Chirac : méthode Coué

par Bernard Lallement
mardi 15 novembre 2005

Bilan des tumultes banlieusards : deux décès d’adolescents et un d’un adulte, 8 626 véhicules brûlés, 2 767 personnes interpellées, 590 écrouées dont 107 mineurs, 375 majeurs condamnés à de la prison ferme jusqu’à un an et 200 millions d’euros de dégâts, dont 20 pour les voitures. 1 200 policiers ont été mobilisés, et des journalistes (pas encore des représentants de guerre) venus du monde entier.


Quelle que soit l’interprétation de ce désastre, nous sommes obligés de constater que, sans lui, le président de la République et le gouvernement n’auraient pas :


· rétabli le niveau des subventions aux associations, drastiquement diminuées par le gouvernement précédent.
· annulé la baisse des crédits octroyés à la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE).
· accéléré la mise en place du plan de cohésion sociale.

· proposé des solutions pour pallier l’échec scolaire par une mesure (contestée) facilitant l’apprentissage à partir de 14 ans.
· reconsidéré la suppression de la police de proximité.
· annoncé la création d’un service civil volontaire, afin d’assurer une formation à 50 000 jeunes dès cette année (en fait déjà en place).
· incité les entreprises et les organisations syndicales à se mobiliser contre la discrimination à l’embauche, et les médias à mieux rendre compte de la diversité de la société française.
· enjoint les communes à respecter la loi les obligeant à construire au moins 20 % de logements sociaux sur leur territoire (Eric Raoult appréciera !)

· invité les partis politiques à assurer une réelle représentation des populations issues de l’immigration.


A voir la longue liste des propositions ainsi faites au plus haut sommet de l’État, force est de reconnaître que les émeutes n’étaient nullement gratuites, et qu’elles avaient quelques fondements, même s’il faut absolument condamner la violence, d’où qu’elle vienne.


Urgence


Jacques Chirac a eu raison de souligner, dans son allocution télévisée, que nous sommes en présence d’une « crise de sens, d’une crise de repères, d’une crise d’identité. » Mais celle-ci n’est pas nouvelle puisque, lui-même, alors qu’il était candidat à la présidentielle de 1995, en avait fait un très exact diagnostic. Aussi ne pouvons-nous qu’être sceptiques lorsqu’il s’engage à mettre « les actes en concordance avec les paroles ». « Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent », a dit un certain... Jacques Chirac, dans un entretien au journal Le Monde du 22 février 1988.


Quant aux mesures à prendre pour rétablir l’ordre public, thème cher à la droite, le président de la République décide de proroger l’état d’urgence

pour une durée de trois mois. Serions-nous donc en guerre, la République vacillerait-elle, et le gouvernement serait-il menacé d’être déposé par un quarteron d’insurrectionnels, pour que le chef de l’État soit contraint d’envisager une mesure d’exception ? Laquelle permet notamment :

Exception


La décision paraît d’autant plus incongrue que d’une part, l’actuel couvre-feu n’est pas appliqué dans les départements où les émeutes ont été le plus virulentes, et d’autre part, les préfets relèvent une nette décrue des violences urbaines. Et il n’est pas établi que le code pénal s’avère insuffisant pour rechercher et arrêter des délinquants.


Le gouvernement ne peut plus faire l’économie des réformes structurelles trop longtemps différées. La question est de savoir s’il en a encore les moyens politiques, tant sa majorité est engluée dans une idéologie de la peur et de la surenchère sécuritaire, qui fit recette en 2002.


Dans un pouvoir qui s’effrite, et dérape dans l’incompréhension de la réalité sociale, la tentation est grande de faire des lois liberticides un ordinaire. En pareille circonstance, il n’est pas un État moderne qui n’y succombe. L’exception devient la règle. Bush en a fait l’expérience après l’effondrement des Twin’s, il en est de même pour Tony Blair. « Pour créer le droit, nul n’est besoin d’être dans son bon droit », nous avait prévenu Carl Schmitt, théoricien de l’État d’exception, aujourd’hui très en cours, et grand idéologue du IIIe Reich.


Insensé !

Photo : AFP


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