Argumentaire anti-CPE et idéologie dominante

par Clément
vendredi 7 avril 2006

A travers le conflit du CPE et précédemment celui sur la constitution européenne, une partie des citoyens français semblent demander une alternative à la libéralisation des marchés. Les Français leaders dans l’alter-mondialisme ?

Alors là, je dis oui, le chômage va certainement baisser ! Par contre, que ce soit le CPE qui en soit la cause, j’ai un gros doute. Non seulement il existe déjà des solutions flexibles que les jeunes acceptent, bien malgré eux, mais de plus le CPE n’apporte rien à une grande entreprise. Pour ce qui est des emplois peu qualifiés, l’entreprise utilise soit le CDD pour tester l’employé, soit la sous-traitance pour plus de flexibilité. Pour les cadres, la période d’essais est de 3 à 6 mois, ce qui suffit amplement pour juger de la qualité d’un individu ou non. A quoi peut donc servir le CPE ? Sans doute à remplacer avantageusement les CDI afin de mettre la pression pendant 2 ans sur les nouveaux embauchés : Plus le droit de donner son avis, plus le droit de grève, obligation d’accepter les heures supplémentaires sans broncher, interdiction de tomber enceintes pour mesdames... Je veux préciser que sur la question de la flexibilité, il y a une réflexion à avoir pour les PME, un dialogue doit s’ouvrir à ce sujet, tout comme sur la façon de mieux orienter la jeunesse lors de son éducation, de proposer plus d’apprentissage, de redonner de la valeur (pécuniaire) aux filières moins qualifiées...

Vous vous demandez alors pourquoi la théorie de Villepin (baisse du chômage) va se vérifier dans 6 mois : le papy-boum est là pour aider nos chers politiques. Toutes les entreprises doivent renouveler une partie de leurs effectifs, alors oui, le chômage va certainement baisser pendant les prochaines années, mais ne profitons pas de cette aubaine pour baisser nos droits.

Beaucoup de personnes soutenant le CPE arguent qu’ils ont galéré pendant leur jeunesse en enchaînant les stages et autres CDD, qu’ils s’en sont sortis à force de travail et de courage, que le CPE offre plus de sécurité. J’appellerai cela la théorie du "c’est mieux que rien", et les manifestants de répondre : "C’est pire que tout". Je voudrais rappeler aux "c’est mieux que rien-istes" que le CPE ne va pas supprimer stages, CDD et autres interim ! Il va se substituer vraisemblablement au CDI, car c’est un contrat de longue durée ! Alors oui, il faut le répéter ; le CPE, c’est pire que le CDI. Si le gouvernement veut régler le problème de la jeunesse, qu’il rende les stages rémunérés et les CDD réellement non renouvelables !

Pour ce qui est de la perte de la valeur au travail, elle est simplement due au fait que les milieux défavorisés se rendent compte qu’il faut être né avec des parents riches et un niveau social élevé pour s’en sortir facilement. Alors pourquoi se bouger en travaillant comme des fous, si c’est pour toucher le SMIC toute sa vie ! Si le niveau de vie des gens n’était pas entièrement dépendant de leur capital de naissance ou de la chance, si la notion de biens et services produits était réellement reconnue, les gens seraient certainement plus aptes à tortiller leur postérieur.

En effet la loi française est plus stricte que dans les pays socio-libéraux. Les protections et les droits du citoyen dans les domaines du social, de la santé et de l’éducation ont toujours été élevés en France. Cette particularité était une fierté de notre système, enviée par un grand nombre d’étrangers, mais depuis la tendance à la flexibilité et à la concurrence, il est de rigueur d’abolir ces privilèges féodaux. Doit-on, sous prétexte de la concurrence de nos voisins, aboutir à une régression sociale ? Toutes ces luttes d’un autre âge doivent-elles être abandonnées ? Il y a ceux qui pensent que c’est la seule façon de relancer notre économie, et puis il y a ceux qui croient que le progrès a toujours fait partie de l’histoire, que grâce à nos recherches, à nos connaissances, à l’automatisation, il est encore possible de tirer l’humain vers le haut.

Posez-vous une question simple : si malgré tous ces progrès, nous devions accepter un niveau de vie et une protection plus bas, à qui profiterait cette productivité accrue ?
Et si nous inversions le discours, et si le problème du chômage et du niveau de vie des gens venait des entreprises et de leur fonctionnement ? Pourquoi accusons-nous si rarement le besoin d’une minorité de décideurs et autres profiteurs cherchant à augmenter le profit de leur société plutôt qu’à résoudre les problèmes de la société ? Je ne veux pas faire la propagande contre le patron tyrannique et sans valeur. Je cherche juste à exposer un fait très bien décrit par un journaliste du Monde : " Et si c’était l’entreprise qui était au service de la société et non l’inverse..." Peut-être avancerions-nous dans la bonne direction.

Je ne nie pas les problèmes d’inefficacité de nos administrations, mais je crois que le problème a déjà été pris en main par le non-renouvellement des postes de fonctionnaires et l’informatisation de notre système public. De plus, n’a-t-on pas démontré à plusieurs reprises l’efficacité de notre entreprise publique productrice d’électricité, de notre réseau publique ferroviaire, de la fiabilité de nos lignes téléphoniques... ? Est-ce que nos fonctionnaires sont et étaient si fainéants que ça ? Pourquoi les Anglais et Américains vont-ils se faire soigner en Inde pour quelques roupies ? Ah oui, j’oubliais, la globalisation...

De plus, ce genre de mobilisation politise la jeunesse. Alors oui, une majorité des jeunes se fait entraîner par les plus extrémistes, une autre n’en a rien à faire mais au moins, des discussions éclatent, les jeunes se posent des questions, apprennent la politique. Et tout ça ne peut être que bénéfique.

2/3 des Français soutiennent le mouvement anti-CPE, nous pourrions arrêter le débat mais...

Je crois qu’avec l’élection de M. Chirac, le vote contre la constitution européenne et les élections régionales, nous avons une vraie preuve d’illégitimité de la majorité actuelle, et plus particulièrement de notre président. Il faudrait revenir sur les vices de nos institutions, mais ce n’est pas le sujet du débat. Tout ça pour dire que les citoyens n’ont trouvé d’autre moyen pour se faire entendre que la rue, droit démocratique de revendication, faut-il le répéter. Cette forme de citoyenneté, particulièrement chère à notre pays, a toujours été écoutée par nos politiques. Pourquoi un tel autisme actuellement ? Encore une façon de dire : "Finie, l’exception française", rentrons dans le droit chemin...
Concernant les blocages et les actions musclées, il est facile de remarquer que ce sont les seules actions efficaces pour se faire entendre. Qui se désintéresse d’un million de personne se promenant dans Paris un beau dimanche après-midi ? Le blocage des infrastructures de communications, d’approvisionnements, des édifices publics... sont de très bons moyens de se faire entendre, et sont seulement possibles lorsque la population dans sa majorité soutient le mouvement.
Promesse du candidat Chirac pour les présidentielles : "...Je consulterai les Français par référendum pour tous les grands problèmes de société..." Je vous l’accorde, ce n’est qu’une promesse orale... Alors que penser de la loi Fillon du 4 mai 2004 qui prévoit de consulter les partenaires sociaux avant de légiférer dans le domaine social ! Comment oser parler de respecter la démocratie, quand les responsables de notre exécutif sont incapables de respecter leur propre loi.
C’est le dernier argument à la mode, la France serait haïe par le reste du monde. La jeunesse française serait fainéante... Alors, premièrement, en matière de politique internationale, je voudrais signaler qu’une grosse puissance actuelle devrait éviter de donner des leçons de relations internationales. D’autre part, la France n’est pas un pays de fainéants, j’en veux pour preuve son deuxième taux de productivité horaire au monde. Ensuite, en consultant d’autres sources que les médias de masses étrangers, on peut lire des commentaires élogieux sur cette jeunesse "battante", n’abdiquant pas devant les choix de ses dirigeants. Ma pensée est bien relayée par ce blogueur :

"Faut-il avoir honte des railleries de nos voisins anglo-saxons et américains ?

J

e crois au réalisme, je crois qu’il faudra pour nous étudiants, futurs actifs, actifs faire des concessions pour que la France relance la machine et permette à une grande majorité de vivre décemment. Je crois surtout que je n’ai pas à abdiquer devant cette réalité et ce futur en plastique que l’on me propose.
Je n’ai pas honte de vouloir une alternative différente au libéralisme sauvage que l’on veut appliquer à toute ma vie, je n’ai pas honte de vouloir que la France rejette ce modèle déshumanisant et cherche une autre voie.
Je finirai peut-être citoyen d’un pays du tiers monde, mais j’ai surtout l’espoir que la France, qui piétine depuis 30 ans, soit digne de mes idées et de mes volontés, et surtout que je sois digne d’en être un citoyen actif, travailleur, et un citoyen HEUREUX." (Ponk)

Depuis le débat sur la constitution européenne, certaines voix, qu’elles soient de droite ou de gauche, nous rabâchent qu’on ne peut pas réformer en France, qu’en prenant autant de retard sur le reste du monde (on nous cite les exemples américain, anglais, indien...) la France perd la bataille, ou plus explicitement la compétition. Cette idée croissante d’une fatalité à suivre un modèle (capitalisme/libéralisme) fait son chemin, même chez les socialistes. Alors, pourquoi lutter contre cette vision unique ?

Tout d’abord, l’économie française n’est pas aussi mauvaise qu’on souhaite le faire croire. Les entreprises du CAC40 font des bénéfices records, les investisseurs étrangers sont toujours là : en 2003, la France se situait au 4e rang mondial des investissements étrangers grâce à la qualité de sa main-d’oeuvre, au haut niveau de sa recherche et à sa maîtrise des technologies avancées ; le nombre de créations d’entreprises ne cesse de croître d’année en année (INSEE). Il y a en contrepartie une baisse des exportations, un taux de chômage élevé et un moral plus bas que la moyenne, mais les deux derniers maux ne sont-ils pas dans l’intérêt des entreprises ?

De plus, la vie n’est pas une compétition, le bonheur ne se juge pas au taux de croissance et d’équipement des ménages. Les avancées dans l’organisation de la société et dans les technologies sont suffisantes pour permettre à un plus grand nombre de vivre décemment. Certains nous demandent le droit à travailler plus, qu’ils réfléchissent à ceux qui veulent travailler moins ! Essayons de faire comprendre au plus grand nombre qu’on en a vraiment assez de la croissance, du profit et du CAC 40.

Le gouvernement essaie de nous faire croire que si la masse n’accepte pas ses réformes, c’est qu’on les lui a mal expliquées, qu’elle ne comprend pas les enjeux. Arrêtons de prendre les gens pour des imbéciles ! Dès qu’un avis divergent secoue la population, c’est qu’on l’a mal informée. Stop, c’est tout simplement parce que nous ne sommes pas d’accord ! Il ne faut pas aller chercher plus loin.

Je terminerai par une citation de l’OCDE :
" En résumé, les mesures de la croissance économique restent cruciales pour toute évaluation du bien-être, mais il faut les compléter par des mesures des autres dimensions du bien-être. Il reste à savoir comment intégrer de façon optimale ces différentes mesures. Une solution consiste à prendre comme point de départ les mesures des ressources économiques, puis à introduire une série de correctifs pour tenir compte d’autres aspects, mais on ne dispose pas encore de normes internationales pour évaluer ces divers facteurs non marchands. Une autre solution est d’utiliser différents indicateurs non monétaires en complément des mesures des ressources économiques. Même si un cadre conceptuel et statistique cohérent leur fait encore défaut, ces indicateurs fournissent des informations pertinentes pour l’évaluation du bien-être."


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