Klarsfeld : quelle histoire !
par Bernard Lallement
mercredi 28 décembre 2005
Au moins aurions-nous pu espérer la désignation, à sa tête, d’un historien de renom à la réputation incontestable. Mais les intrigues ont pris le pas sur la raison, et Nicolas Sarkozy a préféré persévérer sur les layons de la polémique, qui semble être devenue son environnement quotidien, en faisant choix de l’avocat Arno Klarsfeld.
Effectivement, à peine installé dans ses fonctions, ce dernier a dû subir une attaque des plus inattendues, celle du MRAP. Son secrétaire général, Mouloud Aounit, a contesté « sa compétence et sa légitimité » en précisant : « Peut-on faire confiance dans ce domaine à un défenseur de la colonisation israélienne qui, après avoir pris la nationalité israélienne, a servi volontairement dans une unité de gardes-frontières de l’armée israélienne et a participé délibérément à l’humiliation et à la répression de la population palestinienne ? »
Mouloud Aounit fait référence à l’engagement d’Arno Klarsfeld au sein de Tsahal, pendant son service militaire en 2003.
La réponse ne s’est pas fait attendre. Mardi, au 13/14 de France Inter, l’avocat lui a répliqué : « M. Aounit est peut-être sur la même ligne que le président iranien, qui estime que les Juifs n’ont rien à faire au Moyen-Orient. »
Comme on peut le constater, la sérénité et la mesure qui sied à toute étude sur un sujet brûlant est loin d’être à l’ordre du jour, et cela augure mal de conclusions qui emporteraient tous les suffrages.
Ne pas confondre la morale et les moeurs
Lorsque Arno Klarsfeld souhaite voir la loi reconnaître, à la fois, « les bienfaits et les méfaits de la colonisation », il montre non seulement qu’il n’est nullement historien mais, plus grave, qu’il n’entend rien à l’histoire.
Ecrire l’histoire n’est, certes pas, chose aisée. Mais vouloir transformer l’historien en comptable du temps, alignant des bilans pour en extraire d’improbables soldes est, tout bonnement, un non-sens. Tel évènement peut-être tragique (mais pour qui ?) à un moment donné, et se révéler profitable (peut-être pour les mêmes) par la suite. Qui donc, et en vertu de quelle grille de lecture, devrait en définir les bénéficiaires et, par conséquent, les victimes ? L’histoire ne résume rien en pertes et profits.
Par ailleurs, contrairement à ce que semble croire Arno Klarsfeld, le droit n’est pas la morale, ni le législateur le clerc d’une église, fût-elle laïque. La loi n’est que le reflet, la photographie, du fonctionnement d’un corps social à un moment donné.
Ne nous y trompons pas, les « bornes morales » dont parle l’avocat ne sont que des règles conventionnelles que nous nous fixons. Il ne s’agit pas de faire établir, par le Parlement, une théorie du Bien et du Mal. Souvenons-nous de la mise en garde du philosophe chrétien Jean Guitton : il convient de ne pas confondre la morale et les moeurs.
Les lois sont affaires de politiques, c’est-à-dire de moeurs. Elles ne sont pas paroles d’Evangiles, il suffit de voir à quelle fréquence elles s’abrogent l’une l’autre, se surajoutent ou se contredisent, pour s’en convaincre.
Que les parlementaires veuillent s’inspirer des leçons de l’histoire pour leurs travaux, rien n’est plus louable, mais, comme j’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, laissons les historiens travailler en toute liberté, loin des débats passionnés et sectaires.
En s’enferrant dans son impossible mission, j’ai bien peur qu’Arno Klarsfeld n’en vienne à endosser les habits de Winston Smith, le héros de Georges Orwell, qui, au ministère de la Vérité, retouche les journaux déjà parus afin de les mettre en accord avec la réalité révélée depuis, et réécrit l’histoire en en gommant les inexactitudes.
Chez Staline, on se plaisait à dire « qu’il faut lire les évènements d’hier à la lumière des vérités que le parti édicte aujourd’hui. »
Somme toute, comme à l’UMP.
Photo : AFP