et guère tendre avec notre majorité qui semble ne voir l’Union que comme un moyen de se mettre en avant, et non comme un projet fédérateur et alternatif :


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