De la bêtise
par Argoul
jeudi 19 janvier 2006
La bête, en latin, désigne l’animal, tout ce qui n’est pas homme. L’accent est mis sur la férocité et sur l’inintelligence, donnant « belluaire », ce gladiateur tout en muscles, particulièrement peu pourvu de matière grise. Les juristes médiévaux réservent d’ailleurs le plus souvent le mot « beste » aux animaux féroces. La Bête avec majuscule, est l’autre nom du Diable, cet Inhumain absolu de la religion, antithèse de l’homme, puisque ce dernier a été façonné « à l’image de Dieu ».
Dès le XXIIIe siècle, lorsque la démographie engendre une population nombreuse et optimiste, les têtes pensantes prennent bien soin d’opposer l’humain au bestial. « Être bête » apparaît dans la langue vers 1220, si l’on en croit le Robert historique de la langue française, dans le sens de « stupide », autre mot pour désigner la paralysie mentale, cet engourdissement de l’esprit épais, apparu en 1377. Il faut attendre le pétillant et progressiste Diderot pour que le mot « bête » revienne dans la pensée écrite, devenant si courant que chaque auteur lui rajoute une caractéristique particulière : bête comme un âne (qui se contente de bouffer et de braire), comme une oie (qui se dandine en cacardant, sans rien faire), comme une cruche (dont l’anse se laisse prendre) ou comme un pot pour Flaubert. Lequel s’empresse de noter, dans son Dictionnaire des idées reçues, cette immédiate opinion : « Bêtes ? Ah ! si les bêtes pouvaient parler ! Il y en a qui sont plus intelligentes que des hommes. » Comme il s’agit de l’idée reçue, le sel de la remarque n’en est que plus vif. C’est d’ailleurs le même qui, dans la même œuvre, met en garde contre la bière, toujours selon la sagesse des nations : « Il ne faut pas en boire, ça enrhume. »
La bêtise représente donc le summum du manque d’intelligence, cette qualité propre à l’être humain que la démocratie grecque puis le libéralisme politique des Lumières ont encensée. Nous en pensions le socialisme le successeur ; il semble n’en être rien, tant le culte de la manif’, avec ses débordements casseurs, est ancré dans la « pensée » de gôche. Mais peut-on encore parler de cette faculté proprement humaine qu’est la « pensée » lorsqu’on assiste à ces comportements de foule grégaires, panurgiques, communiant dans le « slogan », terme qui semble devenu l’oméga de la réflexion politique ? Tout notre système politique est pourtant fondé sur cette intelligence, lueur qui permet de discerner. C’est pourquoi les « bêtes à concours » ne feront pas de bons politiques, mais des techniciens secs et bornés.
La bêtise n’est bonne qu’en ville de Cambrai, où le génie pâtissier en a fait une chose sans importance, à base de sucre et de lait, d’un peu de menthe parfois. Pour le reste, je souhaite n’être pas le seul à considérer que l’abêtissement déshonore la démocratie, et que la politique doit se faire autrement que par des comportements de bête.
Mais peut-être suis-je bien le seul, dans l’émotionnel requis et la démagogie ambiante ?