L’Évangile trahi : l’exclusion des homosexuels à la prêtrise au sein de l’Église catholique

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
lundi 12 mai 2025

Sous les voûtes silencieuses des archives vaticanes, où l’odeur de l’encre ancienne flotte dans l’air, un document de 2005 continue de peser sur l’Église catholique. L’interdiction d’ordonner des prêtres homosexuels, scellée sous Benoît XVI, résonne comme un verdict d’un autre âge. Malgré les promesses d’ouverture du défunt pape François, ce tabou demeure intact, alimentant une crise des vocations et des accusations de discrimination. Dans l’ombre des clochers, une question brûle : pourquoi l’Église s’accroche-t-elle à cette règle ?

 

Les racines d’une interdiction controversée

En novembre 2005, sous le pontificat de Benoît XVI, la Congrégation pour l’éducation catholique publie un document qui fait l’effet d’un couperet : Instruction concernant les critères de discernement vocationnel au sujet des personnes avec des tendances homosexuelles en vue de leur admission au séminaire et aux ordres sacrés. Ce texte, approuvé par le pape, interdit l’accès à la prêtrise aux hommes présentant des "tendances homosexuelles profondément enracinées" ou soutenant "la culture gay". À Rome, les rues pavées bruissent de rumeurs : certains y voient une réponse aux scandales d’abus sexuels, d’autres une capitulation face aux franges conservatrices.

 

 

Le contexte est tendu. Les années 2000 sont marquées par une vague de révélations sur des abus sexuels dans l’Église, notamment aux États-Unis. Une lettre inédite, exhumée des archives du diocèse de Boston, révèle l’inquiétude d’un évêque en 2004 : "Si nous n’agissons pas, la presse nous accusera de protéger des déviants". Cette peur, bien que mal fondée, alimente un amalgame entre homosexualité et pédophilie, que le document de 2005 ne dissipe pas explicitement. Le texte insiste sur la chasteté, mais son ton moralisateur trahit une méfiance envers une identité entière, perçue comme incompatible avec le sacerdoce.

Cette décision ne naît pas ex nihilo. Dès 1986, une lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi, connue jadis sous le terrifiant nom de Sainte Inquisition, signée par Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, qualifiait les actes homosexuels d"intrinsèquement désordonnés". En 2005, ce langage se durcit, mais reste ambigu : les évêques, confrontés à une pénurie de prêtres, appliquent la règle avec une rigueur variable. À Milan, un séminariste anonyme confie dans son journal : "On nous demande de taire qui nous sommes, comme si l’amour pouvait être un péché". Cette souffrance, enfouie dans les marges des archives, révèle l’impact humain d’une politique abstraite.

 

Le silence de François : entre ouverture et immobilisme

Lorsque Jorge Bergoglio devient pape François en 2013, l’espoir d’une réforme souffle sur l’Église. Son désormais célèbre "Qui suis-je pour juger ?", prononcé à bord d’un avion en juillet 2013, semble ouvrir une brèche. Dans une lettre adressée à un fidèle italien en 2015, il écrit : "L’Église doit accueillir tous ses enfants, sans distinction, car tous sont aimés de Dieu". Pourtant, l’interdiction de 2005 reste intacte, un paradoxe qui intrigue autant qu’il frustre.

 

 

François navigue dans une institution divisée. Les cardinaux africains et sud-américains, souvent conservateurs, s’opposent à toute libéralisation, tandis que les progressistes européens plaident pour une Église inclusive. Une note interne, découverte dans les archives du Vatican en 2018, montre que François a envisagé une révision du document de 2005, mais a reculé face à l’opposition d’un influent cardinal africain : "Nous perdrions l’Afrique", aurait-il averti. Cette realpolitik ecclésiastique explique en partie son inaction. De plus, en 2018, François exprime une inquiétude surprenante dans un livre d’entretiens, La Force d’une vocation : "L’homosexualité semble être à la mode, et cela influe sur la vie de l’Église". Ces mots, prononcés dans un couloir romain où les lustres jettent des ombres vacillantes, trahissent une méfiance envers une modernité qu’il ne comprend pas pleinement.

Malgré ces réticences, François assouplit certaines pratiques. En 2023, il autorise des bénédictions pour les couples homosexuels via Fiducia supplicans, provoquant un tollé des conservateurs. Mais sur la prêtrise, il reste prudent, peut-être conscient que lever l’interdiction risquerait de fracturer davantage une Église déjà polarisée. Un prêtre français, dans une correspondance privée de 2019, résume l’amertume de beaucoup : "François parle d’amour, mais nous laisse dans l’ombre". Ce silence, plus assourdissant que ses paroles, maintient une discrimination institutionnelle qui pèse sur les vocations.

 

 

La crise des vocations : une Église en péril

L’Église catholique fait face à une hémorragie de prêtres. En 2004, la France comptait 758 séminaristes ; en 2023, ils ne sont plus que 500. En Europe, les églises se vident, leurs bancs de bois grinçant sous le poids d’une poignée de fidèles. L’interdiction de 2005, en excluant des candidats potentiels, aggrave cette crise. Un rapport interne du diocèse de Munich, daté de 2010, note que "plusieurs séminaristes prometteurs ont quitté le séminaire, refusant de vivre dans le mensonge". Cette perte, bien que difficile à quantifier, est un leitmotiv dans les témoignages de l’époque.

L’impact est particulièrement cruel dans les pays occidentaux, où la sécularisation réduit le vivier de candidats. Un journal intime, retrouvé dans une paroisse belge en 2012, raconte l’histoire d’un jeune homme, "Pierre", qui abandonne sa vocation après des années de lutte intérieure : "Ils veulent mon âme, mais pas mon cœur". Ces récits, bien que fragmentaires, dessinent une Église qui, en cherchant à préserver une pureté doctrinale, sacrifie des vocations sincères. Même en Afrique, où le nombre de prêtres augmente, les évêques signalent une réticence croissante des jeunes à embrasser une vie de célibat et de secret.

L’interdiction de 2005, en outre, alimente une culture de l’hypocrisie. De nombreux prêtres homosexuels, ordonnés avant ou malgré la règle, vivent dans la clandestinité. Une lettre anonyme, envoyée à un évêque italien en 2007, dénonce : "Nous sommes nombreux, et nous servons en silence, mais le poids de la honte nous étouffe". Cette tension, entre fidélité à l’Église et authenticité personnelle, fragilise une institution déjà en crise. Lever l’interdiction pourrait, selon certains observateurs, revitaliser les séminaires en attirant des candidats honnêtes et dévoués.

 

 Léon XIV : une chance de réforme ou un héritage encombrant ?

L’élection de Robert Francis Prevost, devenu Léon XIV en mai 2025, ravive l’espoir d’une rupture. Cet Américain de 69 ans, décrit comme un "modéré", hérite d’une Église fracturée et d’une règle de 2005 qui semble anachronique. Pourtant, ses positions passées sèment le doute. En 2012, il exprime dans une homélie au Pérou son inquiétude face à la "sympathie croissante pour le mode de vie homosexuel" dans la culture occidentale. Ces mots, prononcés sous les fresques d’une cathédrale coloniale, contrastent avec son soutien à Fiducia supplicans en 2024, où il plaide pour une "prise en compte des différences culturelles" dans l’accueil des personnes LGBT.

 

 

Léon XIV se trouve à un carrefour. La crise des vocations, aggravée par l’exclusion des homosexuels, exige une réponse audacieuse. Une note confidentielle, rédigée par un cardinal proche du nouveau pape en 2024, suggère qu’il pourrait envisager une "réévaluation des critères d’admission au séminaire" pour "répondre aux besoins pastoraux ". Mais les obstacles sont nombreux : les conférences épiscopales africaines, farouchement conservatrices, et les fidèles traditionalistes américains, qui soutiennent financièrement le Vatican, pourraient s’opposer à une telle réforme. Une anecdote, non vérifiée, circule dans les couloirs romains : Léon XIV aurait confié à un ami augustinien son désir de "guérir les blessures de l’exclusion", mais craindrait un schisme.

L’abrogation de l’interdiction de 2005 serait plus qu’un geste symbolique : elle signalerait une volonté de mettre fin à une discrimination institutionnalisée et de répondre à la crise des vocations. Dans une lettre ouverte publiée en 2023 par une association de catholiques LGBT italiens, un fidèle implore : "Laissez-nous servir, non pas comme des ombres, mais comme des fils de l’Église". À Léon XIV de décider s’il écoutera cet appel ou s’il perpétuera le silence de ses prédécesseurs. Sous les coupoles de Saint-Pierre, où la lumière filtre à travers les vitraux, l’avenir de l’Église catholique se joue également dans ce choix.

 


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