France-Soir allume le feu

par Richard Collier
jeudi 2 février 2006

Dans son édition du 1er février 2006, France-Soir consacre sa une à l’affaire et reprend les caricatures de Mahomet, publiées en septembre 2005 par le journal danois Jyllands Posten. Une publication qui avait alors provoqué la colère de nombreuses associations musulmanes et occasionné de nombreux problèmes pour le Danemark. Alors qu’on semblait se diriger vers une accalmie, le quotidien du soir français semble vouloir défendre la liberté de la presse. Mais à quelles fins ?

Que cherche donc France-Soir ? Le quotidien historique de Pierre Lazareff est à l’agonie, et utilise de bien curieuses et dangereuses méthodes pour faire parler de lui et éviter une mort annoncée. Des ventes qui baissent, un redressement judiciaire, un mois de trésorerie seulement, et un coup médiatique aujourd’hui pour le moins déplacé...

Au mois de septembre 2005, le quotidien danois Jyllands Posten, publie une douzaine de caricatures de Mahomet... Tollé au Moyen-Orient, où les réactions sont vives et où les milieux islamistes en appellent à des représailles contre le Danemark et ses ressortissants (cf articles de Libération). La réaction du côté du gouvernement va dans le sens de la liberté de la presse : ni intervention, ni condamnation, ni pression... Pourtant, l’affaire remonte jusqu’à l’ONU : début décembre, la haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Louise Arbour, charge plusieurs experts d’étudier les dessins publiés par Jyllands Posten. S’exprimant à titre personnel dans les pages du journal Politiken, Franco Frattini, le commissaire européen chargé des questions de justice et d’immigration, stigmatise pour sa part les caricatures, qui risquent, selon lui, d’« entraîner une poussée de l’islamophobie en Europe ». La tension monte, tandis que le rédacteur en chef du journal, Carsten Juste, présente ses excuses pour avoir offensé les musulmans. Et les menaces de boycott ou d’assauts semblent disparaître progressivement, au profit d’un apaisement.

Sauf que France-Soir n’hésite pas à rallumer la mèche, et publie à son tour les dessins fauteurs de troubles, avec un titre accrocheur  : "Oui, on a le droit de caricaturer Dieu". Et l’effet prévisible arrive : branle-bas de combat, qui oblige chacun à se positionner. Dénonciation de provocation du Conseil du culte musulman, Dalil Boubakeur, communiqué officiel du gouvernement pour qui : "Les caricatures publiées ce jour dans France-Soir n’engagent que la responsabilité du journal qui les a publiées". Et nous n’en sommes qu’au début. A venir le Hamas ? Reporters sans frontières ? L’ONU ?

Qu’espère donc France-Soir, en créant une polémique qui correspond de très loin à sa ligne éditoriale ? Faire parler de lui, faire décoller ses ventes, mourir en chantre de la liberté de la presse ? Conduite pour le moins dangereuse, qui convoque chacun à sa fonction et à sa responsabilité (les autres journaux sont condamnés à soutenir le quotidien du soir dans un esprit de défense de la déontologie, les gouvernants ne peuvent s’autoriser à intervenir, et notre opinion semble prise en otage). Dénoncer l’atteinte aux libertés de la presse, cela aurait été tellement plus fort si tous les journaux de l’hexagone avaient publié ces images pour soutenir le quotidien danois. France-Soir fait le choix délibéré de créer une nouvelle polémique et de se placer à la fois comme metteur en scène et future victime, au nom de la liberté d’expression. Et la déontologie, dans tout ça ?

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